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qu'une obéissance passive aux ordres de son souverain. Mensdorff eût été plutôt partisan de la politique de Schmerling; mais il n'était qu'un instrument dans la main du comte Maurice Eszterházy, ministre sans portefeuille, le plus influent des conseillers de l'empereur. « Je n'entendais rien à la politique », dit-il plus tard, « et je l'avais dit à l'empereur. Mais j'étais général de cavalerie, mon souverain m'avait commandé de me charger du ministère, il me fallait bien bon gré mal gré me laisser flanquer d'un diplomate de métier, à qui manquait le courage d'accepter la pleine responsabilité. » Or Eszterházy n'était entré au ministère que pour renverser Schmerling; et l'échec de la politique allemande du ministre d'État lui rendait la tâche facile, autant que ses fautes dans la question hongroise. La Hongrie et la Constitution de février. — La Patente du 26 février dénotait la résolution du gouvernement de ne pas tenir compte des résistances des Hongrois, et d'en venir à bout par la force. Vay essaya en vain de détourner ce coup, en cherchant à rétablir un peu d'ordre dans le pays. Par un rescrit du. 16 janvier, il rappela les comitats au respect des lois existantes; mais une conférence politique, tenue sous sa présidence à Pest le 14 février, ne donna aucun résultat. Son échec laissa le champ libre aux centralistes purs, et à Szécsen, dont l'influence réactionnaire contrecarrait dans le conseil celle de Vay la Patente fut promulguée. Elle portait la signature de Szécsen; Vay avait refusé la sienne. Bientôt d'ailleurs tous deux quittèrent le ministère. Sans appui en Hongrie, trop bureaucrate pour s'entendre avec les vieux-conservateurs, trop centraliste pour pacliser avec les libéraux, Schmerling, par entètement et par orgueil, inaugura en Hongrie une politique de résistance stérile. Peut-être y était-il condamné par son système : car, si les Hongrois étaient venus occuper leurs sièges au Reichsrath, ils auraient pu, de concert avec l'opposition fédéraliste autrichienne, mettre le gouvernement en minorité. Ce danger parut écarté dès que la Diète de Hongrie se réunit, pour la première fois depuis l'écrasement de la révolution, le 6 avril 1864.

A peine lecture donnée du décret qui nommait le président de la Chambre des députés, un membre protesta contre l'ab

sence du contreseing d'un ministre hongrois responsable : dès le premier pas, l'Assemblée se plaçait ainsi sur le terrain de 1848. A peine si, dans son discours d'ouverture, Apponyi osa faire allusion à la Patente de février, tandis que le président d'âge célébrait Louis Batthyány, le premier président du conseil hongrois et l'une des victimes de Haynau, comme un martyr et le modèle du patriotisme hongrois. Les magnats vieux-conservateurs, instruits par l'expérience de la dernière année, avaient reconnu qu'ils n'avaient quelque espoir de rétablir leur influence dans le pays qu'en rivalisant d'exigences avec le parti libéral; la cour cependant continuait à prendre leurs avis, et à les tenir pour une puissance. En réalité, dans la Chambre des députés, le parti extrême dominait; et c'est grâce à son abstention seulement que Deák réussit à faire adopter par la Chambre une adresse au roi; les extrêmes, conduits par Ghyczy et Tisza, auraient voulu une simple résolution, énonçant les droits, les griefs et les conditions du pays, mais sans s'adresser à François-Joseph, roi illégitime puisqu'il n'avait pas été couronné. L'adresse elle-même ne contenait pas le titre de roi, et n'appelait le souverain de fait que « sérénissime seigneur ». Mais il ne consentit à la recevoir que quand les Chambres se furent résignées à le traiter en roi. Pour le fond, elle proclamait que la Hongrie s'en tenait à sa constitution dont la Pragmatique Sanction est une partie; qu'elle était prête mème à aller sur certains points au delà de ses engagements légaux et à s'inspirer surtout de raisons d'équité et de politique; mais qu'en tout cas rien ne pourrait la décider à recevoir des lois d'un Parlement central, à partager ses droits législatifs avec une autre puissance que le roi de Hongrie; or il n'y a de roi de Hongrie que le roi couronné, et la condition du couronnement est l'acceptation de la constitution dans toutes ses parties. Le roi répondit en invitant la Diète à envoyer ses représentants au Reichsrath, pour y exercer l'influence légitime de la Hongrie sur les affaires communes et en ajournant toute entente avec la nation jusqu'au moment où une revision aurait mis les lois de 1848 en harmonie avec les intérêts de la monarchie. La Diète riposta en refusant de

nommer des députés au Reichsrath, en déniant à ce corps toute compétence à l'égard de la Hongrie, en maintenant la pleine validité des lois de 1848, et en déclarant qu'elle considérait les négociations comme désormais sans objet, « Sa Majesté rendant impossible toute entente ». Le 21 août, elle fut dissoute.

