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mettre en rapport avec le nouveau principe; mais le titre de l'Absence étant déjà publié, on n'y revint point. De là la contradiction. L'interprète ne pourrait-il pas la lever, en expliquant l'article 142 par l'article 402? On a dit que la première de ces dispositions était abrogée par la seconde (1). Cela est inadmissible. Il n'y a pas d'abrogation expresse, et l'abrogation tacite n'a lieu que quand deux lois sont incompatibles. Dans l'espèce, cette incompatibilité n'existe pas; car l'article 142 ne statue que sur une tutelle provisoire, tandis que l'article 402 suppose une tutelle definitive, qui s'ouvre par le décès du dernier mourant des père et mère. Dans le cas de l'article 142, l'un des père et mère vit encore, du moins sa mort n'est pas prouvée (2).

149. L'article 143 prévoit une dernière hypothèse. Il suppose que le présumé absent laisse des enfants issus d'un mariage précédent, et il décide qu'il faut appliquer la disposition de l'article 142, c'est-à-dire déférer la tutelle six mois après la disparition de l'absent. Le cas est, en effet, identique. De droit, les enfants sont et restent sous la tutelle de leur père ou de leur mère qui a disparu; mais comme l'absent ne peut pas exercer la tutelle, la loi veille à ce qu'il soit remplacé. Il y a donc lieu à la nomination d'un tuteur provisoire par le conseil de famille. Cela ne se fait qu'après les six mois, pour les raisons que nous venons de dire.

150. Il reste une question que le code n'a pas prévue et qui est la plus difficile. Le père est présumé absent; la mère est présente; elle accouche plus de dix mois après la disparition de son mari. Quel est l'état de l'enfant? peutil invoquer la présomption de légitimité établie par l'article 312? cette présomption peut-elle être combattue? par qui? ne peut-elle l'être que par l'action en désaveu? cette action appartient-elle aux héritiers du mari, ou y a-t-il lieu à l'action en contestation de légitimité? La jurisprudence et la doctrine sont divisées sur ces graves difficultés.

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 364, no 4.

(2) C'est l'opinion générale (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 560 et 561).

Nous exposerons d'abord l'opinion qui a été consacrée pat la cour de cassation. L'enfant né et conçu depuis la dis parition de son père se présente à la succession de sa mère Peut-il être repoussé par ses frères et sœurs comme enfant naturel? La cour de Douai a jugé que cet enfant pouvait invoquer la présomption de légitimité. L'absent avait disparu en 1814; en 1820 et en 1822, étaient nés un garçon et une fille de la mère présente; ils furent inscrits comme enfants de leur père absent; l'arrêt dit qu'ils avaient de plus la possession d'état d'enfants légitimes. De là, la cour conclut que ces enfants étaient légitimes, aucune action en désaveu n'ayant été intentée contre eux. Vainement disait-on que, l'absence ayant été déclarée, c'était à eux à prouver que leur père vivait encore au moment de leur conception. La cour repousse les inductions que l'on tirait de l'absence par une considération qui lui paraît décisive si la loi prescrit des mesures en cas d'absence, c'est uniquement pour la conservation des biens de l'absent; on ne peut donc pas appliquer à l'état civil des enfants la probabilité de mort sur laquelle la loi se fonde pour déférer l'administration des biens de l'absent à ses héritiers. Ce qui le prouve, c'est que le mariage subsiste, alors même que la loi partage définitivement les biens de l'absent entre ses héritiers; donc les conséquences du mariage doivent aussi être maintenues; par suite, la présomption de légitimité établie par l'article 312 profite aux enfants, et ne peut être combattue que par l'action en désaveu (1).

:

Sur le pourvoi en cassation, intervint un arrêt de rejet. La cour suprême, à la différence de la cour de Douai, se place sur le terrain des principes qui régissent l'absence. Même après la déclaration d'absence, dit-elle, l'absent n'est réputé ni mort ni vivant; c'est donc à celui qui fonde sa demande sur la vie ou la mort de l'absent à rapporter la preuve de ce fait. Or, dans l'espèce, c'est la sœur des enfants nés après la disparition de l'absent qui soutient que ceux-ci sont illégitimes; c'est donc à elle à prouver que l'absent était mort au moment de leur conception;

(1) Arrêt du 18 novembre 1861 (Dalloz, Recueil périodique, 1862, 2, 25).

comme elle ne fournit pas cette preuve, elle doit être déclarée non recevable (1).

Nous n'admettons ni le système de la cour de cassation, ni celui de la cour de Douai. Constatons d'abord que, tout en rejetant le pourvoi, la cour suprême condamne les motifs sur lesquels l'arrêt de Douai est fondé; en effet, elle applique précisément les principes que la cour d'appel avait déclarés inapplicables. Sur ce premier point, nous sommes d'accord. Il nous paraît impossible de scinder l'état de l'absent en invoquant la probabilité de mort pour envoyer ses héritiers en possession de ses biens, et en repoussant cette probabilité quand il s'agit de déterminer Î'état de ses enfants. Qu'est-ce, en définitive, que l'absence? C'est, de fait comme de droit, l'incertitude sur la vie et la mort de l'absent. Comment cette incertitude aurait-elle effet sur les biens et n'en aurait-elle aucun quant à l'état des enfants? On dit que, malgré l'absence, le mariage subsiste. Oui, mais c'est que pour dissoudre le mariage il faut plus que l'incertitude de la vie, il faut la preuve du décès. Reste à savoir s'il faut aussi la preuve du décès pour que les enfants nés après la disparition de l'absent soient déclarés illégitimes.

