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les premiers actes de Pie IX n'étaient guère que des indications, et on attendait de lui des réformes; les demandes qui se mêlèrent bientôt aux acclamations dont il était l'objet le décidèrent à en opérer. Il fut successivement amené à accorder à son peuple : la liberté de la presse, au moins relative, par l'édit du 14 mars 1847, qui adoucissait la sévérité de la censure; l'établissement d'un système représentatif par la formation d'une consulte d'État composée de laïques nommés par le gouvernement et chargée de présider à l'élaboration des lois (14 avril); l'autonomie communale par l'institution d'un sénat à qui il remettait l'administration de Rome. Enfin il donnait à ces réformes une sanction effective en organisant un ministère chargé de les compléter (14 juin), en autorisant la formation d'une garde civique propre à les défendre (5 juillet), en désignant enfin un nouveau secrétaire d'État plus disposé que le précédent à les appliquer (8 août).

La politique de Pie IX répondait donc aux espérances qu'avaient éveillées ses premiers actes, et l'année 1847 s'achevait sans qu'il eût cessé de rechercher et d'obtenir la confiance de son peuple. Certains indices pourtant semblaient de nature à montrer que cet accord n'était qu'éphémère. Pie IX, en effet, était placé entre les résistances des absolutistes, qui retardaient les concessions dans le but de les empêcher, et les exigences des révolutionnaires qui les obtenaient sans s'y arrêter. Les uns essayaient de les rendre inutiles en opposant à la politique pontificale une insurmontable force d'inertie; ils faisaient appel à l'Autriche, qui occupait la ville de Ferrare (janvier 1847), afin de trouver un prétexte à conflit diplomatique et à intervention armée. Les autres, ne se servant de ce qu'accordait Pie IX que pour réclamer ce qu'il refusait, mesuraient leurs prétentions à sa condescendance, et mêlaient aux manifestations faites en son honneur des démonstrations contre les jésuites ou contre les vaincus du Sonderbund. Pour pouvoir résister à ces deux partis extrêmes, il eût fallu opérer les réformes nécessaires avec décision, les circonscrire avec fermeté et former un parti moyen qui, satisfait de ses nouveaux droits, se ralliât à un gouvernement modéré et juste; mais cette tâche exigeait une décision d'esprit et une vigueur de résolution

dont Pie IX était dépourvu. « On veut faire de moi, disait-il, un Napoléon, et je ne suis qu'un pauvre curé de campagne. »

La Toscane. Si la popularité de Pie IX tendait à diminuer à Rome, son prestige demeurait intact en Italie et son exemple devenait communicatif. Le premier à le suivre fut le grand-duc de Toscane, qui attendit d'ailleurs près de dix mois. avant de décréter les réformes déjà effectuées dans les États pontificaux. Tandis que Metternich le menaçait d'une intervention militaire, il assistait au développement et aux progrès d'une opposition libérale qui restait constitutionnelle à Pise avec Montanelli, mais qui prenait une allure révolutionnaire à Livourne, où elle était dirigée par le romancier Guerrazzi. Une démonstration tumultueuse qui eut lieu dans cette dernière ville le détermina à céder : le 8 mai 1847 paraissait une loi qui permettait « de discuter respectueusement les actes du gouvernement ». Malgré sa timidité, cette réforme fut accueillie avec enthousiasme par les libéraux, qui ne la regardaient que comme le prélude de concessions plus importantes. « La tactique, dit Montanelli, était de prendre ces réformes comme des acomptes, de les louer plus qu'elles ne le méritaient, de tenir pour virtuellement accordé ce qui n'était pas dans les intentions du pouvoir, de s'ingénier en somme à lui arracher le plus de liberté qu'on pourrait. » A la suite de la loi du 8 mai, plus de vingt journaux furent fondés qui réclamèrent l'institution d'une garde civique propre à défendre l'indépendance nationale contre l'Autriche. Le grand-duc, à qui répugnait cette idée, essaya d'abord de tromper l'attente de ses sujets en décrétant la formation d'un corps consultatif analogue à celui qu'avait créé Pie IX; l'agitation qui se déclara dans ses États et le soulèvement qui éclata à Livourne à la nouvelle de l'occupation de Ferrare le forcèrent à céder (3 septembre 1847).

La Toscane était désormais dotée des mêmes institutions que les États de l'Église; elle possédait la liberté de la presse, un gouvernement consultatif et une force nationale. Presque en même temps l'abdication du duc de Lucques en faveur de Léopold II étendit aux États de ce prince le bénéfice des mêmes

bienfaits.

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Le Piémont. De tous les souverains italiens, le roi de Piémont Charles-Albert devait être le dernier à entrer dans la voie des réformes. Il avait semblé ignorer jusqu'en septembre 1847 le mouvement qui remuait l'Italie centrale et gagnait peu à peu ses États. A ce moment, des démonstrations répétées à Turin en l'honneur du nonce, et une agitation dangereuse dans la turbulente et démocratique Gênes vinrent lui montrer quels dangers son obstination faisait courir à son trône. Il se résigna donc à accorder d'un seul bloc à ses sujets tous les droits qui avaient été successivement conquis par les peuples voisins : le 30 octobre paraissait un édit qui décrétait la réorganisation du conseil d'État, augmenté à l'avenir de députés de provinces, l'adoucissement de la loi sur la censure, et la formation d'une garde civique; ces concessions opportunes ramenèrent à Charles-Albert l'affection de ses sujets.