Le Reichsrath, sollicité par Schmerling, prit parti par une adresse contre les Hongrois, et tout en déplorant l'interruption en Hongrie de la vie constitutionnelle, proclama la dissolution de la Diète « fondée en droit et commandée par la nécessité ». Il déclara d'autre part que l'abstention d'un des peuples de l'Empire ne pouvait avoir pour effet de priver les autres de l'exercice de leurs droits; et, passant outre à la protestation de la Diète, le Reichsrath étroit, sous quelques réserves de pure forme, vota un budget qui engageait la Hongrie. Mais les Hongrois reprirent leur tactique de grève financière ; le gouvernement se ruina inutilement en frais pour faire rentrer les impôts par l'exécution militaire. La résistance était unanime parmi les Magyars, et prenait des formes dangereuses : le 5 novembre 1861, le gouvernement militaire et l'état de siège furent rétablis en Hongrie. Le pays, suivant la doctrine officielle, avait par la révolution « forfait sa constitution; l'empereur pouvait consentir à lui en rendre une partie, mais il avait le droit de mettre à cela des conditions: reconnaissance de la Patente, participation au Reichsrath. Chaque année, lors de la discussion du budget à Vienne, un groupe de députés libéraux allemands des plus avancés et des plus clairvoyants interpellait le gouvernement sur sa politique hongroise et sur les dangers qu'elle faisait courir à l'Autriche. « Nous pouvons attendre », répondait dédaigneusement Schmerling. Mais l'opinion se lassa vite de ce jeu; parmi les Allemands, l'opposition à cette politique passive grandit, et, dans le conseil, le silencieux comte Maurice Eszterházy attendait le moment de faire triompher la politique des vieux-conservateurs.

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Schmerling ne pouvait, comme Bach, jouer contre les Magyars des nationalités slaves. A amener au Reichsrath les Croates et les Serbes, il eût mis en question sa majorité allemande. Il se borna donc à attirer à Vienne les députés de Tran

sylvanie. Les représentants des Saxons, par sentiment allemand, ceux des Roumains par rancune contre les Magyars, lui procurèrent une majorité à la Diète de Hermannstadt, et celle-ci procéda aux élections pour le Reichsrath. L'entrée des députés transylvains dans l'assemblée, le 20 octobre 1863, fut saluée des applaudissements de la majorité. Le président de la Chambre célébra, dans une allocution, le triomphe de la constitution; complété désormais par des Transleithans, si petit que fût leur nombre, le Reichsrath devenait plénier, et le gouvernement lui reconnut en effet bientôt cette qualité. A diverses reprises les nouveaux arrivés remirent les choses au point ils parlaient avec éloquence de la fidélité de la Transylvanie à l'Empire et à la constitution, mais surtout des vœux du pays en ce qui concernait ses impôts et ses chemins de fer. Au total, c'était un triomphe fort peu triomphal que Schmerling offrait à la cour, tandis que les magnats hongrois, qu'Eszterházy représentait dans le ministère, en fêtaient un autrement grand. Deák, instruit des progrès de l'influence d'Eszterházy, avait publié, à Pâques 1864, dans le Napló, un programme de conciliation renonçant à l'union personnelle pure et simple, il convenait de l'existence d'affaires communes à régler d'accord entre l'Autriche et la Hongrie. En juin 1865, Eszterházy, qui, à l'insu de Schmerling et sur l'ordre exprès de l'empereur, était tenu au courant de tous les actes du gouvernement en Hongrie, décida le souverain à faire un voyage à Pest. L'accueil enthousiaste de la noblesse et du peuple, qui savaient que la crise était proche, ne manqua pas son effet l'empereur, dans une allocution, parla de sa volonté de donner aux peuples de la couronne de Hongrie toutes les satisfactions possibles. Le 26 juin, les ministres apprenaient, en même temps que le public, que Georges de Majláth était nommé chancelier aulique hongrois; c'était un désaveu formel de leur politique; ils y répondirent par leur démission.

Le Reichsrath de 1861 à 1865. Les Tchèques, les Polonais, les Slovènes, les Croates avaient protesté dans leurs Diètes contre la Patente de février, comme contraire à l'esprit et à la lettre du Diplôme d'octobre. Ils parurent pourtant au

Reichsrath, mais en renouvelant leurs réserves. Quand il devint évident que les Hongrois ne s'y laisseraient pas attirer, les Tchèques s'en retirèrent à leur tour. Leurs partis politiques se transformaient à ce moment. La noblesse historique et la bourgeoisie, brouillées depuis l'année de la révolution M. Rieger, à Kremsier, avait proposé l'abolition des titres de noblesse faisaient la paix. Dans les premiers jours de 1861, le comte Clam Martinitz et M. Rieger conclurent l'entente. La bourgeoisie s'engagea à faire sien le programme du droit historique, et la noblesse qui n'est en vérité ni tchèque ni allemande à soutenir les revendications des Tchèques en faveur de leur langue. Mais, par contre-coup, une rupture se produisit parmi les Tchèques. Les Jeunes-Tchèques, conduits par Sladkovsky, reprochèrent à M. Rieger d'avoir trahi l'esprit démocratique et hussite de leur nation, en s'alliant à la noblesse féodale et cléricale. Les choses en vinrent au point qu'ils songèrent un moment à se fondre en un parti avec les Allemands. Privés au Reichsrath de l'appui des voix tchèques, les Polonais et les Slaves du Sud avaient fort à faire pour défendre les droits des nationalités contre les empiètements du gouvernement à chaque budget, et dans toute occasion favorable, ils énuméraient leurs griefs contre le régime de Schmerling qui, dans les mêmes termes exactement que celui de Bach, germanisait, non point au nom de la supériorité des Allemands, mais au nom de l'intérêt de l'État. Les plaintes contre la violence faite aux populations slaves dans l'instruction, dans la justice, dans l'administration, ne prenaient pas de fin.

La majorité allemande couvrait sur ce point le gouvernement sur d'autres, elle se séparait de lui. Impossible pour elle d'obtenir des lois vraiment libérales, en particulier sur la responsabilité des ministres et sur les rapports des confessions entre elles et avec l'État, comme premier pas vers l'abrogation du Concordat. La cour n'en voulait point entendre parler entre l'assemblée, jalouse de ses droits, et l'empereur, jaloux de son autorité, Schmerling se trouvait sans cesse entre deux feux. Les choses se gàtèrent tout à fait dans la troisième session du Reichsrath, en 1864-1865. La Chambre adopta une.

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