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deux chefs politiques du parti, Hadji Mohammed Ali, la rejoignit au bourg de Bedecht, près de Bastam. La révolution babiste commençait (août 1848). En septembre, le Chah de Perse mourait; son successeur, Nasr ed-Din n'avait que seize ans ; l'homme d'action babiste, le révolutionnaire Mollah Husseïn, jugea que le moment était venu; il prit la tête du mouvement, écrivit à Hadji Mohammed et à Tahiré de venir le rejoindre à Bar Fourouch en Mazanderan, où il s'installa lui-même hardiment, terrorisant toute la ville avec une poignée de partisans qu'il y avait. Tahiré ne rejoignit pas les compagnons; suivie de quelques fidèles, elle parcourut les campagnes, prêchant de village en village.

Le coup de force de Mollah Husseïn et de Hadji Ali et les clameurs des ulémas décidèrent le nouveau gouvernement du jeune roi, dirigé par son vizir, par le clergé, et poussé par les propriétaires du Mazanderan, à sévir.

Bab fut amené de la citadelle de Tchégrik avec ses deux disciples, Seïd Husseïn et Seïd Hassan, en compagnie desquels il y était détenu. « Les deux frères furent amenés avec Bab, et jetés dans un cachot où se trouvaient déjà depuis quelques jours deux de ses partisans. Ils sortirent cinq de ce cachot pour marcher à la mort, et deux seulement furent exécutés, car Seïd Ahmed et les deux frères renièrent leur maître. »

Bab, d'après M. Kazem Beg, s'était contenté de répondre doucement au président du tribunal ecclésiastique : « Ainsi, tu me condamnes à mort? »

En Perse, on fusille par derrière; Agha Mohammed Ali et Bab demandèrent tous deux à recevoir la mort en face. Par un hasard extraordinaire, les balles ne touchèrent que les cordes qui tenaient Bab attaché; elles se rompirent et il se sentit libre. Bab se précipita, dit-on, vers le peuple en essayant de faire croire à un miracle. Il eùt peut-être réussi, si les soldats avaient été des musulmans; mais les sarbazes (soldats) chrétiens accoururent aussitôt en montrant au peuple les cordes que les balles avaient coupées et lièrent Bab une seconde fois. Agha Mohammed Ali fut fusillé le premier, Bab après lui (19 juillet 1849).

En Azerbaïdjan, en Irak et surtout en Mazanderan, les Babis soulevés par Tahiré et par Mollah Husseïn se défendirent sérieusement. La lutte armée dura de décembre 1848 à fin août 1849. Sept cents Babis, qui s'étaient fortifiés autour du tombeau du cheïkh Tabersi, près de Sari en Mazanderan, tinrent bon pendant six mois contre des troupes plus ou moins régulières, vingt fois supérieures en nombre, qui furent battues dans quatre sorties des assiégés. Les Babis furent réduits par la famine; les généraux persans leur proposèrent une capitulation qu'ils acceptèrent; elle fut violée. Dans le reste de la Perse, la répression fut atroce. Tahiré, arrêtée en Azerbaïdjan, fut gardée en cachot pendant trois ans. Au moment d'un nouveau soulèvement de Babis, en 1852', elle fut étranglée dans sa prison. Le massacre de 1852 fut encore pire que celui de 1849. C'est à cette époque que le successeur de Bab, reconnu par le parti, Mirza Yahia (Jean), se réfugia à Bagdad, en territoire. turc; un autre chef Babi, Mirza Husseïn Beha Allah, vint l'y rejoindre à sa sortie de prison, en 1853. En 1864, le gouvernement persan, inquiet de la propagande babiste à Bagdad, si près de sa frontière, adressa des réclamations au gouvernement turc; les chefs Babis furent internés à Constantinople, où ils entrèrent en relations avec le parti naissant de la Jeune Turquie »; le gouvernement dispersa le groupe des émigrés, et interna Beha à Saint-Jean-d'Acre et Yahia à Famagouste, dont le gouverneur était justement Zia, l'un des meilleurs écrivains et l'un des fondateurs du parti de la « Jeune Turquie ». Le parti actif des Babistes réfugiés dans l'empire ottoman, sous l'influence de Yahia, à la suite de ses relations avec Zia Pacha, et plus tard avec Mehemed Bey, a peu à peu perdu son caractère religieux et s'est fondu, comme parti socialiste et révolutionnaire, dans les groupes les plus avancés de la « Jeune Turquie Le parti mystique et théologien, celui de Beha, s'est développé en secte religieuse à tendances libérales. Les Babis de la secte de Beha font de la tolérance article de foi, imposent aux fidèles le pardon des offenses et le précepte: « Fais à autrui ce que tu

