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trer. C'est la loi seule qui détermine le domicile. Nous allons dire les raisons qui ont engagé le législateur à intervenir dans une matière qui semblait devoir être abandonnée à la libre volonté de l'homme.

N° 1. DOMICILE DE LA FEMME MARIÉE.

84. L'article 108 porte que la femme mariée n'a point d'autre domicile que celui de son mari. Ce domicilé légal résulté de la nature du mariage et dé la position qu'il fait à la femme mariée. Aux termes de l'article 214, la femme est obligée d'habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider. La femme a donc légalement sa résidence là où habite son mari, et elle ne peut pas en avoir d'autre. Il est vrai que les époux peuvent convenir qu'ils auront une habitation différente, mais cet accord ne peut pas déroger à l'article 214, puisque l'obligation imposée à la femme d'habiter avec son mari est d'ordre public. De droit donc, la femme a sa résidence là où le mari a son habitation, et le droit l'emporte ici sur le fait, puisqu'il ne peut pas y avoir, dans les matières d'ordre public, de fait contraire à la loi; un pareil fait est nul et par suite inoperant. Le cas s'est présenté devant la cour de Paris. Une femme italienne s'était établie à Aix avec le consentement de son mari; elle prétendait y avoir són domicile, ayant fait sa déclaration de volonté à la municipalité d'Aix. La cour de Paris décida qu'elle ne pouvait pas avoir de domicile distinct de celui de son mari, et son arrét fut confirmé en cassation (1). On se demande comment il est possible de plaider jusqu'en cassation sur des questions qui sont plus claires que la lumière du jour !

Le domicile que la loi attribue à la femme mariée a encore une autre raison, qui est également placée au-dessus des conventions des parties. On lit dans le discours de l'orateur du Tribunat: Le domicile étant établi pour fixer le lieu de l'exercice des droits civils actifs. et passifs, les personnes qui ne peuvent exercer ces droits

(1) Arrêt du 25 février 1818 (Merlin, Répertoire, au mot Domicile, § 5).

que sous l'autorisation et par le ministère d'un administrateur ou protecteur légal, doivent avoir le même domicile. que lui (1). » Tout le monde sait qu'il en est ainsi de la femme, puisqu'elle ne peut faire aucun acte juridique sans autorisation maritale (art. 215, 217). La femme ne peut jamais être affranchie de cette dépendance, puisqu'elle est une suite de la puissance maritale, laquelle est d'ordre public. Quand même elle se marierait sous le régime qui lui laisse le plus de liberté, quand même elle serait séparée de biens, elle reste sous puissance maritale, et par suite le siége de ses affaires, son principal établissement quant à l'exercice de ses droits, reste au domicile de son mari. Il a été jugé qu'il en est de même de la femme séparée de biens par sentence judiciaire (2); et la question, encore une fois, ne peut soulever l'ombre d'un doute la séparation judiciaire, pas plus que la séparation stipulée par contrat de mariage, ne dispense la femme d'habiter avec son mari et ne l'affranchit de sa puissance.

85. Que faut-il décider si la femme est séparée de corps? L'opinion générale est que dans ce cas la femme peut acquérir un autre domicile que celui de son mari. On se fonde pour le décider ainsi sur la nature de la séparation de corps. Elle a précisément pour but et pour effet de mettre fin à la vie commune, de séparer les époux de corps, d'affranchir par conséquent la femme de l'obligation que l'article 214 lui impose d'habiter avec son mari. Elle aura donc une habitation distincte, et certes son intention ne sera pas de conserver son principal établissement chez son mari; dès lors, d'après le droit commun, elle aura un nouveau domicile. Tel est l'avis de la plupart des auteurs et la jurisprudence est conforme (3). Il y a cependant des motifs sérieux de douter. La question est de savoir si la femme séparée de corps peut invoquer le droit commun.

(1) Discours de Malherbe, dans Locré, t. II, p. 189, no 9.

(2) Arrêt de la cour de Colmar du 12 juillet 1806 (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 747, 2o).

(3) Voyez les auteurs et les arrêts cités dans Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 72-74. Ajoutez un arrêt de la cour d'Orléans du 25 novembre 1848, qui a décidé la question en termes formels (Dalloz, Recueil périodique, 1849, 2, 9).

Son domicile légal ne subsiste-t-il pas malgré la séparation? L'article 108 semble le dire; il est rédigé dans des termes impératifs qui paraissent au premier abord exclure toute distinction. « La femme mariée n'a point d'autre domicile que celui de son mari. » Or, la séparation de corps laisse subsister le lien du mariage: la femme séparée reste femme mariée, donc le texte de la loi lui est applicable. Vainement invoque-t-on l'article 214; l'obligation d'habiter avec son mari n'est pas la seule raison qui ait fait donner à la femme le domicile marital; il y a encore et surtout l'incapacité dont elle est frappée, et qui la force de recourir à son mari pour tous les actes juridiques qu'elle est dans le cas de faire. Or, la séparation de corps ne change rien à l'incapacité de la femme. Etant toujours sous puissance du mari, ne doit-elle pas avoir son domicile?

