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mier ministère responsable des Pays-Bas. Dès lors, le régime devient à peu près parlementaire; c'est presque toujours la majorité qui gouverne; le roi intervient pourtant quelquefois pour maintenir un cabinet en minorité et pour dissoudre la Chambre. Alors s'organisent les partis qui sont au nombre de quatre 1° le parti libéral, coalition de modérés et de radicaux, tous monarchistes, attachés à la constitution de 1848 et divisés sur l'opportunité ou l'urgence des réformes à faire; 2° le parti conservateur, avec la plupart des nobles et une partie de la bourgeoisie, attaché au régime arbitraire et aristocratique d'avant 1848, opposé à toute réforme nouvelle; 3° le parti chrétien-historique, fondé par des pasteurs calvinistes orthodoxes et dirigé par Groen van Prinsterer; 4° le parti catholique, qui s'appuie sur un tiers de la population néerlandaise et dont les forces sont surtout en Brabant et Limbourg.

Les deux grands partis sont les libéraux et les conservateurs : en général les premiers ont pour alliés les catholiques qu'ils protègent contre l'intolérance des chrétiens-historiques, et ceux-ci sont coalisés avec les conservateurs. La lutte s'engage sur plusieurs questions; les libéraux veulent remplacer les impôts indirects sur les objets nécessaires à la consommation (taxe sur la mouture, sur le combustible, etc.), par une augmentation des impôts directs; les conservateurs résistent par crainte de l'impôt sur le revenu. Les libéraux réclament l'augmentation du budget des travaux publics, la construction rapide de chemins de fer, de lignes télégraphiques; les conservateurs veulent qu'on procède avec lenteur et économie. Les libéraux sont presque tous libre-échangistes, les conservateurs s'attachent à l'ancien tarif protectionniste. Les réformes aux colonies, la réorganisation de l'armée, les écoles primaires, les droits des catholiques donnent encore des sujets de conflit. Les libéraux ne sont pas toujours d'accord entre eux sur ces questions, particulièrement sur les colonies et l'armée, et leur parti est parfois divisé, parfois brouillé avec ses alliés temporaires, les catholiques.

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Le mouvement d'avril 1853. Le premier ministère Thorbecke (1849-1853) fit compléter les réformes accordées en 1848. Le minimum du cens électoral dans les grandes villes fut

abaissé de 160 à 120 florins. On vota les lois qui réorganisaient les États provinciaux et les Conseils communaux conformément au programme libéral. Chacune des onze provinces eut des États élus par les mêmes électeurs que la seconde Chambre, pour neuf ans, et renouvelables tous les trois ans par tiers. La distinction des ordres fut abolie. Les députés reçurent une indemnité. Ce sont ces États, on l'a vu, qui désignent les membres de la première Chambre. Ils s'occupent des travaux publics dans leurs provinces, et lèvent des impôts sous le contrôle du gouvernement central. Ils siègent deux fois par an et, dans l'intervalle de leurs séances, sont représentés par six de leurs membres désignés par eux et appelés la Députation des États. États et Députation sont présidés par le commissaire royal ou gouverneur. Les communes furent administrées par des conseils élus pour six ans, renouvelables par tiers tous les deux ans et nommés par des censitaires qui payent au moins la moitié du cens nécessaire pour être électeur de la seconde Chambre. Le conseil choisit les échevins ou wethoudhers chargés du pouvoir exécutif; le bourgmestre, chef de la police, est nommé par le gouvernement. Les budgets des villes sont approuvés par la Députation des États provinciaux et par le gouvernement. Depuis ces réformes le gouvernement local des Pays-Bas ressemble par beaucoup de points à celui de la Belgique. Ces réformes qui établissaient un contrôle du pouvoir central et qui remplaçaient des corps privilégiés et traditionnels par une administration moderne, sortie du suffrage et établie sur un plan uniforme, furent combattues vivement mais sans succès par les conservateurs (1848-1851).

Leur opposition fut plus heureuse quand le ministère voulut faire voter une loi qui soumettait les établissements d'assistance au contrôle de l'État. Les catholiques, les calvinistes, et les juifs qui voulaient conserver leurs bureaux de bienfaisance, leurs asiles, leurs hôpitaux confessionnels et autonomes s'unirent contre le projet; les États généraux le rejetèrent (1852). Le parti libéral belge avait mieux réussi dans des circonstances analogues. Déjà ébranlé par cet échec, le ministère Thorbecke ne put obtenir des États une augmentation d'impôts qu'il récla

