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qu'il y a établi son domicile (1). La cour de cassation a décidé dans le même sens que si celui qui étudie le droit ou la médecine dans une ville, continue à l'habiter après avoir achevé ses études, il peut, suivant les circonstances, y acquérir un nouveau domicile (2). Le principe qu'une cause passagère qui a engagé une personne à s'établir ailleurs ne lui acquiert pas un nouveau domicile, ne doit pas être entendu en ce sens que ceux qui s'établissent dans un lieu avec esprit de retour, conservent par cela même leur ancien domicile. C'est la nature de l'établissement qui décide la question; il faut que ce soit le principal établissement, pour qu'il entraîne un nouveau domicile. Mais aussi, si c'est le principal établissement, il y a translation de domicile, quand même il y aurait esprit de retour. Le contraire se lit quelquefois dans les arrêts: on dit que celui qui conserve l'esprit de retour conserve aussi son domicile. En fait cela peut être très-vrai, cela dépend de l'intention, seconde condition requise pour qu'il y ait changement de domicile. Seulement il ne faut pas que des faits isolés soient érigés en une règle de droit.

L'on demande si l'habitation doit avoir duré pendant quelque temps pour qu'il y ait changement de domicile. Lors de la discussion du code, on avait proposé que la nouvelle résidence eût quelque durée. Le changement de domicile intéresse les tiers; il est donc utile, disait-on, qu'il soit manifesté par un fait public d'une certaine durée qui apprenne aux intéressés que telle personne avec laquelle ils ont traité a changé de domicile. Ce serait aussi un moyen de déjouer la fraude de la part d'un débiteur qui, pour se soustraire aux poursuites de ses créanciers, changerait coup sur coup d'habitation. Ces raisons ne prévalurent pas. On répondit que la translation de domicile était un droit, que ce droit ne pouvait pas être limité, en ce sens que la loi maintiendrait le domicile d'une personne dans son ancienne résidence pendant un certain temps, alors que sa volonté et son intérêt sont d'accord pour chan

(1) L. 2, C., de incolis (X, 40). Pothier, Introduction aux coutumes, chapitre Ier, no 15.

(2) Arrêt du 31 juillet 1843 (Dalloz, Recueil périodique, 1843, 1, 395).

ger immédiatement de domicile. Tels étaient les principes suivis dans l'ancien droit. On décidait qu'une habitation d'un jour ou même d'un moment suffisait pour opérer le changement de domicile, bien entendu si l'intention de fixer dans ce lieu son principal établissement était prouvée (1). C'est dans le même sens que l'orateur du gouvernement explique le système du code civil. « La résidence la plus longue, dit Emmery, ne prouve rien, si elle n'est pas accompagnée de volonté; tandis que si l'intention est constante, elle opère avec la résidence la plus courte, celle-ci ne fût-elle que d'un jour (2). » Il a été jugé que la résidence, quelque courte qu'elle soit, " « » suffit pour la translation du domicile, lorsque l'intention d'y fixer son principal établissement est constante (3).

80. Il est plus difficile de déterminer l'intention. D'après le code Napoléon, elle peut être expresse ou tacite (articles 104 et 105). C'est l'application d'un principe général; la volonté de l'homme peut se manifester soit par des déclarations formelles, soit par des faits. L'article 104 définit l'intention expresse, et donne en même temps à toute personne un moyen très-simple de faire connaître la volonté qu'elle a de changer de domicile : « La preuve de l'intention résultera d'une déclaration expresse, faite tant à la municipalité du lieu qu'on quittera qu'à celle du lieu où l'on aura transféré son domicile. » Il faut une double déclaration. La déclaration faite seulement à l'une des deux municipalités ne serait pas une preuve de l'intention. En effet, l'intention reste douteuse, elle n'est encore qu'à l'état de projet, tant que la déclaration n'est faite qu'à l'une des municipalités. De plus, comme le dit Demante, les tiers pourraient être trompés s'il n'y avait qu'une seule déclaration; ceux qui s'informeraient à la commune où elle n'a pas été faite, devant croire que celui qui change d'habitation n'a pas l'intention de changer de domicile (4).

(1) Bouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, chapitre XXII, no 198.

(2 Emmery, Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 181, no 3).

(3) Arrêt de la cour de Limoges du ler septembre 1813 (Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 29).

(4) Ainsi décidé par un arrêt de la cour de Toulouse du 26 février 1850,

Est-ce à dire que cette déclaration simple n'ait aucun effet? Si réellement une personne a quitté sa résidence pour s'établir ailleurs, la déclaration qu'elle aura faite, soit à la commune qu'elle quitte, soit à celle qu'elle va habiter, sera un des faits qui serviront, en cas de contestation, à déterminer son intention (1).

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81. A défaut de déclaration expresse, dit l'article 105, la preuve de l'intention résultera des circonstances. » La loi se relâche ici de la rigueur des principes qu'elle suit d'ordinaire. Quand l'intention résulte d'un fait, on exige que ce fait ne puisse pas recevoir d'autre interprétation que la volonté qu'il implique. Il en est ainsi de l'acceptation de l'hérédité (art. 777). En matière de domicile, la loi se contente de circonstances qui font connaître l'intention, et avec raison; car il n'y a pas de faits qui prouvent nécessairement la volonté de changer de domicile; on pourrait toujours leur donner une autre interprétation.

