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ne dit pas que l'élection de domicile doit se faire en un autre lieu que le domicile élu; ce n'est que par un argument à contrario qu'on pourrait arriver à une pareille conclusion, et l'on sait que cette argumentation est le plus mauvais des raisonnements. Comme le dit la cour de cassation (1), il n'est aucune raison plausible de restreindre l'exercice du droit que l'article 111 donne aux contractants; il le leur donne pour rendre plus facile l'exécution des actes qu'ils passent; dès lors il faut s'en rapporter à eux, ils sont les meilleurs juges de leur intérêt et ils doivent avoir le droit de faire tout ce que leur intérêt exige. Telle est aussi l'opinion générale (2).

109. Le domicile d'élection est établi par une convention, il faut donc lui appliquer les principes qui régissent les contrats. Or, l'article 1122 dit que l'on est censé stipuler pour soi et pour ses héritiers ou ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention. Nous supposons que le contraire n'est pas exprimé; et certes la nature de la clause n'implique pas qu'elle soit attachée à la personne des parties contractantes. Donc elle passe aux héritiers, et les créanciers peuvent s'en prévaloir, car ils sont les ayants cause de leurs débiteurs quand ils exercent leurs droits en vertu de l'article 1166. La question était controversée dans l'ancien droit. Sous l'empire du code, il ne peut plus y avoir de doute. Malherbe, l'orateur du Tribunat, a expliqué la loi en ce sens; il dit que le domicile élu passe aux ayants droit, par la raison que l'effet de la stipulation n'étant pas limité aux seuls contractants, il est évident qu'il se transmet comme toutes les autres actions. La jurisprudence est conforme (3).

(1) Arrêt du 24 janvier 1816, dans Dalloz, Répertoire, au mot Domicile élu, no 52. (2) Merlin, Répertoire, au mot Domicile élu, § 2, n° 7. Dalloz, au mot Domicileélu, no 51, 52.

(3) Malherbe, Discours (Locré, t. II, p. 190, no 12. Merlin, Répertoire, au mot Domicile élu, § 2, no 8.

§ II. Effets du domicile d'élection.

110. L'article 111 détermine les effets du domicile d'élection; il porte que « les significations, demandes et poursuites relatives à l'acte qui contient élection de domicile, pourront être faites au domicile convenu et devant le juge de ce domicile. » Ainsi l'élection de domicile attribue compétence au juge du domicile élu, et autorise les significations à ce même domicile. Il résulte de là une grande différence entre le domicile réel et le domicile élu. Le premier est général, il est établi pour l'exercice de tous les droits civils; tandis que le second est spécial et ne concerne que la juridiction et la signification des exploits. Encore faut-il ajouter une restriction, même dans ces limites. Le domicile élu est établi par le contrat; or, les parties contractantes peuvent étendre ou restreindre leurs conventions comme elles le jugent convenable, et ces conventions leur tiennent lieu de loi. Dès lors, c'est la convention qui déterminera les effets que les parties ont voulu attacher à l'élection de domicile. Il faut ajouter que ces conventions sont de stricte interprétation, comme le dit la cour de cassation. En effet, elles dérogent au droit commun, et toute exception doit être renfermée dans les limites pour lesquelles les parties ou la loi l'ont établie. Cela est surtout vrai du domicile élu qui est une pure fiction, et les fictions s'interprètent toujours d'une manière restrictive. L'effet de l'élection de domicile, dit la cour suprême, ne s'étend donc pas d'un objet à un autre qui en est totalement distinct. Par application de ce principe, elle a décidé que le domicile élu au commencement d'une procédure en première instance ne l'est pas pour l'instance d'appel, si l'intention de la partie à cet égard n'est pas clairement manifestée (1). On ne peut donc pas dire que l'élection de domicile soit toujours et nécessairement attributive de juridiction; elle ne l'est que si telle est la volonté

(1) Arrêt du 25 vendémiaire an xII (Dalloz, Répertoire, au mot Domicile élu, no 29).

des parties contractantes. On trouve de nombreuses applications de ce principe dans la jurisprudence; nous ne nous arrêterons qu'à une question qui concerne le droit civil.