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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mait. Sa chute, désormais assurée, fut précipitée par un conflit entre calvinistes et catholiques. Le pape Pie IX, par un bref du 3 mars 1853, avait restauré l'archevêché d'Utrecht et les anciens évêchés des Pays-Bas, supprimés après la Réforme. Le cabinet Thorbecke était alors en négociation avec la cour de Rome pour l'abolition d'un concordat conclu pendant l'union avec la Belgique. Il parut surpris par le bref et se plaignit que le pape ne lui eût donné aucun avis préalable de la restauration des évèchés; mais fidèle à des principes libéraux et désirant conserver le concours des représentants catholiques, il n'agit pas. Les calvinistes s'élevèrent contre le projet de réorganiser les évêchés et le roi reçut un grand nombre de pétitions qui le priaient de ne pas sanctionner les titres et dignités octroyés dans les Pays-Bas par un prince étranger ». Le mouvement anti-catholique se manifesta avec plus de force au mois d'avril, pendant une visite que le roi fit à Amsterdam. Les pétitions, les adresses, les manifestations redoublèrent. Le 15 avril le roi fit à une députation calviniste une réponse qui était un désaveu de la conduite du cabinet. Le 20 avril les ministres donnèrent leur démission et furent remplacés par des libéraux modérés. Le nouveau ministère essaya d'arrêter le mouvement d'avril en donnant une demi-satisfaction à chacun des deux partis catholique et calviniste. Il déclara qu'il n'avait aucun moyen légal d'empêcher l'institution d'évêques catholiques, mais il obtint que l'archevêque d'Utrecht et trois des évêques résideraient dans de petites localités catholiques et non dans les villes, devenues calvinistes, dont leur diocèse portait le nom. Seul l'évêque de Roermond, ville catholique, put résider dans son chef-lieu. Pour donner une satisfaction plus importante aux calvinistes, le ministère fit adopter une loi qui exigeait pour l'exercice de tous les cultes l'approbation royale et la prestation par les prètres d'un serment de fidélité et d'obéissance (novembre 1853). En somme le parti catholique s'est organisé aux Pays-Bas à peu près comme il l'était déjà en Belgique, sous la direction du pape, sans concordat et en dehors du gouvernement national. La force du parti catholique néerlandais s'accroît continuellement depuis 1853.

La loi scolaire de 1857. Les élections de juin 1854 amenèrent une augmentation de la majorité ministérielle et de la minorité catholique (15 membres sur 68), et une défaite des chrétiens-historiques. Le nouveau ministère poursuivit la réforme de l'impôt commencée avant lui. Dès le mois de juillet 1847 le droit sur la mouture, qui rapportait 1 million et demi de florins par an, avait été partiellement supprimé et remplacé par une augmentation des droits sur l'alcool et de la contribution personnelle. En 1855 ce qui restait de ce droit fut aboli; les droits de tonnage furent remplacés par les droits sur l'alcool et sur le sucre. Le ministère modéré reprit la tradition de Thorbecke et essaya d'établir le contrôle de l'administration sur les établissements de bienfaisance. Une loi qui établissait cette surveillance d'une manière très vague fut adoptée en 1854 malgré l'opposition des partis confessionnels. Ensuite le ministère présenta un projet pour établir des écoles primaires conformément à la promesse faite en 1848. La précédente loi sur l'enseignement primaire datait de 1806; elle avait établi le principe que les écoles publiques devaient être ouvertes aux enfants de toutes les confessions. L'école mixte ful défendue par le ministère dans le projet qu'il présenta en 1855; les chrétiens-historiques et une partie des conservateurs la combattirent énergiquement parce qu'ils voulaient que les écoles publiques fussent protestantes; les catholiques se rangèrent du côté du gouvernement contre les calvinistes. Après deux années de discussions et d'agitation, le ministère parvint à faire voter la loi de 1857, qui oblige toute commune à entretenir des écoles publiques non confessionnelles. Le maître d'école ne doit rien faire ou permettre qui soit contraire au respect dù au sentiment religieux des gens d'une autre foi ». La loi déclare que l'école publique a pour but « de développer les facultés intellectuelles des enfants », et elle ajoute les élever dans toutes les vertus chrétiennes et sociales ». Les frais de l'école sont payés par le budget communal; la commune a le droit de lever une rétribution scolaire; l'enseignement primaire n'est pas gratuit, l'État vient au secours des communes par des subventions. Les instituteurs sont nommés

de

par le conseil communal, les inspecteurs par l'État. En théorie cette organisation est pareille à celle de l'Angleterre ; en pratique l'obligation d'élever les enfants dans les vertus chrétiennes a été interprétée par les conseils communaux, de manière à transformer l'école publique en école catholique ou calviniste, suivant leur foi. Dans cette intention les députés catholiques ont abandonné les libéraux qu'ils avaient soutenus en 1857 et ils se sont joints aux chrétiens-historiques.

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L'esclavage aux Indes; le système des cultures aux Indes orientales. A partir de 1853, les questions coloniales prennent une grande place dans les débats des États généraux. Les libéraux réclament: 1° l'abolition de l'esclavage en Guyane et aux Antilles; 2° le contrôle du Parlement sur le budget. de l'administration des colonies; 3° l'abolition du système des cultures (corvée des indigènes) dans les Indes orientales (archipel de la Sonde et Moluques). La majorité des représentants était contre l'esclavage, défendu seulement par quelques conservateurs, mais il y avait désaccord sur l'indemnité à payer aux planteurs et sur le degré de liberté qu'on pourrait laisser aux affranchis. En 1854 les États adoptèrent une loi qui promettait l'émancipation des esclaves pour le 1er janvier 1860 au plus tard, contre une indemnité de 15 millions de florins aux planteurs. En 1859 la promesse n'avait pas été réalisée; tous les ans le ministre des Colonies présentait aux États un projet qui était rejeté. Enfin, en 1862, le deuxième ministère Thorbecke réussit à faire adopter une loi qui déclarait l'esclavage aboli pour le 1 juillet 1868 au plus tard, qui accordait une indemnité aux planteurs et établissait une surveillance sur les affranchis. La loi fut votée à l'unanimité moins deux voix. Elle donnait la liberté à 36 000 esclaves en Guyane (population totale 53 000 hab.) et à 11 000 esclaves dans les Antilles (population totale 31 000 hab.).

Le contrôle des États généraux sur l'administration des Indes néerlandaises fut établi en principe dans la même année 1854, et en fait sous le deuxième ministère Thorbecke (1864).

La solution de la troisième question coloniale, le système des cultures, fut plus longue et plus laborieuse et causa plusieurs crises ministérielles. On appelait système des cultures,

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