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un devoir d'intervenir. La simple utilité ne suffirait point. Le tribunal n'est pas appelé à augmenter le patrimoine de l'absent, il est appelé à le conserver. Il y a d'ailleurs un motif d'ordre public qui lui commande d'agir avec la plus grande réserve. Nos anciennes coutumes disent que chacun est roi dans sa maison; il faut que les magistrats respectent cet asile sacré; ils n'y doivent pénétrer que s'il y a nécessité absolue. Quand peut-on dire qu'il y a néces sité? Lors de la discussion du titre III au conseil d'Etat, Tronchet cita comme exemples: si les terres restent abandonnées sans culture, si la maison n'est pas habitée, si les meubles, si les denrées et les marchandises dépérissent. Il est inutile de s'arrêter à ces applications, puisque la nécessité est essentiellement une question de fait. Voilà pourquoi le tribunal ne doit pas intervenir si l'absent a laissé un procureur fondé. Il n'y a pas de nécessité dans ce cas, puisque l'absent a lui-même pourvu à l'administration de ses biens; seulement si la procuration n'était pas assez étendue, ou si elle venait à cesser, la nécessité donnerait de nouveau au juge droit et mission d'agir (1).

141. Quelles mesures le tribunal peut-il ou doit-il prescrire? Le code ne le dit pas; le tribunal statuera, porte l'article 112. Cependant le législateur trace une règle qui sert de guide et de limite au juge: « S'il y a nécessité de pourvoir à l'administration de tout ou partie des biens laissés par une personne présumée absente. » Le tribunal ne peut donc prescrire que les mesures nécessaires. Si la nécessité existe pour tout le patrimoine de l'absent, le tribunal y pourvoira; s'il suffit de prendre des mesures pour certains biens, le tribunal bornera son action à la stricte nécessité. L'usage était jadis de nommer un curateur chargé d'administrer les biens de l'absent. Le code ne l'ordonne pas et il ne le défend pas. C'est dire que les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire. Dans l'ancien droit, l'usage était de nommer un curateur à l'absent; mais trop souvent, dit Bigot-Préameneu, ces administrateurs, pris parmi les agents d'affaires, ont été coupables de dilapida

(1) Toullier, Le droit civil français, t. Ier, p. 335, no 389.

tions; trop souvent, même étant de bonne foi, ils ont, soit par ignorance, soit par négligence, causé la ruine de l'absent. L'abus alla à ce point que le législateur défendit de nommer des curateurs (1). Au conseil d'Etat, on témoigna également une extrême défiance contre eux. C'est de l'exagération, dit Regnier. La nécessité peut exiger que le tribunal pourvoie à l'administration de tous les biens laissés par l'absent; il faudra donc nommer un administrateur général, qu'on lui donne le nom de curateur ou de gérant, peu importe. D'ailleurs le tribunal peut prescrire des garanties, et le ministère public veillera à ce que les intérêts de l'absent soient sauvegardés (2). Cette opinion prévalut. Bigot-Préameneu dit dans l'Exposé des motifs que les nominations de curateurs ne sont pas interdites, que les tribunaux le feront s'ils le jugent indispensable, mais en cherchant tous les moyens d'éviter les inconvénients auxquels cette mesure expose (3). La jurisprudence s'est prononcée en ce sens (4).

C'est naturellement au tribunal qui nomme un curateur à régler les pouvoirs qu'il veut lui accorder. Mais ces pouvoirs ne peuvent pas dépasser les bornes de l'administration, puisque dans la première période de l'absence, tout se fait dans l'intérêt de la personne présumée absente et pour la conservation de ses droits. L'article 112 le dit : il ne s'agit que d'administrer tout ou partie du patrimoine de l'absent.

142. Le tribunal a donc, en principe, pleine latitude pour prescrire telles mesures qu'il juge nécessaires. Il n'y a qu'une exception; la loi prévoit un cas dans lequel ellemême dit ce que le juge doit faire. Si l'absent est intéressé, porte l'article 113, dans des inventaires, des comptes, des partages, des liquidations, le tribunal commettra un notaire pour l'y représenter. Pourquoi le législateur ne s'en est-il pas rapporté à la prudence du juge dans ce cas

(1) Ordonnance de 1667, titre II, article 8.

(2) Séance du conseil d'Etat du 24 fructidor an ix (Locré, t. II, p. 223, n° 20).

(3) Locré, Législation civile, t. II, p. 253, no 10.

(4) Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 95.

spécial? Si la loi donne plein pouvoir au juge quand il s'agit de pourvoir à l'administration des biens d'un absent, c'est qu'il était impossible de prescrire les mesures que commandent les circonstances, tout dépendant des faits, qui varient à l'infini. Il n'en est plus de même quand l'ab sent est intéressé dans la liquidation d'une succession; la nature des droits à sauvegarder indique que le meilleur défenseur que l'absent puisse avoir, c'est un notaire. Déjà une loi du 11 février 1791 l'avait décidé ainsi. Les auteurs du code ont maintenu cette disposition dans l'intérêt de l'absent autant que par défiance contre les curateurs (1).

L'application de l'article 113 donne lieu à quelques difficultés. Il y a un premier point qui ne fait pas de doute. De quelles successions s'agit-il? Evidemment de celles. auxquelles l'absent a été appelé avant qu'il y eût incertitude sur sa vie, c'est-à-dire avant qu'il y eût présomption d'absence. En effet, aux termes de l'article 136, s'il s'ouvre une succession à laquelle soit appelé un individu dont l'existence n'est pas reconnue, cette succession est dévolue exclusivement à ceux avec lesquels il aurait eu le droit de concourir, ou qui l'auraient recueillie à son défaut.

