Page images
PDF
EPUB

position spéciale; car, s'il restait dans le droit commun, l'article 106 serait inutile. La loi dit qu'il conserve son ancien domicile, s'il n'a pas manifesté d'intention contraire. Comment cette intention se manifeste-t-elle? Ici est la dérogation au droit commun. L'intention peut, en général, être expresse ou tacite; dans le cas de l'article 106, elle doit être positive, dit Malherbe, c'est-à-dire expresse. Cette interprétation n'a pas trouvé faveur. L'article 106 ne dit pas que l'intention doive être positive ou expresse; il exige seulement que le fonctionnaire ait manifesté l'intention de changer de domicile. Comment doit-il manifester sa volonté? Sur ce point, la loi ne dit rien; par cela même, nous restons sous l'empire des principes généraux. C'est ainsi que Pothier explique la position du fonctionnaire révocable (1). Lorsque, dit-il, la cause qui nous appelle en un autre lieu est passagère, tel qu'un emploi amovible, quelque long séjour que nous y ayons fait, quoique nous y soyons décédés sans être retournés au lieu de notre premier domicile, et quoique nous n'y ayons plus eu de demeure, nous sommes néanmoins censés avoir conservé ce premier domicile, à moins que notre volonté de transférer notre domicile ne parût par d'autres circonstances; comme si, par exemple, nous y avions acquis des héritages, et que nous eussions aliéné ceux que nous avions dans notre premier domicile (2). Ainsi, question de circonstances, comme le dit l'article 105, c'est-à-dire le droit commun. C'est l'opinion générale (3).

[ocr errors]

"

94. Faut-il appliquer les mêmes principes aux militaires? Le code Napoléon n'en parle pas ; ils restent par cela même dans le droit commun. Il y a cependant quelque hésitation dans la doctrine. Le doute vient de l'ancien droit. D'après une loi romaine, les gens de guerre sont réputés domiciliés là où ils remplissent leur service, à moins qu'ils ne possèdent quelques biens dans leur patrie (4).

(1) Pothier, Introduction aux coutumes, chapitre Ier, no 15.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 593 et suiv., no 366. (3) La question a été décidée implicitement en ce sens par arrêt de la cour de cassation du 14 février 1855 (Dalloz, Recueil, 1855, 1, 398). (4) L. 23, D., ad munic. (L, 1).

Rodier en tira cette conclusion que le domicile de l'officier et du soldat est le lieu où se trouve le régiment dans lequel ils servent (1). Le président Bouhier dit que cette décision ne serait pas reçue en France, parce que le lieu du service de nos soldats change trop souvent pour pouvoir être considéré comme un vrai domicile; il ajoute que la raison veut que l'on regarde le soldat comme ayant toujours conservé le domicile qu'il avait avant de s'engager dans le service. Il y a des actes législatifs qui viennent à l'appui de cette doctrine. Certains officiers ont une résidence fixe: tels étaient, sous l'ancien régime, les lieutenants généraux dans les provinces, les gouverneurs des villes et places; eh bien, une déclaration du 9 avril 1707 décida que ces officiers n'acquéraient pas de domicile dans le lieu où ils servaient; c'était dire que leur ancien domicile subsistait (2).

Faut-il conclure de là que les militaires n'ont jamais qu'une simple résidence dans les villes où ils sont en garnison? Zachariæ et M. Demolombe semblent poser ce principe (3). Cela nous paraît trop absolu. Tout ce que l'on peut induire de l'ancien droit, c'est que, contrairement à la loi romaine, les militaires n'ont pas nécessairement leur domicile là où ils servent. Mais autre est la question de savoir s'ils ne peuvent pas avoir leur domicile dans la ville où ils sont en garnison. C'est demander si la loi les place dans une position exceptionnelle. Evidemment cela n'est pas, puisque la loi est muette; ne parlant pas des gens de guerre, il est impossible qu'elle les place dans une position spéciale. Or, là où il n'y a pas d'exception, on reste dans la règle. Le président Bouhier le décidait déjà ainsi dans l'ancien droit. Sans doute, dit-il, la seule résidence dans une ville ne donne pas de domicile à un officier. Mais quand la résidence est accompagnée de quelques-unes des marques qui prouvent, par elles-mêmes, la volonté de

(1) Rodier, Sur l'ordonnance de 1667, titre II, article 3 (question VII, n° 6).

(2) Rouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, chapitre XXII, nos 170-180.

(3) Zachariæ, t. Ier, § 141, p. 278, note 1; Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 579, no 354.

l'homme pour l'établissement d'un domicile, pourquoi n'y aurait-on pas égard (1)? On doit décider la même chose sous l'empire du code civil. Certes, si un officier faisait la double déclaration prescrite par l'article 104, l'intention expresse, jointe au fait de la résidence, lui donnerait un domicile. Ce qui est certain dans le cas où l'intention est expresse ne l'est pas moins quand l'intention est tacite. Il y a des arrêts qui ont décidé que des officiers avaient conservé leur domicile d'origine, mais ces décisions sont fondées sur les principes généraux; en vertu de ces mêmes principes, on peut décider qu'ils ont leur domicile là où ils sont en garnison (2). La question est très-importante, Belgique, à raison de l'exercice des droits électoraux; il y a un moyen très-simple pour les officiers de mettre leur droit à l'abri de toute contestation, c'est de faire les déclarations prescrites par l'article 104.

