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parce que c'est la nature qui le donne au nouveau-né. Il ne faut pas le confondre avec le domicile de naissance. Sans doute, l'enfant, en naissant, a le domicile de son père, mais ce domicile de naissance n'est pas toujours le domicile d'origine; en effet, le père peut changer son domicile; par suite, celui de l'enfant changera également. Quel est donc son domicile d'origine? C'est celui que le père avait au moment où l'enfant devient libre de disposer de sa personne (1).

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74. Le domicile d'origine a une grande importance. Il est de principe que l'on conserve son domicile d'origine jusqu'à ce qu'on en prenne un autre. Cela est élémentaire et traditionnel. Le président Bouhier disait : « On est présumé garder le domicile naturel toute sa vie, à moins que l'on ne prouve que l'on en ait changé (2). » Pothier l'appelle domicile paternel. C'est, dit-il, celui que les enfants ont reçu de leurs parents, et qu'ils sont censés conserver tant qu'ils ne s'en sont pas choisi un autre (3). Bouhier en tire cette conséquence, que la résidence en un lieu différent du premier domicile, quelque longue qu'elle soit, ne suffit pas pour qu'il y ait changement de domicile, à moins qu'il ne paraisse qu'on ait véritablement le dessein de s'y fixer. La raison en est, dit-il, que c'est la volonté plutôt que l'habitation qui fait la translation de domicile, et que sans cela on est moins censé résider en un lieu que voyager, comme disent les lois (4).

La jurisprudence a appliqué ce principe dans des cas mémorables. En 1777, le sieur de Saint-Germain, né en France, mourut à Chandernagor; il y avait été gouverneur de la colonie pendant quarante-cinq années, puis il continua à y résider pendant quinze ans comme particulier; il s'y était marié et il y tenait le siége de ses affaires. En 1809, la question se présenta de savoir où s'était ouverte sa succession, à Paris ou à Chandernagor. La cour de Paris décida

(1) Richelot, Principes du droit civil français, t. Ier, p. 326.

(2) Bouhier, Observations sur la coutume du duché de Bourgogne, chapitre XXII, no 3.

(3) Pothier, Introduction aux coutumes, chap. Ier, no 12.

4 Boulier, Observations sur la coutume de Bourgogne, chap. XXII.

que Saint-Germain avait conservé son domicile en France, malgré sa grande résidence dans l'Inde, parce qu'on ne prouvait pas de sa part une intention contraire (1); or, c'est surtout l'intention, comme le dit le président Bouhier, qui détermine le changement de domicile. Quand donc cette intention n'est pas démontrée, il faut dire que le domicile d'origine subsiste. D'où suit que toute personne a un domicile certain, celui de son père, son domicile naturel ou d'origine.

75. Le principe que toute personne a un domicile d'origine, et qu'elle le conserve, au besoin, toute sa vie, est con testé par plusieurs auteurs (2). Ils demandent où est le domicile d'origine d'un enfant né de parents sans résidence fixe, et qui depuis sa naissance a partagé leur vie vagabonde. Nous avons répondu d'avance à la question. Qu'importe que les parents n'aient point de résidence fixe? Ils n'en ont pas moins un domicile, fût-ce celui de leurs père et mère. Fiction, dit-on, abstraction. Oui, le domicile est parfois une fiction, mais c'est la loi qui le veut ainsi, et nous devons accepter cette fiction, parce qu'elle a sa raison d'être, pour mieux dire sa nécessité, car il est nécessaire que toute personne ait un domicile de droit. On prétend que ce domicile fictif est en opposition avec le texte de l'article 102, lequel exige un principal établissement, pour qu'il y ait domicile. Donc, dit-on, ceux qui n'ont aucun établissement n'ont pas de domicile. Nous répondons que toute personne a un établissement, dans le sens légal du mot. Elle en a un en naissant; car, dit le rapporteur du Tribunat, le premier domicile du citoyen est celui de son origine, c'est-à-dire celui de son père (3). Voilà un établissement qui ne manque à personne, et que l'on conserve jusqu'à ce que l'on en acquière un autre. Telle était la doctrine de l'ancien droit, et c'est aussi celle du code; elle est si élémentaire que le premier consul, étranger aux subti

(1 Arrêt de la cour de Paris du 30 juillet 1811 (Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 47, 2o)..Comparez arrêt de la cour d'Orléans du 6 août 1863 (Dalloz, Recueil périodiqué, 1864, 2, 14).

(2) Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 200 et suiv., no 128 des, IV; Demolombe, Cours de code Napoléon, t. I, p. 568 et suiv., no 348.

(3, Mouricault, Rapport au Tribunat (Locré, t. II, p. 183, no 4),

lités du droit, la professa au conseil d'Etat. Nos textes la consacrent; ils ne parlent pas d'une perte pure et simple du domicile, d'une abdication du domicile d'origine; ils supposent toujours un changement de domicile, soit par la volonté de celui qui est capable de disposer de sa personne, soit par l'effet de la loi. Donc celui qui ne change pas de domicile conserve son domicile d'origine. Vainement insiste-t-on sur les inconvénients qui résultent de cette doctrine. Nous avons déjà repoussé plus d'une fois cette objection par une fin de non-recevoir; elle s'adresse au législateur, l'interprète n'a pas à s'en préoccuper, il est lie par la loi, bonne ou non. Est-ce à dire que la loi soit mauvaise? Faut-il modifier les principes pour quelques individus qui trouvent bon de mener une vie vagabonde? Si on leur fait des significations à un domicile fictif, à qui la faute? Ne dépend-il pas d'eux d'avoir un domicile véritable (1)?