Le mouvement réformiste devait s'arrêter aux frontières du Piémont dans les duchés de Parme et de Modène il fut facilement annulé par les souverains, grâce à l'appui de l'Autriche; dans les Deux-Siciles, il se manifesta par des troubles qui éclatèrent à Reggio et à Messine, et que Ferdinand II réprima facilement. Dans trois grands États italiens, il n'en avait pas moins abouti à un résultat qui, trois ans auparavant, était imprévu et eût semblé inespéré : si le peuple n'avait pas conquis sa souveraineté, l'opinion publique avait une existence légale et elle disposait d'une presse libre pour la faire connaître, de corps élus pour la faire agréer, d'une force nationale pour la faire triompher.

Dans le même espace de

Le mouvement national. temps, se posait la question de l'indépendance. Elle fut soulevée par un souverain qui jusque-là ne s'était distingué que par une déférence aussi aveugle qu'intéressée aux volontés de l'Autriche c'était Charles-Albert. Pendant toute sa vie, ce prince avait été hanté par l'idée de devenir le libérateur de l'Italie du Nord, mais il n'avait jamais osé rompre avec la puissance qui avait oublié son passé de révolutionnaire et permis son avènement. Il s'y décida pourtant dans le courant de 1846. A propos d'un conflit économique, il engagea avec l'Autriche une

guerre de tarifs qui attira sur lui l'attention de tous les patriotes. A dater de ce moment le mouvement national, né, comme le mouvement libéral, de l'initiative d'un prince italien, provoqua chaque jour de nouvelles et bruyantes manifestations : ce fut, en décembre 1846, le congrès des savants italiens à Gênes, qui se termina par des fêtes solennelles destinées à célébrer le centenaire de l'expulsion des étrangers de cette ville ce fut, en septembre 1847, le banquet de la Société agraire de Casale, à la fin duquel le roi fit lire par son secrétaire Castagneto une lettre qui souleva les acclamations unanimes des assistants. Elle se terminait par ces mots : « Si Dieu me fait un jour la grâce de pouvoir entreprendre la guerre pour l'indépendance, je commanderai seul l'armée et je ferai pour la cause guelfe ce que Schamyl a fait contre l'immense empire russe. Heureux sera le jour où nous pourrons pousser le cri de l'indépendance nationale! » Enfin les sujets italiens de l'Autriche semblaient supporter avec une répugance chaque jour plus visible tous les inconvénients qu'entraînait sa domination : la lourdeur des charges financières et militaires, la disproportion entre les sacrifices exigés et les services reçus, les lenteurs d'une administration tracassière, l'incompatibilité de caractère et d'esprit entre les fonctionnaires et les administrés. Les Milanais manifestèrent d'abord leur mécontentement par des démonstrations pacifiques, destinées à affirmer leurs sentiments de nationalité : telles furent les fêtes qui célébrèrent le retour des cendres de Confalonieri, mort en exil, ou l'installation d'un nouvel archevêque, Romilli, qui remplaçait un Allemand sur le siège de Milan (septembre 1847). Après l'occupation de Ferrare par les troupes impériales, l'agitation augmenta et les rapports entre gouvernants et gouvernés prirent un caractère marqué d'hostilité; tandis qu'à Milan et à Venise les congrégations centrales donnaient le signal de l'opposition légale en présentant au viceroi un exposé de leurs griefs et de leurs vœux, la population milanaise semblait décidée à recourir à la violence pour faire écouter ses demandes ayant résolu de ne plus fumer à partir du 1er janvier 1848, pour faire un vide dans le trésor autrichien, elle voulut imposer la même abstention aux soldats et aux fonc

tionnaires, assaillit à main armée ceux qui sortaient avec le cigare à la bouche, et provoqua des représailles qui coûtèrent la vie à un grand nombre d'Italiens (3 janvier 1848); la rupture était désormais complète entre le cabinet de Vienne et ses sujets transalpins.

Au début de l'année 1848, toutes les grandes questions dont dépendait le sort de la Péninsule avaient donc été nettement posées. Elles pouvaient être formulées ainsi : dans le Piémont, la Toscane et les États pontificaux, où des réformes avaient été opérées, les peuples s'en contenteraient-ils ou réclameraientils l'établissement d'un gouvernement constitutionnel? Dans le royaume de Naples, où l'ancien régime était resté intact, pourrait-il être maintenu? Enfin dans le royaume Lombard-Vénitien, où la domination étrangère était devenue intolérable, les populations se résigneraient-elles à la subir ou chercheraientelles à la faire disparaître, même au prix d'une guerre? Dans l'espace de six mois, toutes ces questions allaient recevoir une solution.

II.

Les insurrections et les constitutions.

Le double mouvement d'émancipation politique et nationale qui agitait l'Italie depuis l'avènement de Pie IX devait, en effet, changer de caractère pendant les premières semaines de l'année 1848. Il était resté pacifique, il devint violent; il n'avait poursuivi que des réformes partielles, il aboutit à des révolutions intérieures et à une guerre nationale. Il suffit pour amener cette transformation de deux insurrections qui éclatèrent aux extrémités de la Péninsule : la première eut lieu à Palerme et provoqua l'établissement du régime représentatif dans tous les États italiens; la seconde ensanglanta Milan et eut pour conséquence l'union des peuples et des princes dans une croisade contre l'Autriche.

Insurrection de Palerme et constitution de Naples. - De tous les États italiens, le royaume de Naples était le seul

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