Page images
PDF
EPUB

Il importe d'ailleurs de centraliser les actions en les attribuant à un seul tribunal, afin d'éviter des frais inutiles.

Ce que la loi dit des successions s'applique à la plupart des actes extrajudiciaires. C'est au domicile et à la résidence des absents que se font les enquêtes qui ont pour but de constater l'absence (art. 116). C'est au domicile ou à la résidence que se célèbre le mariage (art. 74); c'est aussi le domicile qui détermine, en général, le régime que les futurs époux sont censés adopter, quand ils ne font pas de contrat; on appelle ce domicile matrimonial; nous verrons ailleurs les conditions sous lesquelles il existe et les effets qu'il produit. L'adoption est solennisée au domicile de l'adoptant (art. 353). Pour la tutelle officieuse, on doit s'adresser au juge de paix du domicile de l'enfant (art.363). Dans toute tutelle, le conseil de famille s'assemble au domicile du mineur (art. 406). Le domicile exerce encore de l'influence en matière d'obligations. C'est au domicile du débiteur que se fait le payement, quand un autre lieu n'est pas désigné par la convention expresse ou tacite des parties (art. 1247). S'il est obligé de fournir une caution, celle-ci doit être domiciliée dans le ressort de la cour d'appel (art. 2018) (1).

CHAPITRE II.

DU DOMICILE D'ÉLECTION.

§ Ier. Quand il y a domicile élu.

103. Il y a des cas où la loi ordonne d'élire un domicile. Nous en trouvons deux exemples dans le code Napoléon. L'article 176 veut que tout acte d'opposition à un mariage contienne élection de domicile dans le lieu où le

(1) Richelot, Principes du droit civil français, t. Ier, p. 351-361.

mariage devra être célébré. Aux termes de l'article 2148, le créancier qui prend une inscription hypothécaire doit élire domicile dans un lieu de l'arrondissement du bureau. La loi hypothécaire belge a reproduit cette disposition (art. 83). Jadis il y avait un autre cas où l'élection de domicile était commandée par le législateur. Un édit de février 1580 ordonna que toutes personnes ayant seigneuries ou maisons fortes, ou autres de difficile accès, seraient tenues d'élire domicile en la plus prochaine ville royale de leur demeure et résidence ordinaire, où les exploits leur seraient valablement signifiés. Le but de cette singulière ordonnance était de soustraire les huissiers aux mauvais traitements et aux cruautés qui d'ordinaire les attendaient dans les châteaux féodaux. Couper les oreilles à un sergent, le jeter par la fenêtre ou le tuer, c'était là pour les seigneurs un jeu, un amusement. Il fallut permettre de les assigner de loin (1). Il est bon de rappeler ces traits du bon vieux temps, afin de ne pas oublier la reconnaissance que nous devons à la révolution de 89, qui a consacré le principe de l'égalité dans toutes les relations de la vie civile.

104. Nous n'avons à nous occuper ici que du domicile que les parties élisent volontairement dans les contrats. L'article 111 le leur permet, afin de faciliter les conventions. On demande s'il faut une convention expresse pour qu'il y ait domicile élu, ou s'il suffit d'une convention tacite. Nous n'hésitons pas à répondre, avec Merlin, que l'élection de domicile doit être expresse. Il invoque d'abord les paroles l'orateur du Tribunat.« La loi, dit Malherbe, conserve à chaque individu le droit de déroger aux règles établies par la loi pour fixer son domicile. Mais il faut que cette dérogation soit stipulée dans chacun des actes auxquels elle se rapporte (2). A cela on répond que le mot stipuler n'a pas, en droit français, le sens qu'il avait en droit romain; aujourd'hui il est synonyme de contracter; or, le consentement, qui constitue l'essence du contrat, peut se manifester

(1) Boncenne, Théorie de la procédure civile, t. II, p. 90. Encyclopédie méthodique, au mot Huissier.

2) Discours de Malherbe, dans Locré, t. II, p. 190, no 12.

d'une manière tacite aussi bien que d'une manière expresse (1). Eh! qui donc songe à ressusciter les stipulations romaines? Certes, Merlin pas plus que Malherbe. Mais l'orateur du Tribunat donne une raison pour laquelle l'élection de domicile doit être expresse : c'est que cette élection déroge aux règles générales sur le domicile; or, il est de principe que les exceptions n'existent que si elles ont été formellement établies. Cela résulte de la nature même de l'exception. Merlin donne encore un autre motif à l'appui de son opinion. Elire domicile dans un lieu où l'on n'est pas domicilié, c'est renoncer au droit que l'on a de ne pouvoir être assigné que dans son propre domicile et devant son juge naturel. Or, il est encore de principe que la renonciation à un droit quelconque ne se présume pas, et qu'il faut qu'elle soit expresse. Il est vrai que le législateur admet quelquefois des renonciations tacites, mais cela encore est une exception que l'on ne peut admettre que dans les cas prévus par la loi (2).