Ces motifs ont entraîné d'excellents esprits, Merlin et Zachariæ (1). Si nous nous rangeons à l'opinion générale, c'est qu'il y a une raison traditionnelle qui nous paraît décisive. La séparation de corps n'est pas une création du code Napoléon; elle nous vient de l'ancien droit, et comme le code ne contient que quelques dispositions sur la matière, il est naturel de recourir au droit ancien pour l'interpréter. Or, voici ce que le président Bouhier écrivait :

La séparation de corps donne à la femme la liberté d'aller habiter où il lui plaît; elle a donc droit de se choisir un nouveau domicile. Ainsi cela dépend de sa volonté, de laquelle on juge à cet égard comme de celle de toute autre personne (2). » Pothier dit aussi que la femme séparée de corps a le droit de s'établir où elle veut, dans un autre domicile que celui de son mari (3). N'est-il pas naturel de penser que le législateur français a maintenu la séparation de corps avec les effets qu'elle produisait dans l'ancien droit? Aussi le rapporteur du Tribunat dit-il, et sans hésiter, que la femme séparée de corps peut,

(1) Merlin, Répertoire, au mot Domicile, § 5.

(2) Bouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, chapitre XXII, n° 201.

(3 Pothier, Traité du contrat de mariage, no 522; Introduction aus coutumes, chapitre Ier, no 10.

comme la femme divorcée ou veuve, se choisir un autre domicile, parce que son devoir ne la tient plus aupres de son mari (1).

No 2. DOMICILE DU MINEUR.

86. L'enfant, en naissant, a pour domicile celui de son père; c'est là qu'il est tenu d'habiter tant qu'il est mineur; c'est là qu'est le siége de ses affaires, puisque son père est administrateur légal de ses biens (art. 374, 389); enfin il est sous puissance paternelle jusqu'à sa majorité ou son émancipation (art. 372). Tels sont les motifs pour lesquels la loi décide que « le mineur non émancipé a son domicile chez ses père et mère (art. 108). » Il ne peut pas en avoir d'autre. Donc quand le père change de domicile, ses enfants mineurs changent de domicile avec lui. Il a été jugé que, si le père est nommé à une fonction à vie et irrévocable, ses enfants mineurs acquièrent de plein droit le domicile légal qui est attaché à ces fonctions (2).

L'article 108 dit que le mineur non émancipé aura son domicile chez ses père et mère ou tuteur. Si l'un des père et mère vient à mourir, et si le survivant exerce la tutelle, le domicile du mineur sera chez son père ou chez sa mère; le survivant réunit alors deux puissances, la puissance paternelle et la tutelle, qui l'une et l'autre fixent le domicile du mineur. Mais que faut-il décider si le survivant refuse la tutelle ou se fait excuser? Il y a deux puissances en conflit dans ce cas ; le mineur est sous puissance paternelle et, à ce titre, il devrait avoir pour domicile celui du survivant de ses père et mère; il est aussi sous tutelle, et comme pupille il devrait avoir le domicile de son tuteur. Lequel des deux domiciles légaux l'emportera sur l'autre? Celui où est le siége des affaires du mineur, celui où s'exercent ses droits civils. C'est le principe posé par l'orateur du Tribunat; par suite, le mineur aura son domicile chez son tuteur; car, aux termes de l'article 450, « le tu

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(1) Rapport de Mouricault, dans Locré, t. II, p. 186, no 12. (2) Arrêts de la cour de cassation du 31 mars et du 25 mai 1846 (Dalloz, Recueil périodique, 1846, 1, 200 et 201).

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teur représente le mineur dans tous les actes civils. » Ceia décide la question (1).

87. Le mineur émancipé peut se choisir un domicile autre que celui de ses père et mère ou tuteur. Il est affranchi de la puissance paternelle ou tutélaire; dès lors il acquiert la liberté de sa personne et, par suite, le droit d'avoir un domicile où il veut. Cela résulte du texte même de la loi; le mineur émancipé n'a pas de domicile légal. Cependant il est toujours incapable, il a besoin de l'assis tance d'un curateur pour certains actes. Ceci prouve que, dans le système du code, l'incapacité ne suffit point pour entraîner un domicile légal. Il faut plutôt poser comme principe que ceux qui jouissent de la liberté de leur personne ont par cela même le droit d'établir leur domicile où ils veulent. Ce principe confirme l'opinion que nous venons d'émettre sur le domicile de la femme séparée de corps.

88. Il y a des difficultés pour le domicile de l'enfant naturel. S'il n'est pas reconnu, il n'a pas de domicile légal, puisque légalement il n'a ni père ni mère. S'il est reconnu par un seul de ses père et mère, il aura son domicile chez celui-ci. Mais il y a doute quand il est reconnu par ses père et mère et que ceux-ci n'ont pas le même domicile. Il faut voir où est le siége de ses affaires. Or, s'il avait des biens, son père en aurait l'administration; c'est donc au domicile du père qu'il exerce ses droits civils, c'est là que se trouve son principal établissement, et par conséquent son domicile. La question est néanmoins controversée. Comme il n'y a pas de texte, Demante est d'avis que l'on doit se déterminer d'après les circonstances, en ayant surtout égard à l'habitation réelle (2). Quelles sont ces circonstances? Voilà encore un de ces mots vagues que l'on devrait bannir de notre science, quand la loi ellemême ne l'emploie pas. L'habitation réelle est un des éléments du domicile, mais ce n'est pas le seul; il faut encore l'intention de fixer son principal établissement là où l'on

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 586, no 359. (2) Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 205, no 102 bis, III.

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