Quelles sont les fonctions du notaire? La loi les indique : il représente l'absent dans les inventaires, comptes, partages et liquidations. C'est au tribunal à limiter son action ou à l'étendre. S'il se borne à reproduire le texte de la loi, il en résultera que le notaire n'a autre chose à faire que les actes habituels de son ministère. Pourra-t-il demander le partage? Non certes, car ce n'est pas là la mission du notaire. Demander un partage est un acte qui dépasse les bornes d'un pouvoir d'administration. Le tuteur ne le peut, ni le mineur émancipé. Si le tribunal jugeait qu'il fût nécessaire de provoquer le partage, il devrait donner expressément cette mission au notaire ou au curateur qu'il chargerait des intérêts de l'absent. Bien moins encore le notaire pourra-t-il transiger. Il est même douteux que le tribunal puisse lui conférer ce pouvoir. La loi l'appelle à homologuer les transactions faites au nom d'un mineur, mais en

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 253, no 10).

prescrivant d'autres garanties. En matière d'absence, le tribunal ne peut ordonner que ce qui est nécessaire; or, peut-on dire que la transaction soit une nécessité (1) ?

§ III. Effet de la présomption d'absence sur le mariage.

143. L'absence ne dissout jamais le mariage, parce que jamais il n'y a présomption de mort. Nous reviendrons sur ce principe, qui est commun à toutes les périodes de l'absence. Pendant la première, le mariage subsiste avec tous ses effets, même quant aux biens. Si c'est la femme qui est présumée absente, le mari présent continue le régime, quel qu'il soit, sous lequel les époux se sont mariés; l'absence de sa femme ne change rien à ses droits. En général, il est administrateur de ses biens et usufruitier; il continuera à les administrer et à en jouir. Si les époux avaient adopté le régime de séparation de biens, et si la femme etait absente, il y aurait lieu à provoquer des mesures pour la gestion de ses biens, puisque, sous ce régime, c'est elle qui en a l'administration et la jouissance.

Si le mari est présumé absent, il y aura également lieu de prendre des mesures pour l'administration de ses biens, puisque la femme n'a, sous aucun régime, un droit sur les biens de son mari. Quant aux biens communs, s'il y a régime de communauté, nous croyons que la femme en prendra l'administration. Nous verrons que la loi lui donne ce droit, même après la déclaration d'absence (art. 124); à plus forte raison, doit-elle l'avoir pendant l'absence présumée. Elle est associée; à la vérité, elle ne prend aucune part à l'administration de la communauté quand le mari est présent; mais quand le mari est absent et par suite dans l'impossibilité de gérer les intérêts communs, la femme associée doit administrer. A-t-elle besoin de l'autorisation de justice pour faire les actes d'administration? L'affirmative ne souffre aucun doute. Le mariage subsiste avec tous ses effets, do c la femme reste frappée

(1) Preadhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 343-345. Merlin, Répertoire, au mot Absents, t. Ier, p. 39 et suiv., no 4. Dalloz, Répertoire, au mot Ab ents, as 120 139.

d'incapacité juridique. Il faudrait une disposition de la loi pour l'en affranchir, et la loi est muette.

144. L'article 1427 confirme cette doctrine. Il porte que la femme ne peut s'obliger pour l'établissement de ses enfants, en cas d'absence du mari, qu'après y avoir été autorisée par justice. Si les époux sont mariés sous le régime de la communauté, la femme peut donc s'obliger avec autorisation de justice, pour doter ses enfants. Mais peut-elle aussi donner les biens de la communauté? Ces biens ne lui appartiennent pas, ils sont la propriété du mari, qui seul peut en disposer. Cela décide la question (1). Les biens communs et les biens personnels du mari étant sa propriété, les tribunaux ne peuvent pas autoriser la femme à les aliéner. Ils peuvent seulement prendre les mesures nécessaires à l'administration de son patrimoine. Or, la dotation n'est pas une nécessité. Sans doute, il serait très-utile que cela pût se faire, mais il faudrait pour cela un texte, et nous n'en avons pas. On a proposé, pour combler la lacune, d'appliquer par analogie l'article 511, qui permet de pourvoir à l'établissement des enfants, en cas d'interdiction du père, par un avis du conseil de famille, homologué par le tribunal. Il y a parité de raison, dit Delvincourt (2). Cela est très-vrai; mais suffit-il d'un motif d'analogie pour disposer du patrimoine de l'absent pendant la présomption d'absence, alors que la loi ne permet que les mesures nécessaires à l'administration de ses biens? Nous ne le croyons pas; ce serait dépasser la loi et par conséquent la faire au lieu de l'interpréter.

SIV. Effet de la présomption d'absence quant aux enfants.

il

145. Le père est présumé absent, et la mère est présente; y a des enfants communs. D'après l'article 141, la mère en aura la surveillance, et elle exercera tous les droits du mari quant à leur éducation et à l'administration de leurs

(1) Demolombe enseigne que l'article 1427 permet à la femme de disposer des biens de la communauté; la loi ne dit pas cela. (Cours de code Napoléon, t. II, p. 426, no 315.)

(2) Delvincourt, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 85, note 4.

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