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76. Une chose est vraie il se peut que le domicile d'origine soit inconnu, ou du moins très-incertain, ce qui revient au même. Ceux qui n'ont pas de domicile certain, dit M. Demolombe, n'ont pas de domicile, même dans la subtilité du droit. En théorie, cela est faux, une chose pouvant très-bien être sans qu'on en connaisse l'existence. Quand l'événement qui constitue une condition est accompli, quoique les parties l'ignorent, dira-t-on qu'il y a condition? Non, certes. Le domicile existe en vertu de la loi; il n'y a pas de plus forte certitude. Toutefois il se peut que, de fait, le domicile ne soit pas connu. Les assignations se font en ce cas à la résidence. Il en est de même de l'ouverture de la succession. M. Demolombe entre à ce sujet dans des distinctions toutes gratuites et arbitraires. Nous croyons avec Savigny que la solution de la difficulté est très-simple. On suppose que le défunt n'avait pas de résidence fixe; il avait au moins une résidence temporaire, il a bien dû mourir dans un lieu déterminé. C'est là que sa succession s'ouvrira (2).

(1) Mourlon. Répétitions sur le code civil, t. Ier, p. 196-198.

(2 Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ter, p. 567; Savigny, Traité de droit romain, t. VIII, p. 107, § 359.

7. On conserve le domicile d'origine jusqu'à ce qu'il soit remplacé par un autre. Comment ce changement s'opère-t-il? On peut acquérir un nouveau domicile par sa volonté ou par l'effet de la loi.

SII. Du changement de domicile par la volonté de l'homme.

78. Aux termes de l'article 103, « le changement de domicile s'opère par le fait d'une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l'intention d'y fixer son principal établissement. Il faut donc deux conditions pour le changement de domicile, le fait et l'intention. Ce principe, emprunté au droit romain et suivi dans l'ancienne jurisprudence (1), est fondé sur la nature même des choses. Le fait d'une autre habitation est nécessaire pour qu'il y ait changement de domicile, l'intention seule ne suffit pas, parce que le domicile exige un établissement; donc si l'on veut changer de domicile, il faut un autre établissement, c'est-à-dire une autre résidence. De là suit, dit Pothier, que quelques signes qu'une personne ait donnés de la volonté qu'elle a de transférer son domicile dans un autre endroit, et quelque raison qu'elle ait de l'y transférer, elle conserve son ancien domicile jusqu'à ce qu'elle se soit effectivement transportée au lieu où elle veut en établir un nouveau, et qu'elle l'y ait effectivement établi. Il faut, en second lieu, l'intention de transférer son principal établissement à la nouvelle résidence. Sans cette intention, il n'y aurait pas changement de domicile, quand même il y aurait changement d'habitation; car ce n'est pas l'habitation qui constitue le domicile, c'est le principal établissement. On peut donc aller habiter ailleurs et conserver son ancien domicile. C'est ainsi que le domicile d'origine peut rester le domicile d'une personne pendant toute sa vie, bien qu'elle n'ait plus sa première résidence.

Les deux conditions prescrites par l'article 103 doivent concourir, comme l'a très-bien expliqué la cour de

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(1) L. 20, D., ad munic. (L, 1): Domicilium re et facto transfertur, non nuda contestatione. Pothier, Introduction aux coutumes, chapitre Ier, n° 14.

cassation. S'il y a intention de changer de domicile, sans le fait d'une nouvelle habitation, il y aura eu projet de transférer son domicile, mais ce projet aura été abandonné. Que s'il y a changement de résidence, et que le fait n'est pas accompagné de l'intention de changer de domicile, ce fait n'aura qu'un caractère purement provisoire, sans influence légale (1). Mouricault, dans son rapport au Tribunat, remarque qu'il résulte de là une différence considérable entre la conservation du domicile et le changement de domicile. Pour consommer un changement de domicile, il faut, dit-il, la réunion manifeste du fait et de l'intention; tandis que, pour conserver le domicile d'origine ou un domicile quelconque, il suffit de l'intention (2). Il y a plus; on peut même acquérir un domicile, soit par le seul fait, soit par la seule intention. L'enfant, en naissant, a le domicile de son père, par le fait seul de sa naissance, sans intention aucune, puisqu'il n'est pas capable de volonté. Le fonctionnaire inamovible acquiert un nouveau domicile par la seule intention qu'il manifeste en prêtant serment, et avant tout changement de résidence. C'est que la loi supplée, dans ces cas, ce qui manque pour l'acquisition du domicile.

79. La condition du fait ne donne pas lieu à des difficultés sérieuses. Il faut sans doute l'habitation dans un lieu différent pour qu'il y ait changement de domicile, on pourrait même croire qu'en changeant de résidence, on change nécessairement de domicile. Non, dit Pothier, il faut voir quelle est la cause qui nous appelle en un autre lieu; est-elle passagère, il n'y aura pas de nouveau domicile. Pothier donne comme exemple le cas d'un jeune homme qui va demeurer dans une ville pour y faire ses études; il n'est pas censé y avoir acquis domicile. C'est la décision d'une loi romaine, mais la loi ajoute que s'il avait demeuré dix ans dans cette ville, il faudrait dire qu'il y a translation de domicile; car le temps des études ne pouvant être si long, ce long temps qu'il aurait passé ferait présumer

(1) Arrêt du 7 mai 1839 (Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 25, t. XVII, p. 385).

(2) Locré, Législation civile, t. II, p. 184, no 6

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