1. De nouvelles tentatives babistes ont été réprimées en 1878, 1888 et 1889.

».

voudrais qu'il te fasse », suppriment deux prières sur cinq, le pèlerinage de la Mekke, etc. Comme tous les Babis, d'ailleurs, ils n'admettent pas l'impureté légale (dans les aliments et le vêtement) et proclament l'égalité de la femme. La secte fait une propagande active en Turquie d'Asie, surtout dans l'Irak, en Perse méridionale et dans l'Inde.

BIBLIOGRAPHIE

Les livres et les périodiques imprimés en turc et en arabe ne figurent pas dans cette Bibliographie.

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Pour l'Islamisme, sa doctrine, son histoire, ses sectes, voir : Edward Sell, The faith of Islam, 2e éd., Londres, 1876. Bosworth Smith, Mohammed and Mohammedanism, 2o éd., Londres, 1876. - Garcin de Tassy, Doctrines et devoirs de la religion musulmane, tirés du Coran, suivis de l'Eucologe musulman, in-8, Paris, 1840; Science des religions. L'islamisme d'après le Coran, l'enseignement doctrinal et la pratique, in-8, Paris, 1874. Sylvestre de Sacy, La religion des Druses. Barbier de Meynard, Journal asiatique, VIIe série, t. XIV (1874) (pour les hérésies musulmanes). Goldziher, Revue des religions, t. XXVI, no 2, 1892 (id.). Catafago, Journal asiat., IVe série, t. II (pour la secte des Ansariés). L'Albania (Revue albanaise), Bruxelles, 1898 (pour les doctrines des Bektachis). Pour la Turquie, voir Engelhardt, La Turquie et le Tanzimat, Paris, 1882-1883. Vital Cuinet, La Turquie d'Asie; Géographie administrative, Paris, 1891-1894. Ubicini et Pavet de Courteille, État présent de l'empire ottoman, Paris, 1876. Belin, Essais sur l'histoire économique de la Turquie, in-8, Paris, 1865; Étude sur la propriété foncière en pays musulman et particulièrement en Turquie, in-8, Paris, 1862; Extrait d'un mémoire sur l'origine et la constitution des biens de mainmorte en pays musulman, in-8, Paris, 1834; De l'Instruction publique et du mouvement intellectuel en Orient, in-8, Paris, 1866; Bibliographie ottomane, in-8, Paris, 1868 et 1869 (commencée dans le Journal asiatique, par de Hammer et Bianchi, et continuée dans le même recueil, par Clément Huart). · De Salves, Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1874 (pour le Lycée français de Constantinople). - Ali Suavi, A propos de l'Herzégovine, in-8, Paris, 1875 (comme type du parti ultra-patriote, dans la Jeune Turquie).

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Pour l'Egypte :

Égypte, Paris, 1889.

Yacoub Artin Pacha, L'Instruction publique en

Pour le Babisme et la Perse : — Mirza Kazem Beg, Bab et le Babisme, dans Journal asiat., VIe série, t. VII et VIII, abrégé dans Clément Huart, La Religion de Bab, Paris, 1889. Nicolas, L'Instruction publique on Perse (Journal asiat., Ve série, t. IX), Pour l'Inde. Garcin de Tassy, La langue et la littérature hindoustanies de 1850 à 1869, in-8, Paris, 1874 (continué en brochures annuelles à partir de 1870).

