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TITRE IV.

DES ABSENTS.

SOURCES: De Moly, conseiller à la cour de Toulouse, Traité des Absents. 1 vol. in-8°. Paris, 1822.
Talandier, conseiller, Nouveau traité des Absents. 1 vol. in-8°. Paris, 1833.

Plasman, vice-président du tribunal de première instance d'Orléans, Code et traité des
Absents. 2 vol. in-8°. Paris, 1841.

114. La matière des absents est hérissée de difficultés. Nous laisserons de côté un grand nombre de questions traitées par les auteurs, en nous tenant aux principes généraux. Voici nos raisons. On a dit que l'absence forme une législation nouvelle, parce que dans les temps modernes le nombre des absents est allé en croissant, à raison de l'extension que prennent les relations internationales. Cela explique le silence que gardent les jurisconsultes romains sur une matière qui a éveillé toute la sollicitude du législateur français. Est-ce à dire que l'intérêt que présente l'absence aille aussi en augmentant? Non, et pour se convaincre du contraire, l'on n'a qu'à ouvrir un recueil de jurisprudence. Le nombre des arrêts va en diminuant; il y a des années entières où l'on ne trouve pas une seule décision sur le titre des Absents. Cela s'explique facile

ment. C'est la Révolution, ce sont les guerres de la République et de l'Empire qui déplacèrent des milliers de Français, dont la plupart trouvèrent la mort à l'étranger, sans que leur décès pût être légalement constaté. Cette cause passagère et ses effets ont cessé avec la paix.

Il y a plus. Si le progrès des relations internationales augmente le nombre de ceux qui voyagent dans un but commercial, industriel, scientifique, ou même de pur agrément, il n'est pas exact de dire que le nombre des absents augmente dans la même proportion. L'absence est l'incertitude qui règne sur la vie ou la mort de ceux qui ont quitté leur domicile sans donner de leurs nouvelles. Cette incertitude, loin de devenir plus grande avec la civilisation qui mêle les peuples et les individus, tend à diminuer. En effet, elle tient à un vice d'organisation. Est-ce que dans un seul et même pays, quelque vaste qu'il soit, l'incertitude sur l'existence des hommes augmente, depuis qu'ils se déplacent avec la facilité merveilleuse qu'offrent les voies de communication? Non, certes. Eh bien, pourquoi en serait-il autrement à l'étranger? A mesure que l'administration se perfectionnera, l'incertitude sur le sort des voyageurs se dissipera. Il sera un jour aussi facile d'obtenir la preuve du décès d'un Français dans l'Australie, qu'il l'est aujourd'hui de prouver sa mort dans l'une ou l'autre partie de l'Europe: Par suite, le nombre des absents doit diminuer. Nous n'osons pas espérer que les boucheries humaines, que les historiens célèbrent sous le nom de batailles, cessent de sitôt; il est cependant certain que l'esprit pacifique prend tous les jours des forces nouvelles. Et alors même que le sang continuerait à couler, les victimes ne passeront plus pour des absents, parce que l'on parviendra à prouver légalement le décès de ceux qui périssent dans ces terribles conflits. Voilà pourquoi le nombre des absents ira toujours en diminuant. Et voilà aussi pourquoi la législation sur l'absence recevra des applications de moins en moins fréquentes. Dès maintenant, la plupart des questions que les auteurs agitent cont de pure doctrine; elles ne se présentent pas dans la vie réelle. Nous aimons la théorie, mais à condition qu'elle

ait ses racines dans la réalité. Le droit ne doit pas être une scolastique, car le droit est une face de la vie. Les relations de la vie civile présentent assez de difficultés réelles, pour que l'on puisse se passer de celles qui ne se rencontrent que dans le domaine de l'imagination.

115. Nous avons sur les absents une législation générale et des lois spéciales. Les règles de droit commun se trouvent dans le titre IV du code Napoléon. Il y a en outre des règles qui ne s'appliquent qu'aux militaires absents. Ces dernières, étant de leur nature exceptionnelles, n'entrent pas dans le cadre de nos Principes. Nous nous bornerons à citer les lois et les auteurs qui les commentent :

Loi du 11 ventôse an II;
Loi du 16 fructidor an II;
Loi du 6 brumaire an v.

En France, il y a de plus les lois du 21 décembre 1814 et du 13 janvier 1817.

On trouve le texte de ces lois, la jurisprudence et le résumé de la doctrine dans le Répertoire de Dalloz, au mot Absents, chapitre VII (tome Ier, p. 140). Comparez Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 461-487; Plasman, Code des Absents, t. II, p. 111 et suiv., 175 et suiv.; Talandier, Nouveau traité des Absents, p. 336 et suiv; De Moly, Traité des Absents, p. 465 et suiv.

CHAPITRE PREMIER.

PRINCIPES GENÉRAUX.

