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consultes romains, que quand un homme réside la moitié de l'année dans un lieu et l'autre moitié dans un autre lieu, il n'y a pas de raison pour décider qu'il a son domicile dans celui-ci plutôt que dans celui-là; qu'il est même juste que des ouvriers ou des marchands qui ont des demandes à former contre lui, pour ouvrages ou fournitures faites à la campagne, ne soient pas obligés de le poursuivre devant les tribunaux de Paris (1). Cette opinion ne prévalut point. Les auteurs du code avaiem déclaré formellement dans leur projet que personne ne pouvait avoir deux domiciles. Si cette disposition fut retranchée, c'est qu'elle était inutile en présence de l'article 102, qui dit implicitement la même chose. Toutes les dispositions du code Napoléon sur cette matière impliquent l'unité de domicile; on ne peut acquérir un nouveau domicile qu'en perdant l'ancien; la succession s'ouvre à un domicile unique; les actions personnelles s'intentent devant le domicile, quand il est connu, devant le tribunal de la résidence, quand le domicile est inconnu. Il est donc de l'essence du domicile qu'il soit unique. C'est la remarque que Tronchet fit au conseil d'Etat (2). Malherbe, l'orateur du Tribunat, explique la loi en ce sens Chaque individu ne peut avoir qu'un domicile, quoiqu'il puisse avoir plusieurs résidences. Il était essentiel de ne laisser aucun doute sur l'unité du domicile, pour prévenir les erreurs et les fraudes que pouvait produire le principe contraire, admis par l'ancienne jurisprudence cette unité est positivement établie par le premier article de la loi proposée (3). »

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70. L'application de ces principes aux personnes civiles et aux sociétés donne lieu à des difficultés sérieuses. Il est évident que les personnes morales n'ont pas de domicile proprement dit. En effet, le domicile suppose une habitation; or, les personnes physiques seules habitent un lieu déterminé une fiction légale n'a de résidence nulle part. Puis, il faut que celui qui a une habitation ait l'inten

(1) Séance du conseil d'Etat du 12 brumaire an x (Locré, t. I, p. 175, n® 4).

(2) Séance du 16 fructidor an Ix (Locré, t. II, p. 167, n° 3).

(3) Locré, Législation civile, t. II, p. 188, no 2.

tion d'y fixer son principal établissement; or, les personnes morales ne sont pas susceptibles de volonté. Cependant les corps, les établissements publics ayant des droits, sont dans le cas de les soutenir en justice; il faut donc que le demandeur sache devant quel tribunal il doit les traduire. Le code de procédure a résolu cette première difficulté en décidant devant quel tribunal on doit assigner l'Etat, les communes, les établissements publics et les sociétés de commerce (art. 69).

Il y a une difficulté particulière aux sociétés de commerce. On demande si elles peuvent avoir plusieurs domiciles. En principe, il faut décider que l'unité de domicile étant la règle pour le domicile réel, il faut appliquer cette règle aux personnes morales comme aux personnes physiques. Aussi l'article 69 du code de procédure dit-il que les sociétés de commerce seront assignées en leur maison sociale. Reste à savoir si une société peut avoir plus d'une maison sociale. Cela se comprend pour les sociétés qui étendent leurs opérations sur tout un royaume, et parfois même dans les pays voisins. Ce qui est impossible pour l'homme devient possible pour des êtres moraux, puisque pour eux le domicile n'est qu'une fiction. Il est attaché au siége de leurs affaires; or, ils peuvent avoir plus d'un centre d'opérations, donc plus d'un domicile. La cour de cassation a jugé plusieurs fois en ce sens contre la Compagnie du chemin de fer de l'Est. Elle part de ce principe qu'une société peut avoir plusieurs maisons en divers lieux; l'article 43 du code de commerce le prouve, puisqu'il exige la publication des actes de société dans chacun des arrondissements où la société a des maisons de commerce, ce qui suppose que la société a autant de domiciles que de maisons diverses. Reste à savoir si, en fait, une société a plusieurs maisons. Cette question doit être décidée d'après les circonstances. Les actes de société fixent toujours un siége social, à Paris, nous le supposons; il en est ainsi de la Compagnie de l'Est. Cela ne prouve pas que la compagnie n'a qu'un seul domicile, à Paris. Le tribunal de commerce de Mulhouse a constaté qu'elle avait dans cette ville un centre d'opérations de la plus haute importance, une véri

table maison de transport, donc une maison dans le sens du code de procédure, partant un domicile (1).

Faut-il conclure de là que les sociétés ont une maison et, par suite, un domicile partout où elles ont un établissement, tel qu'une gare où elles reçoivent des marchandises? Non, car la règle est l'unité de domicile, et ce domicile est en la maison sociale; or, personne ne prétendra que chaque gare soit une maison sociale. Pour que le chef de gare pût être actionné, il devrait avoir un mandat qui lui donne qualité de représenter la société (2).

Cette doctrine n'est pas sans inconvénient dans la pratique. Comment savoir si un établissement constitue une maison sociale, alors que les actes de société ne parlent que d'un seul siége social? Comment savoir si tel agent a pouvoir de représenter la société en justice? De là une grande incertitude dans la jurisprudence, ceux qui traitent avec une compagnie ayant intérêt à l'assigner sur les lieux, tandis que la compagnie cherche à attirer tous les procès à son siége social (3). M. Demolombe croit que la compagnie est censée avoir élu domicile partout où elle traite avec des particuliers (4). Cela suppose qu'il peut y avoir une élection de domicile tacite, et sur ce point il y a controverse. A vrai dire, nos lois n'ont pas prévu l'immense mouvement d'affaires auquel l'association donne lieu. Le gouvernement pourrait suppléer au silence des textes, en exigeant que les compagnies élisent domicile partout où elles ont un établissement.

