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foi (1)!» Les magistrats étaient pour la plupart aussi intolérants que les lois qu'ils avaient mission d'exécuter. Un arrêt du parlement de Bordeaux du 21 mai 1749 enjoignit à quarante-six personnes mariées de se séparer, en leur défendant de se fréquenter, à peine de punition exemplaire; il flétrit leur cohabitation de concubinage et leurs enfants de bâtards. Un autre arrêt de la même cour condamna les hommes aux galères et les femmes à être rasées et renfermées dans un hôpital auquel leur dot serait appliquée; et il ordonna que les certificats des ministres seraient brûlés par l'exécuteur de la haute justice (2).

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Voici le commentaire qu'un écrivain catholique fait de cette affreuse législation: « Tant il est vrai, s'écrie-t-il, qu'il n'exista jamais de religion plus véritablement tolérante que la religion catholique, et de gouvernement plus paternel que celui de nos rois (3)! On voudrait faire la satire de la tolérance catholique et du régime paternel des rois très-chrétiens que l'on ne pourrait pas mieux dire. Nous n'avons aucune envie de faire de la polémique religieuse dans un livre de droit; nous nous bornons à constater les faits; il n'y a pas de meilleure justification des lois révolutionnaires qui sécularisèrent l'état civil.

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4. Pendant que l'Eglise s'obstinait dans son intolérance, les philosophes prêchaient l'humanité et la justice. Leur voix se fit entendre jusqu'au pied du trône. L'édit de 1787 rendit l'état civil aux protestants. Ce n'était pas une loi de liberté. La religion catholique, dit le roi dans le préambule, jouira seule dans notre royaume des droits et des honneurs du culte public, tandis que nos autres sujets non catholiques, privés de toute influence sur l'ordre établi dans nos Etats, ne tiendront de la loi que ce que le droit naturel ne nous permet pas de leur refuser. On dirait que la vieille royauté ne cédait qu'à regret aux vives réclamations de la philosophie : tout en

(1) Paroles de M. de Brétinières, dans Merlin, Répertoire, au mot Reli gionnaires, § 6.

(2) Merlin, ibid. (t. XXVIII, p. 19 de l'édition in-8°).

(3) Hutteau d'Origny, de l'Etat civil, p. XIII.

faisant des concessions aux réformés, elle proteste qu'elle entend rester intolérante. En effet, l'édit ne rend aux réformés que les droits dont on s'étonne qu'ils aient jamais été dépouillés. Ils n'étaient plus forcés de faire célébrer leurs mariages devant les ministres du culte catholique ; il leur suffisait de se présenter devant le tribunal de leur domicile, et le juge les déclarait unis au nom de la loi. Les naissances et les décès pouvaient également être enregistrés dans les tribunaux. Enfin l'autorité municipale devait pourvoir à l'inhumation de ceux qui n'avaient pas droit à la sépulture ecclésiastique (1).

Croirait-on que cet édit, qui n'était pas même un édit de tolérance, fut attaqué avec une violence extrême par les catholiques? Quand il fut présenté au parlement pour y être enregistré, le conseiller d'Eprémesnil s'écria en montrant à ses collègues une image du Christ: Voulezvous le crucifier encore une fois? Ainsi c'est crucifier le Christ que de permettre aux réformés de naître, de se marier et de mourir sans l'intervention de l'Eglise ! Un évêque osa dire au roi qui avait signé l'édit : « Vous répondrez, sire, devant Dieu et devant les hommes, des malheurs qu'entraînera le rétablissement des protestants: Madame Louise, du haut des cieux où ses vertus l'ont placée, voit votre conduite et la désapprouve! » Une assemblée générale du clergé se réunit en 1788. Déjà le souffle de la révolution agitait tous les esprits. Mais les hommes du passé ne voyaient pas les signes du temps; les hauts prélats, évêques et abbés, firent des remontrances au roi contre l'édit de 1787. Alors même que les électeurs se réunirent pour rédiger leurs cahiers, les ministres du culte catholique osèrent demander que l'on rétablit la loi qui ordonnait aux protestants de faire baptiser leurs enfants dans les églises paroissiales (2).

5. La philosophie demandait plus que ce que la vieille monarchie n'était disposée à accorder. Condorcet formula

(1) L'édit de 1787 se trouve dans Merlin, Répertoire, aų mot Religionnaires, § 6 (t. XXVIII, p. 25).

(2) Voyez le tome XIV de mes Études sur l'histoire de l'humanité, p. 297 et suiv., 374 et suiv.

