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domicile chez son tuteur. La même chose peut arriver dans la tutelle ordinaire. De même la femme mariée a, dés l'instant de son mariage, le domicile de son mari, bien que les époux puissent demeurer à la résidence de la femme ou ailleurs.

La circonstance que le domicile légal est fictif ou réel doit être prise en considération pour décider la question de savoir si le domicile légal cesse avec les causes qui l'ont fait établir par le législateur. Il y a sur ce point quelque dissentiment dans la doctrine. Zachariæ dit que tout domicile légal cesse au moment où disparaît le fait qui y servait de fondement (1). D'un autre côté, tout le monde admet que la femme veuve conserve le domicile de son mari, comme l'enseignent déjà les lois romaines (2). Y a-t-il contradiction entre ces décisions? Il est très-facile de les concilier. Evidemment, il ne peut plus s'agir d'un domicile légal quand on n'est plus dans les circonstances déterminées par la loi. L'enfant qui devient majeur n'a plus son domicile légal chez ses père et mère ou chez son tuteur. Le fonctionnaire inamovible perd son domicile légal à l'instant où il cesse d'être fonctionnaire. Il en est de même des gens de service du moment qu'ils cessent de servir. N'en serait-il pas de même de la femme veuve ? La question peut à peine être posée. Comment la femme aurait-elle un domicile légal, à raison du mariage, alors qu'il n'y a plus de mariage? Le domicile légal cesse donc, comme le dit Zachariæ, avec la cause qui l'a fait établir.

Quel sera le domicile des personnes qui avaient un domicile légal qu'elles n'ont plus ? Zachariæ répond qu'elles acquièrent immédiatement un domicile, d'après les règles de droit commun qui régissent le domicile, c'est-à-dire là où elles vont demeurer avec l'intention d'y fixer leur principal établissement. Or, il se peut, et cela arrivera même très-souvent, que ce domicile réel sera le même que l'ancien domicile légal. Il en est ainsi de la veuve, si elle con

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. Ier, § 143. (2) L. 22, § 1, D., ad munic. (L, 1).

tinue à habiter la maison qui était son domicile légal, avec l'intention d'y conserver son principal établissement; elle conserve son ancien domicile, mais ce n'est plus un domicile légal. Il en sera de même du fonctionnaire qui continue à résider dans la ville où il occupait une fonction inamovible, ainsi que des mineurs qui, à leur majorité, continuent à habiter la maison paternelle, ou même, sans l'habiter, conservent leur domicile d'origine par l'intention. Mais si le domicile est fictif, il n'en sera plus ainsi. Le mineur qui a un domicile fictif chez son tuteur ne le conservera pas quand la tutelle cessera. Quel sera donc son domicile? On applique toujours les principes généraux. Il aura son domicile dans le lieu qu'il habite avec l'intention d'y fixer son principal établissement. Les gens de service sont dans une position spéciale; leur domicile légal étant essentiellement temporaire, ils ne peuvent pas le conserver quand ils quittent leur service. Ils entrent d'ordinaire dans un nouveau service, et prennent par conséquent un nouveau domicile légal. A défaut de domicile légal, on applique les principes du droit commun.

99. Une personne peut avoir plusieurs domiciles légaux; lequel l'emportera? car il ne peut y en avoir qu'un seul. Une femme mariée sert habituellement une maîtresse avec laquelle elle demeure dans la même maison. Les auteurs s'accordent à dire qu'elle aura son domicile chez son mari et non chez la personne qu'elle sert (1). Il y a conflit entre deux domiciles légaux. Pourquoi donne-t-on la préférence au domicile légal du mari? La raison est palpable. D'une part, il y a une cause permanente, la puissance maritale, et une cause d'ordre public; elle doit l'emporter sur une cause temporaire, et qui, pour une femme mariée, ne peut être qu'accidentelle, le service dans une maison étrangère.

La difficulté est plus sérieuse quand le mari est interdit; placé sous tutelle, il prend alors le domicile de son tuteur. Quel sera, dans ce cas, le domicile de la femme? Dans l'opinion générale, on distingue. La femme est-elle nommée tutrice, c'est chez elle que le mari aura son domi

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 597, no 368.

cile, et elle pourra changer de domicile, d'après le droit commun. La femme mariée aurait donc, en ce sens, par exception, un domicile à elle. Que si un étranger est nommé tuteur, le domicile de ce tuteur sera celui du mari et, par suite, celui de la femme (1). Cette doctrine nous paraît très-douteuse. Quand la femme est nommée tutrice de son mari interdit, il y a deux domiciles légaux en collision, celui de la femme mariée est chez son mari, celui de l'interdit chez son tuteur. Lequel, dans l'espèce, doit l'emporter? Celui qui a une cause permanente. Or, la cause permanente, c'est le mariage; l'interdiction du mari n'empêche pas que la femme ne soit sous puissance maritale; donc son domicile doit être celui de son mari. La loi elle-même suit ce principe. Pourquoi l'article 109 décide-t-il implicitement que le mineur qui sert habituellement chez autrui conserve son domicile légal chez son père? Parce que ce domicile légal a une cause permanente que le service ne détruit pas. Par analogie, il faut décider, nous semble-t-il, que le domicile attribué à la femme par le mariage ne cesse pas par l'interdiction du mari. Que si le mari est placé sous la tutelle d'un étranger, à quel titre la femme prendrait-elle le domicile de ce tuteur? Il y a de nouveau conflit, et il faut voir lequel des deux domiciles légaux doit l'emporter. La raison de décider est la même. En effet, l'interdiction du mari laisse subsister la puissance maritale; seulement au lieu du mari, c'est le tribunal qui autorisera la femme. Toujours est-il que le siége légal des affaires de la femme est chez son mari et non chez le tuteur du mari. Donc le domicile du mari doit l'emporter sur celui du tuteur. Il y a encore une autre raison de le décider ainsi. La femme a le domicile du mari, parce qu'elle est tenue d'habiter avec lui et de le suivre partout où il juge à propos de résider. Est-ce que la femme sera obligée de suivre le tuteur de son mari? Non, certes: la cour d'Aix l'a décidé ainsi (2), et cela ne peut pas faire