Par cela même, il est impossible de préciser les circonstances qui peuvent être prises en considération par le juge pour décider s'il y a intention de changer de domicile. Voici les exemples que Pothier donnait, d'après d'Argentré. Si une personne qui change de demeure, et qui a deux résidences, laisse sa femme et sa famille dans son ancienne habitation, elle sera censée y conserver son domicile. Si elle séjourne plus longtemps dans une de ses résidences que dans l'autre, elle sera domiciliée là où elle fait le plus long séjour. Si elle passe des actes et si elle se dit demeurant ou domiciliée dans tel lieu, son propre aveu déterminera le lieu de son domicile. Il faudra encore considérer quelle est la commune où elle est soumise aux charges publiques. Enfin, dit Pothier, on se décidera pour le lieu où une personne se rend d'habitude avec sa famille pour faire ses pâques (2). Il y a d'autres circonstances plus décisives. Une personne aliène les biens qu'elle possède dans une commune, va s'établir ailleurs où elle achète

confirmé par un arrêt du 30 juillet 1850 (Dalloz, Recueil périodique, 1852, 2, 61 et 1850, 1, 236,.

(1) Demante, Cours analytique, t. Ier. p. 203, n" 130 bis, I. (2 Pothier, Introduction aux coutumes, chap. 1, no 20.

d'autres biens; elle y exerce ses droits politiques, elle y comparaît devant les tribunaux sans opposer de déclinatoire (1).

Pourquoi le législateur n'a-t-il pas déterminé lui-même les circonstances qui peuvent faire connaître l'intention qu'une personne a de changer de domicile? Le rapporteur du Tribunat répond, et avec raison, que chaque circonstance ne peut être bien appréciée que par des nuances, qu'il est impossible à la loi de détailler ni même de prévoir (2). Voilà pourquoi la jurisprudence, en cette matière, est de peu de secours. Les préjugés, dit Merlin, que l'on pourrait citer ne prouvent rien, parce qu'il faut toujours en revenir à l'examen du fait (3). On citerait cinquante arrêts, que le cinquante et unième différerait des espèces déjà jugées, et les circonstances étant différentes, la décision aussi serait autre.

Les circonstances variant à l'infini et pouvant recevoir une interprétation diverse d'après les nuances qui les distinguent, l'intention peut être douteuse. Que faudra-t-il décider en ce cas? La réponse est très-simple. Le législateur se contente de circonstances, mais à la condition qu'elles fassent connaître l'intention. Si elles laissent du doute, par cela seul il n'y aura pas de manifestation de volonté, et partant pas de changement de domicile. C'est l'opinion de Pothier: « Le changement de domicile, dit-il, devant être justifié, on est toujours, dans le doute, présumé avoir conservé le premier (4). » A vrai dire, il n'y a pas de présomption, parce qu'il n'y a pas de loi qui l'établisse. L'ancien domicile subsiste jusqu'à ce qu'il ait été changé; pour qu'il soit changé, il faut la preuve de l'intention; si l'intention n'est pas prouvée, l'ancien domicile est maintenu.

82. Quand l'intention n'est pas manifestée d'une manière expresse, conformément à l'article 104, elle peut exister sans être connue. La doctrine et la jurisprudence admet

Richelot, Principes du droit civil français, t. Ier, p. 331-333 (2 Kapport de Mouricault au Tribunat (Locré, t. II, p. 185, no 10). (3. Merlin, Répertoire, au mot Domicile, § 6.

(4) Pothier, Introduction aux coutumes, chap. Ier, no 20.

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tent que dans ce cas les assignations peuvent se faire à l'ancien domicile. Mais quelle est la vraie raison de cette décision? Il y a des auteurs qui la rattachent à l'article 1382, d'après lequel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (1). » C'est faire une fausse application du principe posé par cet article. Le quasi-délit suppose que celui qui cause un dommage n'avait pas le droit de faire ce qu'il a fait; celui qui use de son droit n'est jamais en faute, et ne répond pas du préjudice qu'il peut causer. Or, c'est un droit pour toute personne de changer de domicile, et aucune loi n'oblige ceux qui transferent leur domicile d'un lieu à un autre de manifester leur volonté par des déclarations expresses; elles usent donc d'un droit en exprimant leur intention d'une manière tacite. Dès lors, il ne peut pas être question de faute, ni de quasi-délit, ni de responsabilité. Il va sans dire qu'il en serait autrement si un débiteur changeait de domicile, en cachant sa volonté autant que la chose est possible, pour frauder ses créanciers.

§ III. Du domicile légal.

83. Il y a des cas où le domicile est établi par la loi. Sauf le domicile d'origine, le domicile légal implique toujours un changement de domicile. Quand la loi fixe ellemême le domicile, elle suppose que celui à qui elle l'attribue y a nécessairement son principal établissement. La question de savoir où est le domicile légal n'est donc plus une question de fait qui se décide par l'intention jointe à l'habitation, c'est une question de droit, et le droit peut se trouver en opposition avec la réalité des choses. Les deux éléments qui concourent à former le domicile, la résidence et l'intention, existent, il est vrai, d'ordinaire, dans le domicile légal, mais ils peuvent aussi ne pas se rencon

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 578, no 353; Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, nos 40 et 135.

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