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ses vœux en disant que l'état civil des hommes devait être indépendant de leurs croyances religieuses. "Dans un Etat, dit-il, où tous les citoyens ne professent pas la même religion, et où, parmi ces religions, il y en a qui regardent l'assistance aux cérémonies des autres cultes comme un crime, les formalités nécessaires à la validité des mariages ne doivent pas être mêlées à des cérémonies religieuses (1). Il est presque inutile d'ajouter que ce qui est vrai du mariage, l'est de l'état civil en général. L'Assemblée constituante fit droit à ces voeux en déclarant que le pouvoir législatif établirait pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lequel les mariages, les naissances et les décès seraient constatés, et qu'il désignerait les officiers publics qui en recevraient et conserveraient les actes. Cette déclaration fut insérée dans la constitution de 91 (2); c'était proclamer la haute importance du principe de sécularisation et témoigner la volonté qu'il fût respecté comme une règle constitutionnelle. La loi du 20 septembre 1792 régla tout ce qui concerne l'état civil des citoyens. Nous citerons quelques traits de la discussion qui révèlent l'esprit de la législation révolutionnaire. Muraire, le rapporteur, justifia la sécularisation en deux mots : « Le citoyen, dit-il, appartient à la patrie, indépendamment de toute religion (3). » Pour les naissances et les décès, cela est d'une évidence telle, que la réaction même dans laquelle nous sommes engagés n'a pas songé à le contester. Il n'en est pas de même du mariage. Non que la chose ne soit tout aussi évidente, mais l'intérêt que l'Eglise a à dominer sur les futurs époux, la pousse à revendiquer pour elle seule la célébration du mariage, en identifiant le contrat avec le sacrement. Au moment où le législateur laïque osa séparer ce que l'Eglise déclarait inséparable, il sentit la nécessité de justifier cette grande innovation. C'est un contrat civil, dit Muraire, parce qu'il est la base de la société humaine. Il

(1) Condorcet, Sur l'état civil des protestants (ŒŒuvres, t. V, p. 496, édition d'Arago).

(2) Constitution de 1791, titre II, art. 7.

(3, Moniteur du 16 février 1792.

est vrai que le sacrement a été lié au contrat, en vertu du droit canonique, mais il n'est pas de l'essence du mariage, et si en France il a été regardé comme tel, c'est uniquement parce que la puissance civile l'a mis au nombre des formes nécessaires pour la validité du mariage. Les auteurs les plus attachés à la juridiction ecclésiastique reconnaissent que le sacrement n'est qu'un simple accessoire dans le mariage. « Je demande, en effet, s'il n'y avait pas de mariage légitime ailleurs que parmi les catholiques. Je demande si les calvinistes n'étaient pas très-légitimement unis après avoir abjuré leur croyance. Le mariage n'est donc qu'un contrat civil; et si c'est un contrat, c'est à la puissance séculière à en régler les formes. De longues usurpations ne peuvent pas servir de prescription contre la souveraineté (1).

La conclusion est évidente. Si, dans l'ancien régime, il fallait s'adresser aux ministres du culte catholique pour faire constater les naissances, les mariages et les décès, c'est que le catholicisme était la seule religion légale, c'est que la religion se confondait avec l'Etat. De là l'horrible législation sur les protestants. La Révolution proclama la liberté religieuse. Dès lors aucune religion ne doit avoir un empire quelconque dans l'ordre civil, car toute action qu'on lui donnerait serait une atteinte aux droits des autres cultes. « Pourquoi, dit Muraire, celui qui ne reconnaîtrait pas les ministres, quant au culte, serait-il obligé de les reconnaître pour faire constater son état civil? » C'était l'opinion universelle parmi les hommes de 89. Les membres les plus modérés de l'Assemblée législative proclamèrent avec énergie le principe de la sécularisation de l'ordre civil. Ecoutons Pastoret : Il n'y a rien de commun entre la religion et la loi, ni dans leur objet, ni dans leurs causes, ni dans leurs effets; car les lois civiles doivent être le résultat de la raison humaine, et l'on sait bien que la religion est audessus d'elle. Comment la loi n'aurait-elle pas seule le droit d'assurer notre état civil? Le citoyen lui appartient

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(1) Moniteur du 20 juin 1792.

nécessairement, et il peut n'appartenir à aucune des religions du pays qu'il habite. Où en seraient les législateurs, s'ils étaient obligés de façonner sans cesse leurs pensées et leurs principes à toutes les idées religieuses des hommes (1)!

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6. La tribune de l'Assemblée législative retentit d'amères récriminations contre les empiétements de l'Eglise, contre son ambition et sa cupidité. «Elle ne s'était pas seulement emparée de l'homme, dit Pastoret, vers le milieu de la vie et dans le berceau de l'enfance; il n'était plus, et elle étendait encore sur lui son empire: elle seule avait le droit de lui donner, que dis-je de lui donner? de lui vendre un tombeau; la terre même qui devait l'enfermer, la poussière qui devait le couvrir, prenaient un caractère religieux. On nous parlait de terre sainte et de terre profane. Ah! si la terre sainte eût exprimé celle que la patrie avait réservée aux mânes de la vertu ! Mais pour y être enseveli, il suffisait d'avoir paru adopter pendant sa vie les opinions du prêtre catholique; et pour en être exclu, d'avoir paru leur préférer les dogmes de Calvin ou d'un autre sectaire. Vous aurez encore la gloire d'avoir fait disparaître cette pieuse inhumanité (2). « Cette loi, disait le rapporteur, doit porter les derniers coups aux abus de la puissance ecclésiastique, resserrer les ministres du culte dans leurs fonctions, et nous garantir d'une influence dont on a trop senti les dangers (3)..

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La France secouait le joug que le trône et l'autel lui avaient imposé. Ce sont des esclaves affranchis qui brisent leurs chaînes. Cela explique et excuse la violence de leur langage. « L'ambition sacerdotale, s'écrie Vergniaud, tantôt insolente, tantôt astucieuse et hypocrite, mais toujours active, trouva le moyen de s'emparer de l'homme dès l'instant où la nature l'appelle à la vie et de le tourmenter dans tous les points de son existence. »

(1) Moniteur du 20 juin 1792
(2) Moniteur du 21 juin 1792.
(3) Moniteur du 16 février 1792.

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