Pour l'Albanie, voir l'Albania, année 1898 (Bruxelles). Le colonel Becker, L'Albanie et les Albanais, in-8, Paris, 1880. Wassa Pacha, Albanien und die Albanesen, Berlin, 1879.

CHAPITRE XVI

L'ALGÉRIE ET LES COLONIES FRANÇAISES

De 1848 à 1870.

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L'Algérie en 1848. - En 1848, les grandes guerres d'Afrique sont terminées. Les puissants remueurs d'hommes en qui s'est incarnée la résistance, Abd-el-Kader, Bou-Maza, ont disparu de la scène; Ahmed-Bey, depuis longtemps réduit à l'impuissance, va faire sa soumission. Les villes du littoral se transforment en villes françaises autour desquelles on voit surgir déjà une banlieue de villages européens. A l'intérieur, Constantine, Sétif, Aumale, Médéa, Orléansville, Mascara, Sidibel-Abbès, Tlemcen jalonnent le pays de l'est à l'ouest et tiennent en bride les sédentaires du Tell. Plus loin, la ligne des anciennes forteresses d'Abd-el-Kader Biskra, Boghar, Saïda, Sebdou, commande les Hauts-Plateaux. Pour achever la conquête, il ne reste plus qu'à soumettre les ilots montagneux des Kabylies, à maîtriser les nomades en occupant les principales oasis et en étendant sur le Sahara du Nord la domination ou l'influence française. Il s'agit maintenant de mettre en valeur ce vaste domaine, dont les uns s'exagèrent, dont les autres méconnaissent la richesse. Désormais les questions d'organisation, de peuplement, de colonisation vont passer au premier plan.

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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Les colons de 1848. La constitution de 1848 déclara l'Algérie partie intégrante du territoire français et lui accorda une représentation dans les assemblées nationales. On songea à l'utiliser pour résoudre le problème social tragiquement posé par les journées de juin. Il fut un moment question d'y envoyer comme colons les insurgés prisonniers. Enfantin proposait de constituer pour eux des lots de 150 hectares qui, au bout d'une période de dix années, seraient attribués, moitié au colon qui les aurait fait valoir, moitié aux khammès ou mélayers indigènes associés à l'exploitation. Ce plan ne fut adopté qu'avec des modifications qui le dénaturaient complètement. On se contenta d'embaucher les ouvriers parisiens que laissaient sans travail la suppression des ateliers nationaux et la persistance de la crise industrielle. On donna à leur départ une solennité un peu théâtrale. Ils prenaient passage avec leur famille sur des radeaux qui remontaient la Seine et l'Yonne, gagnaient la Saône par le canal de Bourgogne, puis descendaient jusqu'à l'embouchure du Rhône, d'où ils étaient remorqués jusqu'à Marseille. Des navires de l'État transportaient ensuite les émigrants en Algérie. Chacun d'eux recevait en arrivant une concession d'une dizaine d'hectares, avec une maison toute bâtie, des instruments de labour et des semences. En attendant les premières récoltes, on leur distribuait des ralions de vivres et on leur prêtait des bestiaux. Cette entreprise, à laquelle furent consacrés les 50 millions votés par l'Assemblée constituante, était vouée d'avance à un échec certain. Les lots étaient trop restreints, le recrutement trop défectueux. Outre qu'il n'était guère facile à des ouvriers d'art ou d'industrie de se transformer tout à coup en agriculteurs, beaucoup se reposaient sur l'État du soin d'assurer leur existence, et réclamaient comme un droit la continuation des secours temporaires du début. La commission d'enquête de 1849, dont Louis Reybaud fut le rapporteur, ne dissimula point et exagéra plutôt l'insignifiance des résultats. Toutefois les quarante-deux villages qui avaient été créés subsistèrent, les mauvais éléments de l'émigration parisienne s'éliminèrent d'eux-mêmes. Les autres s'allachèrent au sol et firent souche de véritables colons. Malgré les erreurs qui

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