Ces enfants, dit la cour de cassation, n'ont rien à prouver, ils ont pour eux un acte de naissance confirmé par la possession d'état; c'est donc à ceux qui contestent leur légitimité à prouver que le mari de leur mère était mort à l'époque de leur naissance. Nous croyons que la question est mal posée. Il s'agit de savoir si, en cas d'absence du mari, les enfants qui naissent de sa femme peuvent invoquer la présomption de légitimité résultant du mariage. Ce n'est pas l'acte de naissance qui prouve leur légitimité, ce n'est pas même le mariage, c'est uniquement la présomption que l'article 312 fonde sur le mariage, la présomption que l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari. Or, il suffit de lire la suite de l'article 312 pour se convaincre que la loi suppose le mari vivant, ce que le bon sens, du reste, nous dit. Le mari vit, il est pré

(1) Arrêt du 15 décembre 1863 (Dalloz, 1864, 1, 154).

sent; il a donc pu cohabiter avec sa femme; c'est cette possibilité de cohabitation qui est le fondement de la présomption. Si donc la cohabitation est impossible, il ne peut plus être question d'une présomption de légitimité fondée sur cette cohabitation. Or, est-il besoin de prouver que le mari ne pouvait pas cohabiter avec sa femme, quand les enfants naissent six ou huit mois après que le mari a disparu? Dès lors, il ne peut être question ni de présomption de légitimité, ni de possession d'état d'enfant légitime. Quoi! un enfant est conçu alors que le mari de sa mère est absent depuis six ou huit ans, c'està-dire alors que l'on ne sait s'il vit encore, alors qu'il y a déjà de graves probabilités de décès, et l'on dira que cet enfant a la possession d'état d'enfant légitime! Il est notoirement enfant naturel; comment donc serait-il considéré dans l'opinion publique comme enfant légitime?

Il y a encore une autre erreur, à notre avis, dans l'arrêt de la cour de cassation. Elle suppose que l'enfant qui invoque la présomption de l'article 312 n'a rien à prouver, dès qu'il produit son acte de naissance et que le mariage est constant. Cela n'est pas exact. Il est de principe que celui qui allègue une présomption doit prouver qu'il est dans le cas prévu par la présomption; il faut donc qu'il établisse que toutes les conditions requises par la loi existent. Et quelles sont ces conditions, quels sont les éléments essentiels de la présomption de légitimité? Suffit-il de produire les actes de naissance et de mariage? Oui, si la vie du mari est certaine. Il serait certes absurde d'invoquer cette présomption, alors que le mari serait mort au moment de la conception; la loi elle-même déclare que l'état de l'enfant né plus de trois cents jours après la dissolution du mariage peut être contesté (art. 315). Eh bien, l'absence forme un état intermédiaire entre la vie et la mort; dès qu'elle est déclarée, il y a doute légal sur la vie de l'absent. Dès lors, l'un des éléments qui constituent la présomption de légitimité fait défaut, la certitude de la vie; par suite, l'enfant ne peut pas invoquer la présomption de l'article 312. C'est donc lui qui doit être déclaré non rece

vable (1). Dans notre opinion, il n'y a lieu ni à désaveu ni à contestation de légitimité. Le désaveu suppose la vie du père lors de la conception. La contestation de légitimité suppose la mort, et, en cas d'absence, il n'y a ni vie

ni mort.

SV. Fin de la présomption d absence.

151. La présomption d'absence cesse quand l'absent reparaît ou qu'il donne de ses nouvelles. S'il reparaît, les mesures prescrites par le tribunal tombent de plein droit. Le curateur et le notaire, s'il y a lieu, rendent compte de leur gestion au propriétaire, qui reprend l'administration de ses biens. Il va sans dire que la surveillance ou la tutelle provisoire cessent également. Si l'absent donne de ses nouvelles sans reparaître, l'absence cesse également; mais par analogie de ce que dit l'article 131, en cas de déclaration d'absence, le tribunal pourra prescrire des mesures soit pour les biens, soit dans l'intérêt des enfants.

La présomption d'absence cesse encore si l'absent meurt et si l'on a la preuve de son décès. Sa succession s'ouvre, en ce cas, au profit des héritiers appelés à lui succéder à cette époque. Il faut que les héritiers soient capables de succéder; il faut donc qu'ils soient conçus à ce moment. Si un enfant était né de la femme présente plus de trois cents jours depuis la mort du mari, les parties intéressées pourraient le repousser en contestant sa légitimité (art. 315).

Enfin la présomption d'absence cesse par le jugement qui déclare l'absence et qui ouvre la seconde période.

(1) C'est l'opinion de Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 365, n° 268. Comparez Dalloz, au mot Paternité, no 116. Il y a sur cette question une dissertation de M. Duprez, professeur de l'université de Liége (Revue de droit français et étranger, par Fœlix, t. Ier (1844), p. 740 et suiv.).

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