111. Le payement peut-il se faire au domicile élu? On enseigne généralement la négative, et avec raison, croyonsnous. En effet, pourquoi les contractants élisent-ils domicile? Pour le cas où l'exécution de l'acte donnerait lieu à des difficultés, donc pour le cas où il y a lieu à des significations et à des poursuites en justice, c'est-à-dire quand, à défaut d'exécution volontaire, le créancier poursuit l'exécution forcée de son droit. Dès lors, le domicile élu n'a rien de commun avec le payement, car le payement est la prestation volontaire de ce qui fait l'objet de l'obligation. Les principes qui régissent le payement conduisent à la même décision. Aux termes de l'article 1239, le payement doit être fait au créancier, ou à quelqu'un ayant pouvoir de lui. La question est donc de savoir si la personne chez laquelle le domicile est élu, a par cela seul pouvoir de recevoir le payement. Or, cela n'est pas. L'élection de domicile donne à cette personne mandat de recevoir les exploits, mais non de recevoir un payement. Cela décide la question. On pourrait objecter l'article 1258, no 6, qui autorise le débiteur à faire des offres réelles au domicile élu, quand il n'existe pas de convention spéciale sur le lieu du payement: or, les offres réelles tiennent lieu de payement; d'où il semble résulter que le débiteur peut payer au domicile élu. A vrai dire, l'article 1258 est plutôt contraire à cette doctrine; en effet, la première condition qu'il établit pour la validité des offres réelles, c'est qu'elles soient faites au créancier ou à celui qui a pouvoir de recevoir pour lui. Ce qui nous ramène à notre point de départ : le mandat de recevoir des exploits donnet-il pouvoir de toucher le montant de la créance? Ce n'est pas l'article 1258 qui décide cette question; il faut la décider d'après les principes sur le mandat. A ce point de vue, il ne peut pas y avoir de doute. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord (1).

(1) Richelot, Principes du droit civil français,t. Ier, p. 368, no 281. Arrêt

112. Du principe que l'élection de domicile est un contrat, faut-il conclure qu'elle est irrévocable? L'article 1134 décide que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. On doit appliquer ce principe à l'élection de domicile, mais avec des réserves. L'article 1134 suppose, ce qui est la règle générale, que les conventions sont faites dans l'intérêt des deux parties contractantes. Si le domicile a été élu dans l'intérêt des deux parties, il est évident que la clause ne pourra être révoquée que de leur consentement mutuel. Mais le plus souvent le domicile est élu dans l'intérêt de l'une des parties; dans ce cas, il va sans dire qu'elle peut renoncer à un bénéfice qui n'est établi qu'en sa faveur. L'article 111 lui-même le suppose. Il dit que les significations pourront être faites au domicile convenu et devant le juge de ce domicile; ce qui implique qu'elles pourront aussi être faites au domicile réel; en d'autres termes, que celui au profit duquel le domicile d'élection a été stipulé peut y renoncer. En ce sens, l'élection de domicile est révocable. Ce qui résulte implicitement de l'article 111, est dit en termes formels par le code de procédure (article 59): «En cas d'élection de domicile pour l'exécution d'un acte, l'assignation se fait devant le tribunal du domicile élu, ou devant le tribunal du domicile réel du défendeur. »

113. La cour de Paris a appliqué le principe de l'irrévocabilité du domicile aux rapports qui existent entre la personne qui a élu le domicile et celle chez laquelle il a été élu. C'est-à-dire qu'elle a décidé que le mandat que la partie intéressée donne au mandataire chez lequel elle a élu domicile est irrévocable. Cet arrêt a été cassé, et à juste titre, car l'erreur est évidente. La cour a confondu les rapports qui naissent de l'élection de domicile, d'une part, entre les parties qui stipulent l'élection de domicile, et, d'autre part, entre celui qui élit domicile et la personne

de la cour de cassation du 23 novembre 1830 (Dalloz, Recueil périodique, 1830, 1, 405).

chez laquelle il est élu. Entre les parties qui figurent au contrat, l'élection de domicile est irrévocable, comme nous venons de le dire. Mais les rapports qui existent entre la personne qui élit un domicile et celle chez qui ce domicile est élu sont d'une tout autre nature; c'est un simple mandat, et tout mandat est révocable. Rien n'empêche donc que celui qui a élu domicile ne révoque le mandat qu'il a donné. Bien entendu qu'il sera tenu d'élire domicile au même lieu, chez une autre personne, et qu'il devra don- ner connaissance de ce changement à la partie dans l'intérêt de laquelle le domicile a été élu. Celle-ci, comme le remarque la cour de cassation, n'a pas le droit de se plaindre; il doit lui être fort indifférent de faire ses significations à telle personne ou à telle autre, pourvu que ce soit dans le lieu stipulé au contrat. Ce lieu est la seule chose qui l'intéresse; le choix de la personne regarde celui qui élit domicile; comme il est libre, dans le principe, de désigner telle personne qui lui convient, il est aussi libre de changer cette désignation. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes sur ce point (1).

(1) Arrêt de la cour de cassation du 19 janvier 1814 (Dalloz, Répertoire, an mot Domicile élu, no 78). Demolombe, t. Ier, p. 601, no 372. Merlin, Réper toire, au mot Domicile élu, § 2, no 11.

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