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tème fut adopté (1); mais pouvons-nous le considérer comme loi, alors qu'il ne se trouve pas dans le code? Il est évident que non, car ce n'est pas le conseil d'Etat qui faisait la loi, c'est le Corps législatif. Puisqu'il n'y a pas de loi, il faut décider, nous semble-t-il, que le tribunal du domicile et les tribunaux de la situation des biens sont également compétents. Il pourra en résulter des jugements contradictoires, comme on l'a dit au conseil d'Etat; mais dans le silence de la loi, il est impossible de donner à un seul tribunal une compétence exclusive. On ne peut pas davantage exiger qu'il y ait un jugement préalable rendu par le tribunal du domicile et déclarant qu'il y a présomption d'absence, cela serait en opposition avec le texte de la loi; elle suppose un seul jugement qui, se fondant sur la présomption d'absence et sur la nécessité, prescrit les mesures qu'il juge nécessaires pour l'administration des biens de l'absent (2).

137. Le tribunal statue sur la demande des parties intéressées. Il faut une demande. Les tribunaux ne prennent jamais l'initiative, ils doivent être saisis. Mais qu'entend-on, dans l'article 112, par parties intéressées? Il va sans dire que ceux qui ont un intérêt né et actuel peuvent agir; c'est le droit commun. Tels sont les créanciers. Leur créance est-elle échue, ils peuvent en poursuivre l'exécution sur les biens de l'absent. Si elle n'est pas échue, ils peuvent agir en justice pour demander que le tribuna! pourvoie à l'administration de ses biens; en effet, ces biens sont leur gage, et ils ont un intérêt né et actuel à ce qu'il soit conservé. Mais n'y a-t-il que ceux qui ont un intérêt né et actuel qui soient parties intéressées, dans le sens de l'article 112? La question est controversée. Il y a un motif de douter, c'est qu'il est de principe que celui qui n'a pas d'intérêt ne peut pas agir, et que cet intérêt doit être né et actuel. D'après cela, on décide que les héritiers présomptifs ne sont pas parties intéressées (3). Il nous semble que

(1) Séance du conseil d'Etat du 4 frimaire an x (Locré, t. II, p. 233, n° 3).

(2) Voyez les auteurs cités dans Dalloz. Répertoire, au mot Absents, no 57. (3) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 305, no 396.

le principe général ne reçoit pas d'application en matière d'absence. Pourquoi le demandeur doit-il avoir un intérêt né et actuel? Parce qu'il demande quelque chose pour lui. Or, dans le cas de l'article 112, le demandeur ne demande rien pour lui, il fait connaître au tribunal la nécessité de pourvoir à l'administration des biens de l'absent. Tout intérêt, même un intérêt purement éventuel, doit suffire pour légitimer une action pareille. Ce qui le prouve, c'est que le ministère public a le droit d'agir d'office; cependant de lui on ne peut pas dire qu'il ait un intérêt né et actuel, car il n'agit jamais dans un intérêt personnel. Il faudrait donc modifier le principe général en ce sens que sont parties intéressées ceux qui ont un intérêt quelconque à la conservation du patrimoine de l'absent. Les héritiers présomptifs ont certainement un intérêt à ce que les biens de l'absent soient conservés, car si l'absence se prolonge, ils sont envoyés en possession. Telle est aussi l'opinion générale (1). Seulement on la fonde sur un motif que nous ne saurions accepter. On dit que les héritiers ont plus qu'un droit éventuel, plus qu'une espérance, qu'ils ont une sorte de droit conditionnel, puisque si l'absent ne reparaît pas, ils sont envoyés en possession, comme étant ses plus proches héritiers au jour de sa disparition ou de ses dernières nouvelles (2). Qui ne voit que c'est là un droit purement éventuel? Il suffit qu'on ait des nouvelles de l'absent pour le faire évanouir. Aussi dit-on que c'est une sorte de droit conditionnel. Il faut bannir de notre science ces expressions indécises par lesquelles on affirme une chose, tout en n'osant pas le faire ouvertement. Un droit est conditionnel ou il ne l'est pas. Il n'y a pas une sorte de droits conditionnels. Ces mots vagues introduisent des idées nuageuses dans une science essentiellement positive, ce qui est la ruine de la vraie science.

Si les héritiers présomptifs sont parties intéressées, les légataires aussi le sont. On oppose l'article 123, aux termes duquel le testament n'est ouvert qu'après la décla

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 68.
(2) Valette sur Proudhon, t. Ier, p. 257, note a.

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ration d'absence. Sans doute que les légataires ne pourront pas demander l'ouverture d'un testament qui n'est pas en leurs mains. Mais s'ils le possèdent, pourquoi ne pourraient-ils pas le produire? M. Demolombe, qui professe l'opinion contraire, ajoute une singulière réserve. « Si, dit-il, le légataire était saisi du testament, si l'institution était universelle, si personne n'agissait, si la première période était déjà très-avancée, je ne serais pas surpris que ces différentes circonstances fissent admettre la requête du légataire. Puis il finit par dire : « Mais je m'en tiendrais toujours en principe à la solution que j'ai proposée (1). » Si l'opinion enseignée par l'auteur a pour elle les vrais principes, pourquoi suppose-t-il que les tribunaux s'en écarteront? n'est-ce pas dire que les circonstances font dévier les juges de la loi? Si cela arrive parfois, il faut combattre ces décisions arbitraires de toutes nos forces, bien loin de les encourager, en énumérant les circonstances qui pourraient engager les magistrats à se mettre au-dessus de la loi. Le droit ne se plie pas au gré des faits; ce sont, au contraire, les faits qui doivent plier sous le droit, sinon il n'y a plus de droit.

