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biens. La surveillance dont la loi parle est-elle une tutelle? Bigot-Préameneu dit dans l'Exposé des motifs : « Il est conforme aux principes qui vous seront exposés au titre des Tutelles que, si la femme de l'absent vit, elle ait la surveillance des enfants (1). » C'est dire que la surveillance confiée à la mère est une tutelle semblable à celle qui lui est conférée quand elle survit à son mari. Telle est aussi la doctrine de Proudhon. Nous croyons, avec tous les auteurs, que cette opinion doit être rejetée. Il ne peut être question de tutelle aussi longtemps que le père vit; or, le père, quoique présumé absent, n'est pas présumé mort. Vainement dira-t-on qu'il y a incertitude sur sa vie; cela est vrai, mais cette incertitude n'a d'autre effet que de prendre les mesures que la nécessité exige. Ce qui a lieu pour les biens, doit, à plus forte raison, se faire pour les personnes. Aussi la loi dit-elle que la femme présente exerce les droits du mari. Or, le mari a la puissance paternelle, c'est donc cette puissance qui est dévolue à la femme. Cela est en harmonie avec les principes généraux qui régissent la puissance paternelle dans le droit civil français. L'article 203 dit que les époux contractent ensemble l'obligation de nourrir, d'entretenir et d'élever leurs enfants. Cette disposition donne implicitement la puissance paternelle à la femme aussi bien qu'au mari; car, dans notre droit moderne, la puissance paternelle n'est autre chose que le devoir d'éducation. Aussi l'article 372 dit-il que l'enfant reste sous l'autorité de ses père et mère jusqu'à sa majorité ou son émancipation. L'article 373 ajoute que le père seul exerce cette autorité durant le mariage. Mais quand il est dans l'impossibilité de l'exercer, la mère prend naturellement sa place. C'est là ce que l'article 141 veut dire, en disposant que la mère présente aura la surveillance de ses enfants (2).

146. Quelle est l'étendue de ses pouvoirs? Elle exerce tous les droits du mari, dit l'article 141, quant à l'administration des biens des enfants. Le père est administrateur

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 253, no 11.

(2) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 307. Comparez Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 548.

et non tuteur. Il en est de même de la mère qui le remplace: donc il n'y a pas lieu à subrogée tutelle, il n'y a pas d'hypothèque légale. La mère peut faire les actes d'administration que le mari a le droit de faire comme administrateur légal. Au titre de la Puissance paternelle, nous dirons quels sont ces pouvoirs. La femme a-t-elle besoin de l'autorisation de justice pour faire les actes juridiques que l'administration nécessite? La question est controversée et il y a un motif de douter. Nous venons de dire que la femme de l'absent présumé reste frappée d'incapacité et qu'elle ne peut s'obliger qu'avec autorisation de justice. L'article 1427 est formel. Si elle est incapable pour son propre patrimoine, comment serait-elle capable pour le patrimoine de ses enfants? Proudhon ne comprend pas une pareille contradiction; il conclut que la femme doit, dans tous les cas, se faire autoriser en justice (1). Cependant la contradiction existe, et il faut l'accepter puisqu'elle résulte de la loi (2). La femme présente reste femme mariée, donc incapable; l'article 1427 le dit. D'un autre côté, l'article 141 lui confie l'administration des biens de ses enfants. Or, quand la femme mariée administre, soit en vertu de la loi, s'il y a séparation judiciaire, soit en vertu du contrat de mariage, s'il y a séparation contractuelle, elle administre librement, c'est-à-dire sans avoir besoin d'autorisation (art. 1449 et 1536). Il faut dire la même chose quand la loi lui confie l'administration des biens de ses enfants en cas d'absence du mari. L'administration serait impossible si, pour chaque acte, la femme devait recourir aux tribunaux. Quant à la contradiction qui en résulte dans la position de la femme, elle est réelle; mais il n'appartient pas à l'interprète de corriger la loi. Dès que la femme est appelée à administrer ses biens, elle devrait être libre comme elle l'est quand elle administre les biens de ses enfants.

147. L'article 141 dit aussi que la mère exerce tous les droits du mari quant à l'éducation des enfants. Cela est

(1) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 309.

(2) C'est l'opinion générale (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 551).

trop absolu. Quand la mère exerce la puissance paternelle de son propre chef, en cas de survie, elle n'a pas tous les droits dont jouit le mari. La loi restreint le pouvoir de correction qu'elle lui accorde (art. 376 et 381). Il est impóssible que la femme ait des pouvoirs plus étendus quand elle remplace son mari dans l'exercice de la puissance paternelle. En effet, les raisons pour lesquelles le législateur a cru devoir limiter le droit de correction quand c'est la mère qui l'exerce, subsistent lorsqu'elle prend la place de son mari; nous dirons plus loin quelles sont ces raisons. C'est donc le cas de dire: Là où il y a même raison de décider, il doit y avoir même décision. Telle est aussi l'opinion générale (1).

La loi dit que la mère exerce tous les droits du mari quant à l'éducation. Cela veut-il dire que la femme a tous les droits qui dérivent de la puissance paternelle? Nous le croyons; c'est en effet le droit d'éducation qui constitue l'essence de la puissance paternelle dans notre droit moderne. D'ailleurs, la mère a cette puissance au même titre que le père; elle doit donc l'exercer dans toute sa plénitude quand le père est dans l'impossibilité de le faire. Il résulte de là que la mère présente peut émanciper ses enfants. Rien de plus logique; c'est à celui qui exerce la puissance paternelle à émanciper ceux qui y sont soumis (art. 477) (2).