116. Le mot absent a un sens technique en droit. Dans le langage ordinaire, on dit qu'une personne est absente quand elle est éloignée de sa demeure, de sa résidence ordinaire. C'est la définition que donne le Dictionnaire de l'Académie. Dans cette acception, l'absence n'implique pas la moindre incertitude sur la vie de celui qui ne se trouve pas

dans le lieu où il réside habituellement. Il en est de même de ceux qui sont absents en ce sens qu'ils ne sont pas là où ils devraient être. Le code Napoléon les appelle des non présents. Ainsi aux termes de l'article 819, si tous les héritiers ne sont pas présents quand une succession s'ouvrent, les scellés doivent être apposés. Le partage, en ce cas, se fait selon les règles que la loi prescrit, dans l'intérêt des non présents (art. 840). Quoique les héritiers ne soient pas présents, aucun doute ne s'élève sur leur existence. Il n'en est pas ainsi des absents dont traite le titre IV. Ils ont disparu de leur domicile ou de leur résidence, sans donner de leurs nouvelles, ce qui fait qu'il y a incertitude sur leur vie ou leur mort, et l'incertitude va en croissant, à mesure que cet état de choses se prolonge. 117. Pourquoi la loi s'occupe-t-elle des absents? Il importe d'entendre sur ce point les auteurs mêmes du code civil. Portalis répond que c'est l'humanité qui excite la sollicitude du législateur. Plus que jamais, dit-il, dans les temps modernes, l'absence doit appeler l'attention et la viligance des lois; car aujourd'hui l'industrie, le commerce, l'amour des découvertes, la culture des arts et des sciences déplacent perpétuellement les hommes. On doit une protection spéciale à ceux qui se livrent à des voyages de long cours et à des entreprises périlleuses, pour rapporter ensuite dans leur patrie des richesses et des connaissances qu'ils ont acquises avec de grands efforts et au péril de leur vie (1). D'après Portalis, ce serait donc l'intérêt des absents qui aurait engagé le législateur à intervenir. Bigot-Préameneu, en exposant les motifs du titre de l'Absence, s'exprime dans le même sens. « Le titre des Absents, dit-il, offre les exemples les plus frappants de cette admirable surveillance de la loi, qui semble suivre pas à pas chaque individu pour le protéger aussitôt qu'il se trouve dans l'impuissance de défendre sa personne ou d'administrer ses biens. Cette impuissance peut résulter de l'âge ou du défaut de raison et la loi y pourvoit par les

(1) Portalis, Exposé général du système du code civil, fait dans la séance du Corps législatif du 3 frimaire an x (Locré, t. Ier, p. 192, no 16).

tutellés. Elle peut venir aussi de ce que l'individu absent n'est plus à portée de veiller à ses intérêts (1).

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Les auteurs du code assimilent donc l'absent au mineur et à l'interdit, c'est-à-dire aux personnes incapables. Il y a, en effet, quelque analogie entre les absents et les incapables. Celui qui ne se trouve pas au lieu où est le siége de ses affaires, et que des circonstances imprévues, exceptionnelles empêchent même de donner de ses nouvelles, est dans l'impossibilité absolue d'administrer ses biens, de même que l'enfant qui vient de naître, de même que le majeur qui est frappé d'aliénation mentale. Il est donc juste que la loi veille aux intérêts des absents, comme elle veille aux intérêts des mineurs et des interdits. Cependant il y a une différence, et elle est considérable. L'orateur du Tribunat l'a signalée. « Il ne faut pas, dit-il, comparer les absents aux mineurs, c'est la faiblesse de leur âge, c'est la nature elle-même qui a mis ceux-ci dans l'impuissance d'agir et de défendre leurs droits; et contre ces obstacles ils ne peuvent prendre des précautions. L'absence, au contraire, étant généralement volontaire, les absents méritent moins de faveur que les premiers (2). » Voilà pourquoi la prescription ne court pas contre les mineurs, tandis qu'elle court contre les absents.

Il y a d'autres différences entre les absents et les mineurs. Quand la loi organise les tutelles, elle se préoccupe exclusivement des mineurs et de leurs intérêts. A entendre les orateurs du gouvernement, il en serait de même des mesures que la loi prescrit en cas d'absence. Cela n'est pas exact. Il y a d'abord un intérêt social qui est évident, puisque les absents ont des biens, et que la société doit veiller à ce que les richesses, produit du travail, ne se perdent pas faute de soins et de surveillance. Il y a ensuite l'intérêt des tiers, qui est tout aussi évident: tels sont les créanciers, les associés. Il y a enfin l'intérêt des héritiers présomptifs, que la loi prend en considération, car elle leur donne le droit de demander l'envoi

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 251, no 1.

(2) Discours de Huguet dans la séance du Corps législatif du 24 ventôse an xi (Locré, t. II, p. 274, no 24).

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