en

95. Quel est le domicile des ministres du culte? D'après la législation française, l'Etat intervient dans la nomination des ministres du culte; ils sont donc, en un certain sens, des fonctionnaires, et on peut leur appliquer les dispositions des articles 106 et 107. Il y a des ministres du culte catholique qui sont nommés à vie et irrévocables, ce sont les évêques et les curés; par suite, ils ont leur domicile. légal là où ils exercent leurs fonctions (3). Il a été jugé dans l'ancien droit que les évêques avaient leur domicile au chef-lieu de leur diocèse, quand même ils passaient une grande partie de l'année à Paris ou ailleurs. Un arrêt du parlement de Paris a décidé que l'abbé Dubos, chanoine de Beauvais et secrétaire perpétuel de l'Académie française, avait son domicile à Beauvais, quoique ses travaux littéraires et les négociations dont il était chargé par le gouvernement le retinssent à Paris la plupart du temps (4).

D'après la constitution belge, l'Etat n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination ni dans l'installation des

(1) Bouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, chapitre XXII, n° 216.

(2) Voyez les arrêts dans Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 48. (3) Loi du 18 germinal an x, article 31. Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 101.

(4) Merlin, Répertoire, au mot Domicile, § 3, no 6.

ministres d'un culte quelconque (art. 16). Par suite, les ministres du culte n'ont plus de caractère public; les articles 106 et 107 ne peuvent donc pas leur être appliqués. Ils restent sous l'empire du droit commun. Seulement, la circonstance que les évêques et les curés sont inamovibles en vertu du droit canonique influerait sur la décision; il est certain que l'on jugerait qu'en fait ils ont leur domicile là où ils exercent leurs fonctions; mais ce n'est plus un domicile légal.

No 5. DES GENS DE SERVICE.

96. L'article 109 porte : « Les majeurs qui servent ou travaillent habituellement chez autrui auront le même domicile que la personne qu'ils servent ou chez laquelle ils travaillent, lorsqu'ils demeureront avec elle dans la même maison. » Deux conditions sont donc requises pour que les gens de service aient un domicile légal. Il faut d'abord qu'ils travaillent habituellement chez la personne qu'ils servent. Un travail accidentel de quelques jours ou de quelques semaines ne suffirait pas pour leur donner un domicile légal. En second lieu, il faut qu'ils demeurent dans la même maison avec la personne chez laquelle ils travaillent. La demeure est l'élément de fait du domicile, le travail habituel est la marque de l'intention. Quand les deux éléments concourent, on conçoit qu'il y ait domicile légal, comme pour les fonctionnaires. Seulement ici il y a domicile légal, quoique le service soit temporaire. C'est une confirmation de ce que nous avons dit de l'esprit de retour; il n'empêche pas qu'il n'y ait domicile. Si le législateur attribue un domicile aux domestiques pour un service à temps, tandis que les fonctionnaires nommés à temps, et même à vie quand ils sont amovibles, n'ont pas de domicile légal, la raison en est que les gens de service n'ont pas, d'ordinaire, d'autre établissement que leur service; c'est donc nécessairement leur établissement principal et par suite leur domicile, tandis que les fonctionnaires ont presque toujours et conservent un établissement autre que leur fonction.

97. La loi est conçue dans les termes les plus généraux ; elle s'applique à tous ceux qui servent ou travaillent habituellement chez autrui; ainsi, non-seulement aux domestiques, mais aussi aux commis, aux clercs, aux précepteurs. Proudhon l'applique même aux fermiers; mais ici cet esprit si logique s'est trompé : le fermier occupe une maison appartenant au bailleur, mais il ne demeure pas avec lui dans la même maison. Il n'est donc pas compris dans le texte de la loi. L'esprit de la loi est aussi contraire à cette interprétation; le fermier est dans la même position que le fonctionnaire amovible, il a un établissement ailleurs; par suite, il doit conserver son ancien domicile, à moins qu'il n'ait l'intention de le transférer à la ferme qu'il va habiter. Cette intention est une question de fait que le législateur n'a pas pu préjuger, puisqu'il n'y a pas de raison suffisante pour fixer un domicile légal (1).

La loi, quoique générale, implique une restriction en disant le majeur. Il en résulte que le domicile légal de l'article 109 ne s'applique pas au mineur. Il faut entendre le mineur non émancipé, qui a son domicile légal chez son père ou chez son tuteur. S'il est émancipé, rien n'empêche qu'il n'ait son domicile chez la personne qu'il sert, en vertu de l'article 109.

Que faut-il décider de la femme mariée qui travaille habituellement chez une personne avec laquelle elle habite? Nous allons examiner cette question en traitant du conflit qui peut exister entre divers domiciles légaux.

N° 6. PRINCIPES GÉNÉRAUX.

98. Le domicile légal a ceci de particulier qu'il est parfois fictif, bien qu'il soit réel. Il est réel en vertu de la loi, mais la loi peut ne pas être en harmonie avec la réalité des choses. Ainsi le mineur qui a un tuteur autre que le survivant de ses père et mère, habitera régulièrement avec son père ou sa mère, et il aura néanmoins son

(1) Valette sur Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. 1er, p. 248 et note c.

« PreviousContinue »