On demande si le consentement de la mère suffira pour le mariage de ses enfants. Ceci n'est plus une question de puissance paternelle, car les ascendants, qui n'ont pas cette puissance, doivent néanmoins consentir au mariage de leurs descendants. Il faut décider, comme nous le dirons au titre du Mariage, qu'il y a lieu d'appliquer l'article 149, aux termes duquel, si l'un des père et mère est dans l'impossibilité de manifester sa volonté, le consentement de l'autre suffit.

148. L'article 142 prévoit une autre hypothèse. C'est

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 420, n° 519; Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 423, no 213.

(2) C'est l'opinion générale (Valette sur Proudhon, Traité sur l'état des versonnes, t. 1er, p. 306, note).

le père qui a disparu, la mère étant déjà décédée; ou elle vient à décéder avant que l'absence du père ait été déclarée. Dans ce cas, la surveillance des enfants est déférée par le conseil de famille à un ascendant, mais seulement six mois après la disparition. Pourquoi attend-on six mois avant de pourvoir à la surveillance des enfants? BigotPréameneu répond : « Si la mère n'existe plus, on ne saurait croire que le père n'ait pris, à son départ, aucune précaution pour la garde et l'entretien de ses enfants; mais aussi on présume que ces précautions n'ont été que pour un temps peu long, et dans l'espoir d'un prochain retour (1). Rien de plus naturel que ces présomptions, mais elles tombent devant la réalité. Si le père a disparu sans prendre aucune mesure, faudra-t-il attendre six mois avant de pourvoir à la surveillance des enfants? La tutelle ne pourra être déférée qu'après les six mois, le texte est formel. Il y a cependant un motif de douter, c'est que la raison donnée par l'orateur du gouvernement pour suspendre l'ouverture de la tutelle, vient à cesser en ce cas. Pourquoi donc ne la défère-t-on pas? Parce que, dans les premiers mois qui suivent la disparition du père, toutes les probabilités sont pour sa vie; on doit s'attendre d'un jour à l'autre à son retour, et dans cet espoir, il ne faut pas se hâter trop de nommer un tuteur, qui viendrait s'im-. miscer dans les affaires et dans les secrets du présumé absent. Est-ce à dire que les enfants resteront pendant six mois sans surveillance? Non, certes. C'est un des cas où il y a nécessité pour le tribunal d'intervenir, et au besoin le ministère public provoquera les mesures nécessaires.

Il en est de même si la mère vient à décéder; il faut encore, dans ce cas, attendre six mois avant de déférer la tutelle. Est-ce six mois après le décès, ou six mois après la disparition? Le texte dit six mois après la disparition du père. Cela veut dire que si lors du décès de la mère ces six mois ne sont pas encore écoulés, il faudra attendre qu'ils le soient, avant de déférer la tutelle. Que si la mère décède après les six mois, on procédera immédiatement à

(1) Bigot Préameneu, Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 253, no 11).

la nomination l'un tuteur, parce qu'il n'y a plus aucun motif pour attendre (1).

Nous disons que, dans les deux hypothèses, il y a lieu de déférer la tutelle. Le code se sert de l'expression surveillance, qui se trouve également dans l'article 141. Dans cet article, le mot surveillance veut dire puissance paternelle; pourquoi le même mot signifie-t-il tutelle dans l'article 142? Parce que l'article 142 suppose le décès de la mère; or, dès que l'un des parents meurt, la tutelle s'ouvre. Le présumé absent était tuteur lorsqu'il a disparu, si la mère était déjà morte à ce moment, ou il le devient, si la mère présente vient à décéder. Mais comme l'absent ne peut pas gérer la tutelle, il faut qu'il soit remplacé. La surveillance dont parle l'article 142 est donc une tutelle. C'est la tutelle appartenant à l'absent qui est déférée à un tuteur provisoire. La loi le dit quand il n'y a pas d'ascendant; il en doit être de même quand c'est un ascendant qui est chargé de la surveillance; car la nature de cette surveillance ne peut pas changer selon qu'elle est exercée par un étranger ou par un ascendant. Il suit de là qu'il y a lieu à la subrogée tutelle et à l'hypothèque légale (2).

L'article 142 porte que le conseil de famille déférera la surveillance aux ascendants les plus proches et, à leur défaut, à un tuteur provisoire. Cette disposition n'est pas en harmonie avec le droit commun. D'après l'article 402, la tutelle est déférée par la loi elle-même, sans que le conseil de famille intervienne. Pourquoi, en cas d'absence, la tutelle des ascendants est-elle dative, tandis que, en règle générale, elle est légitime? On chercherait vainement une raison de cette différence. L'anomalie s'explique par les travaux préparatoires. D'après le projet de code, le conseil de famille était appelé à déférer la tutelle aux ascendants; l'article 142 ne faisait donc qu'appliquer à l'absence un principe de droit commun. Plus tard, on changea de système, la tutelle des ascendants fut déférée par la loi. On aurait dû modifier l'article 142 pour le

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 556.

(2) C'est l'opinion générale. Demante seul professe l'opinion contraire (Cours analytique, t. Ïer, p. 294, no 182 bis, II).

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