105. Par application de ce principe, il faut décider que l'indication d'un lieu de payement autre que le domicile du débiteur n'emporte pas élection de domicile. En droit romain, celui qui s'obligeait de payer dans un lieu était censé se soumettre, par cela seul, à la juridiction du juge de ce lieu. Cela venait, dit Merlin, de ce que les contrats étaient, en général, attributifs de juridiction aux juges des lieux où ils étaient passés, et qu'ils étaient toujours réputés faits dans le lieu où devait se faire le payement. Or, y a longtemps que cela n'est plus reconnu en France. On ne suit la maxime romaine que pour les obligations relatives au commerce; c'est une disposition traditionnelle qui a été maintenue par le code de procédure (art. 420). En matière civile, on ne l'admet pas, et avec raison. Autre chose est de s'obliger à payer en un certain lieu, autre chose est d'adopter un lieu pour domicile (3). Le débiteur peut avoir choisi un lieu pour le payement à raison de ses convenances personnelles; certes, on ne dira pas, dans

il

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Domicile élu, no 38.
(2) Merlin, Répertoire, au mot Domicile élu, § 2, no 4.
(3) Valette sur Froudhon, t. Ier, p. 240.

ce cas, qu'il ait entendu renoncer au bénéfice de son domicile. Que si c'est dans l'intérêt du créancier que le lieu du payement a été fixé, il faut restreindre cette clause dans les limites pour lesquelles elle a été stipulée, c'est-àdire l'exécution volontaire de l'obligation par la prespour tation de ce qui en fait l'objet; on ne peut pas l'étendre au cas d'un procès, puisque les parties n'ont pas parlé de procès. Telle est l'opinion générale et la jurisprudence est conforme (1).

106. La cour de cassation s'est écartée de la rigueur de ces principes, en décidant que le pouvoir donné à un mandataire d'élire domicile par le contrat qu'il devait passer, équivalait à une élection effective, alors que le mandataire n'avait pas fait usage de cette clause (2). Que dire, s'écrie Merlin, d'un arrêt aussi extraordinaire? Il répond : Legibus, non exemplis judicandum est. Hâtons-nous d'ajouter que la cour suprême est revenue de cette singulière jurisprudence. Les plus simples notions de droit nous disent que l'intention ne suffit pas pour qu'il y ait convention, il faut de plus que l'intention ait été exécutée. Or, que fait le mandant lorsqu'il charge son mandataire qui doit passer un contrat pour lui, d'élire un domicile dans ce contrat? Il manifeste bien l'intention de se soumettre à la juridiction du juge du lieu qui sera choisi, mais il n'exécute pas encore cette intention; si donc le mandataire n'use pas de son pouvoir, nous restons en présence d'un projet, et un projet n'est pas un contrat (3).

"

107. L'article 111 porte: « Lorsqu'un acte contiendra élection de domicile pour l'exécution de ce même acte. Faut-il conclure de là que le domicile doit être élu dans l'acte même qui constate la convention à raison de laquelle les parties élisent un domicile? La question ne mériterait pas même d'être posée, si ce n'étaient les déclarations très-expresses faites par les orateurs du gouvernement et

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Domicile élu, no 41.

(2) Arrêt du 24 juin 1806 (Dailoz, Répertoire, au mot Domicile élu, no 128).

(3) Arrêt de la cour de cassation du 3 juillet 1837 (Dallez, au mot Domicile élu, no 124). Merlin, Répertoire, au mot Domicile élu, § 2, no 5.

du Tribunat. Le conseiller d'Etat Emmery dit : « La loi exige que l'élection de domicile soit faite dans l'acte même auquel elle se réfère. » Et le tribun Malherbe s'exprime dans le même sens. « Il faut, dit-il, que cette dérogation soit stipulée dans chacun des actes auxquels elle se rapporte (1). » En effet, la loi paraît exiger qu'il en soit ainsi. Néanmoins, l'opinion contraire est admise par tout le monde, et avec raison. La loi prévoit ce qui se fait habituellement, mais elle n'en fait pas une question de validité. Il n'y aurait aucun motif pour cela. Est-ce que les actes que les parties font après avoir arrêté leurs conventions ne se rapportent pas à ces conventions? Est-ce que toutes ces clauses ne forment pas un seul et même contrat (2)? Inutile d'insister; si nous disons un mot de cette question, c'est pour montrer combien il faut se défier des discours et des exposés des motifs, alors même qu'ils paraissent être d'accord avec le texte.

108. L'article 111 contient encore une autre expression qui, prise à la lettre, ferait dire au législateur ce que bien certainement il n'a pas voulu dire. Il porte que l'élection de domicile se fait dans un autre lieu que celui du domicile réel. Tel est, en effet, le cas le plus fréquent; il faut dire plus, c'est précisément pour cela que les parties élisent un domicile fictif. Est-ce à dire que le domicile ne puisse être élu là où est le domicile réel? La loi ne le défend pas, et les parties peuvent avoir intérêt à faire cette stipulation. Cela était admis sans difficulté aucune dans l'ancien droit. On lit dans Denisart: « Lorsque les contractants ont élu domicile en leur demeure déclarée dans l'acte, ils consentent par là que tous les exploits auxquels l'exécution de l'acte pourra donner lieu soient valablement faits à ce domicile, quoiqu'ils changent de demeure (3). » Cela se peut encore faire sous l'empire du code civil. et malgré les termes de l'article 111. En effet, la loi

(1) Emmery, Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 182, no 8); Malherbe, Discours (Locré, t. II, p. 190, no 12).

(2) Merlin, d'après son habitude, épuise la question (Répertoire, au mot Domicile élu, § 2, no 6).

(3) Nouveau Denisart, au mot Domicile élu, § 6.

« PreviousContinue »