138. L'article 114 porte : « Le ministère public est spécialement chargé de veiller aux intérêts des personnes présumées absentes, et il sera entendu sur toutes les demandes qui les concernent. » Sur ce dernier point il n'y a aucune difficulté. Le code de procédure a interprété la disposition de l'article 114, en ordonnant de communiquer au procureur du roi les causes concernant ou intéressant les personnes présumées absentes (art. 83, no 7). Il y a quelque doute sur le sens de la première disposition de l'article 114. On l'interprète généralement en ce sens qu'elle donne au ministère public le droit d'agir d'office. En principe, il n'a pas ce droit; ce sont les parties intéressées qui portent l'action devant le juge, l'officier du ministère public est seulement partie jointe. Ce n'est que par exception et dans les cas spécifiés par la loi que le ministère public devient partie principale (2). La question

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 36, no 27.

(2) Loi du 24 août 1790, titre VIII, art. 2; loi du 20 avril 1810, art. 46.

est de savoir si l'article 114 consacre une de ces exceptions. Il n'est guère possible de lui donner un autre sens. En effet, il renferme deux dispositions : la seconde veut que toutes les demandes concernant les présumés absents leur soient communiquées : la première doit donc lui donner une autre mission, sinon la loi dirait deux fois la même chose. Tel est d'ailleurs l'esprit du code Napoléon. Au conseil d'Etat, le premier consul insista sur le devoir qu'avait la société de veiller aux intérêts des absents: elle devait leur tenir lieu de tutrice, disait-il. Qui sera chargé de remplir ce devoir? Les tribunaux n'ont jamais d'initiative; ils ne peuvent rien faire pour les absents, à moins qu'ils ne soient saisis. Qui les saisira? Le législateur fait appel aux parties intéressées. Mais s'il n'y en a pas ou si elles n'agissent pas? Laissera-t-on dépérir les biens abandonnés? Si la société est tutrice, il faut qu'il y ait un agent de la société qui exerce la tutelle. On ne nomme pas de tuteur aux absents, dès lors il fallait charger le ministère public de veiller à leurs intérêts; si donc personne ne provoque les mesures que la nécessité commande, le procureur du roi le fera (1).

La doctrine et la jurisprudence sont d'accord. Il a été jugé que le ministère public a qualité pour requérir d'office la nomination d'un administrateur aux biens (2). La cour de Bruxelles a décidé qu'il peut requérir la consignation dans un dépôt public des sommes dues à l'absent (3). Postérieurement à cet arrêt, une loi du 20 décembre 1823 ordonna de verser dans la caisse des consignations les deniers appartenant aux présumés absents, et qui seraient reçus en vertu des dispositions des articles 112 et 113. C'est au ministère public à veiller à l'exécution de cette loi.

139. L'application de l'article 114 donne lieu à une question sur laquelle les auteurs sont divisés. On demande si le ministère public peut exercer les actions appartenant

(1) Demolombe, t. II, p. 37, no 29. Proudhon, Traité sur l'état des peramnes, t. Ier, p. 338 et suiv.

(2) Arrêt de la cour de cassation du 8 avril 1812, et arrôt de la cour de Metz du 15 mars 1823 (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 95 et 122). (3) Arrêt du 26 avril 1821 (Dalloz, au mot Absents, no 79).

à l'absent, ou s'il doit se borner à requérir la nomination d'un curateur qui agira au nom de l'absent. La cour de Metz a décidé que le ministère public n'est point chargé d'agir par lui-même pour les personnes présumées absentes, et de faire valoir leurs droits et leurs intérêts (1). C'est l'opinion généralement suivie par les auteurs, et nous croyons qu'elle est fondée sur les vrais principes. Donner au ministère public le droit d'intenter des actions au nom de l'absent, ce serait le transformer en administrateur; or, ce n'est jamais là son rôle, et ce n'est pas là le but de l'article 114 les officiers du ministère public remplissent leurs fonctions auprès du tribunal auquel ils sont attachés; en matière civile, ils se joignent aux parties en cause, ou, dans les cas prévus par la loi, ils saisissent eux-mêmes le tribunal; tel est le cas de l'article 114. De quoi s'agit-il? De pourvoir aux intérêts de l'absent. Qui prescrit ces mesures? Le tribunal. Qui les requiert? Le ministère public. A cela se borne son action. Si donc il y a des droits à poursuivre, le ministère public provoquera la nomination d'un curateur, mais il ne fera pas lui-même fonction de curateur.

§ II. Effets de la présomption d'absence quant aux biens de l'absent.

140. L'article 112 charge le tribunal de prendre les mesures nécessaires pour l'administration des biens de l'absent. On demanda au conseil d'Etat quand le tribunal devait intervenir. « Il serait difficile, répondit Portalis, de fixer le délai dans lequel on doit pourvoir à la conservation des biens d'un absent; c'est par les circonstances. qu'il faut en juger. Il n'y a pas de danger à ce que les tribunaux aient le droit de se régler à cet égard par l'urgence et à prononcer suivant les cas. » L'article 112 est conçu dans ce sens. «S'il y a nécessité, » dit la loi. C'est donc la nécessité qui donne au juge le droit et qui lui fait

(1) Arrêt précité du 15 mars 1823. Comparez Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 81. Demolombe, t. II, p. 39, no 30.

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