71. En disant que le domicile de tout Français est au lieu où il a son principal établissement, la loi suppose qu'il peut avoir plusieurs établissements, c'est-à-dire plusieurs résidences, dont l'une est le domicile. Il ne faut donc pas confondre le domicile avec l'habitation. Sans doute le domicile suppose l'habitation, mais comme il est de droit

(1) Arrêts de la cour de cassation du 30 juin 1858 (Dalloz, Recueil périodique, 1858, 1, 424) et du 16 janvier 1861 (Dalloz, 1861, 1, 126).

(2) Ainsi décidé par arrêts de la cour de cassation du 5 avril 1859 (Dalloz, Recueil, 1859, 1, 148) et du 16 mars 1858 (Dalloz, 1858, 1, 130).

(3) Voyez, sur ces tiraillements de la jurisprudence, une note insérée dans le Recueil de Dalloz, 1859, 1, 147.

(4) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ior, p. 606 et suiv.

plutôt que de fait, il peut arriver qu'une personne ait son domicile là où elle n'a aucune habitation. Le mineur à son domicile chez son tuteur; il se peut cependant qu'il habite avec le survivant de ses père et mère, qui a refusé la tutelle ou qui s'est fait excuser. Dans ce cas, on acquiert un domicile sans que l'on habite le lieu où la loi le fixé. Il arrive plus souvent que l'on conserve son domicile par la seule intention et sans résidence aucune. Celui qui quitte le lieu où il est domicilié et s'établit ailleurs, mais sans avoir l'intention d'y fixer son principal établissement, ne change pas de domicile; il conserve celui qu'il avait, bien qu'il cesse de l'habiter. Ces principes étaient déjà enseignés dans l'ancien droit (1). Ils sont élémentaires.

Faut-il dire, avec un auteur moderne, qu'ils reçoivent exception quand la maison qu'une personne habite, et quí est son domicile, est détruite par un incendie ou une inondation? Marcadé prétend que dans ce cas cette personne n'a plus de domicile, parce que la force majeure qui l'a fait disparaître n'en a pas créé d'autre (2). C'est confondre le domicile, qui est de droit, avec la résidence, qui est do fait. On ne peut perdre son domicile que par sa volonté. Celui dont l'habitation est détruite conserve l'intention d'y maintenir son principal établissement; il conserve donc son domicile.

La résidence, à la différence du domicile, n'a pas d'effets juridiques. Quand les lois parlent du domicile, elles entendent le domicile réel défini par l'article 102. Il y a cependant, par exception, des cas où la loi attache des effets à la résidence, soit concurremment au domicile, comme en matière d'absence (art. 116), soit de préférence au domicile de droit, comme en matière de mariage (art. 74, 214, 230). Elle se détermine alors par la considération que la personne qui a tout ensemble un domicile et une autre résidence où elle habite, est plus connue au lieu où elle habite de fait qu'au lieu où elle est domiciliée de droit. Quand le domicile est inconnu, la résidence le remplace;

et 10.

(1) Pothier, Introduction générale aux coutumes, chap. Ier, § 1, no ɔ (2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 239, no 4.

les assignations se font alors à la résidence et devant le tribunal de ce lieu (art. 2, 59 et 69 du code de procédure). Il y a des personnes qui peuvent ne pas avoir de domicile en France; pour les étrangers, la résidence tient lieu de domicile (code civil, art. 14).

72. L'article 102 limite le domicile réel à l'exercice des droits civils. Il suppose qu'il y a des droits politiques qui peuvent être exercés à un autre domicile. En effet, d'après les lois françaises, on distingue le domicile civil du domicile politique. Cette distinction était très-marquée sous l'empire de la constitution de l'an vIII. Elle prescrivait l'inscription des citoyens sur des registres civiques, comme condition de l'exercice des droits politiques. Or, l'on pouvait s'inscrire au lieu de sa résidence; le domicile politique était donc indépendant du domicile civil, comme le dit formellement le décret du 17 janvier 1806 (1). Cette différence n'existe plus d'après la législation belge; les droits politiques, tels que le droit d'élection, s'exercent au domicile réel (2).

SECTION II. — Comment se déterminé le domicile.

§ Ier. Du domicile d'origine.

73. Le projet de code contenait une disposition qui réglait la manière dont se forme le domicile. Lors de la discussion du titre III au conseil d'Etat, le premier consul fit la remarque que cette expression n'était pas exacte. « Le domicile, dit Napoléon, est formé de plein droit par la naissance. C'est dans le lieu où un homme naît qu'est d'abord son établissement principal, c'est-à-dire son domicile; il faut donc expliquer, non comment le domicile se forme, mais comment il peut changer (3). » Le domicile que l'enfant acquiert en naissant s'appelle le domicile d'origine; les anciens auteurs le nomment domicile naturel,

(1) Merha, Répertoire, au mot Domicile, § 1; Valette, Explication sommaire du livre IT du Code Napoléon, p. 58.

(2) Loi électorale du 3 février 1831, article 19.

(3) Séance du 16 fructidor an Ix (Locré, t. 11, p. 171, no 13).

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