(1) Demolombe, t. Ier, p. 589, no 363; Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 92.

(2) Arrêt du 5 mars 1842 (Dalloz, Répertoire, au mot Interdiction, n°174).

de doute. Donc la femme ne peut pas avoir le domicile du tuteur de son mari interdit (1). Elle conserve le domicile que son mari avait au moment de son interdiction.

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100. Dans l'ancien droit, le domicile avait une importance capitale, car c'est le domicile qui déterminait le statut personnel et de ce statut dépendait l'état des personnes, leur capacité ou leur incapacité. C'est la raison pour laquelle Pothier commence son Introduction aux coutumes par les principes sur le domicile. Par exemple, dit-il, une personne soumise, par son domicile, à la coutume d'Orléans, ne peut tester avant l'âge de vingt ans, réglé par cette coutume; il en est ainsi même des biens qu'elle aurait dans les pays de droit écrit, qui permet aux garçons de tester quatorze ans et aux filles à douze. De même, une femme mariée, soumise à la coutume d'Orléans, ne peut, sans l'autorisation de son mari, aliéner ni acquérir des biens, quoique situés dans les pays de droit écrit où l'autorisation n'est pas exigée (2). Il va sans dire que, dans notre droit moderne, le domicile n'a plus aucune influence sur l'état ni sur la capacité des personnes. Il n'y a plus de coutumes locales, l'état des Français est le même dans toute la France, et c'est un des grands bienfaits du code Napoléon. D'un pays à l'autre, la différence des statuts personnels subsiste, mais ce n'est pas le domicile qui détermine le statut, c'est la nationalité. Le Français est régi par la loi française pour tout ce qui concerne son état et sa capacité, qu'il soit domicilié à l'étranger ou qu'il n'y ait qu'une simple résidence. De même l'étranger est régi par son statut personnel en France, qu'il y soit domicilié ou non (3).

101. Le domicile conserve néanmoins une grande importance. Il résulte de la définition qu'en donne l'article 102 que l'exercice des droits civils est attaché au domicile; d'après la législation belge, il faut ajouter qu'il en est de

(1) Richelot, Principes du droit civil français, t. Ier, p. 347, no 244.
(2) Pothier, Introduction aux coutumes, chapitre Ier, nos 7, 8.
(3) Voyez le tome Ier de mes Principes, p. 127, n° 87.

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même des droits politiques. Nous laissons ces derniers de côté, pour nous en tenir aux droits civils qui s'exercent au domicile. Le plus considérable concerne la juridiction. En matière personnelle et mobilière, le demandeur doit traduire le défendeur devant le tribunal du domicile de celuici (code de procédure, art. 59). La loi l'a décidé ainsi pour la commodité de la défense; personne n'étant censé obligé, la présomption est pour le défendeur. Pour la même raison, la loi veut qu'on signifie au domicile du défendeur les assignations, les commandements et autres exploits d'huissier (code de procédure, art. 68). La doctrine et la jurisprudence admettent cependant une exception à ce principe. Il a été jugé bien des fois que l'on peut signifier les exploits au domicile apparent, c'est-à-dire à la résidence, et nous avons déjà dit qu'il en est de même des assignations. L'exception est fondée sur ce que le domicile réel peut être inconnu, douteux; il donne souvent lieu à des contestations très-difficiles. Dès lors, la nécessité a conduit à légitimer les assignations et exploits au domicile apparent. Mais il ne faudrait pas en induire, comme l'a fait la cour de Toulouse, que le code Napoléon a maintenu le principe du droit romain en vertu duquel on peut avoir deux domiciles (1); la définition même que le code donne du domicile prouve qu'on ne peut en avoir qu'un seul. Mais il arrive, par exception, que la résidence tient lieu du domicile. Celui à qui on fait une signification à son domicile apparent ne peut pas se plaindre, parce qu'il ne tenait qu'à lui, en général du moins, d'avoir un domicile certain, connu de tous.

102. L'article 110 porte que le lieu où une succession s'ouvrira sera déterminé par le domicile. Cette règle est établie en faveur de toutes les parties intéressées. Il s'agit de déterminer devant quel tribunal seront portées les actions qui concernent la liquidation et le partage d'une succession. La loi décide que c'est le tribunal du lieu où était le siége des affaires du défunt; c'est là que se trouvent ses papiers, ses titres et d'ordinaire ses biens.

(1) Arrêt du 13 juillet 1816 (Dalloz, Répertoire, au mot Domicile, no 136).

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