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152. Pourquoi y a-t-il une seconde période de l'absence? On répond d'ordinaire que la loi remplace la présomption d'absence par la déclaration d'absence, dans l'intérêt des héritiers présomptifs. Ce sont eux, en effet, qui provoquent la déclaration d'absence, et qui sont ensuite envoyés en possession provisoire des biens de l'absent. Il est vrai que la loi tient compte, dans cette seconde période, des droits éventuels des héritiers. Mais il n'est pas exact de dire que ce soit pour sauvegarder ces droits que le législateur ouvre une nouvelle période. Ce qui prouve à l'évidence que cela n'est pas, c'est que l'époux présent, commun en biens, peut opter pour la continuation de la communauté, et s'il le fait, il empêche l'envoi provisoire des héritiers. La loi, comme le dit l'article 124, lui donne la préférence pour l'administration des biens de l'absent; donc il ne s'agit encore que d'administrer les biens, ce qui implique que la loi se préoccupe de l'absent plus que de ses héritiers. Ces héritiers peuvent rester sans droit pendant trente-cinq ou pendant quarante ans, et l'on veut que ce soit surtout dans leur intérêt que la loi a organisé une seconde période! Non, pendant la présomption d'absence, elle n'autorise que les mesures nécessaires, parce qu'elle s'attend d'un jour à l'autre au retour de l'absent. Quand l'absence a duré cinq ou onze ans, le retour de l'absent devient de moins en moins probable. Il faut donc organiser une administration régulière. La loi l'appelle provisoire, pour marquer qu'il s'agit uniquement de conserver le patrimoine de l'absent, soit pour lui, s'il revient, soit pour ses héritiers, s'il ne reparaît plus. En attendant, elle tâche de trouver les meilleurs administrateurs. Voilà

pourquoi elle appelle les héritiers, et de préférence l'époux présent.

153. La loi ne permet pas d'envoyer les héritiers en possession des biens de l'absent, par cela seul qu'un certain nombre d'années s'est écoulé depuis sa disparition ou ses dernières nouvelles. Il faut, avant tout, un jugement qui déclare l'absence. L'article 120 le dit; il est si formel, que l'on ne conçoit pas que le plus léger doute se soit élevé sur ce point. Il y a cependant eu des procès; mais la jurisprudence ne pouvait hésiter un instant. On a jugé que celui qui se prétend héritier d'un absent doit nécessairement, avant d'agir en cette qualité, faire déclarer l'absence. La cour de Rennes, en portant la même décision, donne les raisons pour lesquelles le législateur a prescrit un jugement préalable à l'envoi en possession provisoire: les précautions prises par la loi, dit l'arrêt, doivent être scrupuleusement observées, puisqu'elles ont pour objet de garantir les biens et les droits de celui que des circonstances malheureuses peuvent retenir loin de sa patrie (1). En effet, l'éloignement seul et le défaut de nouvelles ne prouvent pas encore qu'il y ait absence, dans le sens légal du mot, c'est-à-dire incertitude sur la vie de la personne qui a quitté son domicile sans donner de ses nouvelles. Il faut que les circonstances dans lesquelles l'éloignement a eu lieu, il faut que les motifs qui expliquent le défaut de nouvelles soient pris en considération; enfin il faut que la demande de ceux qui provoquent la déclaration d'absence soit rendue publique, afin d'avertir l'absent, s'il vit encore, qu'on va le déposséder de l'administration et, en un certain sens, de la jouissance de ses biens. Telles sont les raisons puissantes qui exigent l'intervention de la justice et qui justifient les mesures que la loi prescrit pour constater l'absence, avant de permettre l'envoi provisoire.

154. Pour que l'absence d'une personne puisse être déclarée, il faut d'abord, d'après l'article 115, qu'elle ait

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(i) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, Répertoire, au mot Absents, ° 143, 144, 150.

cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence. Les auteurs s'accordent à dire qu'il y a un vice de rédaction dans l'article 115, qu'au lieu de la disjonctive ou, il faut mettre la conjonctive et. Il est évident que si une personne a tout ensemble un domicile et une résidence distincte de ce domicile, il ne suffit point qu'elle ait cessé de paraître soit à son domicile, soit à sa résidence, il faut sa disparition entière, comme dit l'article 120 (1). Mais il peut arriver qu'une personne n'ait pas de domicile, si elle est étrangère, ou que son domicile soit inconnu; dans ces cas, on n'aura égard qu'à la résidence.

L'article 115 ajoute : « et que depuis quatre ans on n'en aura pas eu de nouvelles. Il n'est pas nécessaire que l'absent ait lui-même donné de ses nouvelles; le projet semblait l'exiger; il fut modifié, sur la remarque du premier consul, que l'on pouvait avoir des nouvelles d'une personne sans les recevoir directement d'elle (2). Il faut qu'il y ait eu défaut de nouvelles depuis quatre ans. Cela suppose que l'absent n'a pas laissé de procuration; en effet, aux termes de l'article 121, s'il a laissé une procuration, ses héritiers ne peuvent poursuivre la déclaration d'absence qu'après dix ans révolus depuis sa disparition ou depuis ses dernières nouvelles. Il est assez singulier que la loi dise cela en traitant des effets de l'absence; c'est évidemment l'article 125 qui est le siége de la matière. Ce vice de classification s'explique par le changement qu'a subi le projet primitif (3). Nous croyons inutile d'entrer dans ce détail, puisque le sens de la loi n'est pas douteux. Mais l'interprétation des textes donne lieu à quelques difficultés.

155. La raison de la différence que la loi met entre le cas où l'absent a laissé une procuration et le cas où il n'en a point laissé est sensible. Bigot-Préameneu l'a expliquée dans l'Exposé des motifs. Nous citons ses paroles, de pré

(1) Locré, Esprit du code civil, t. II, p. 337.

(2) Séance du conseil d'Etat du 16 fructidor an ix (Locré, t. II, p. 213, ne 5). (3) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 52, no 50.

férence aux explications des auteurs, parce que les orateurs du gouvernement jouissent d'une autorité que n'ont pas de simples interprètes. « L'on ne peut pas traiter également, dit Bigot-Préameneu, celui qui a formellement pourvu à l'administration de ses affaires et celui qui les a laissées à l'abandon. Le premier est censé avoir prévu une longue absence, puisqu'il a pourvu au principal besoin qu'elle entraîne. Il s'est dispensé de la nécessité d'une correspondance, lors même qu'il serait longtemps éloigné. Les présomptions contraires s'élèvent contre celui qui n'a pas laissé de procuration; on croira plutôt qu'il espérait un prompt retour, qu'on ne supposera qu'il ait omis une précaution aussi nécessaire; et lorsqu'il y a manqué, il s'est au moins mis dans la nécessité d'y suppléer par sa correspondance (1).

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Les motifs donnés par l'orateur du gouvernement nous aideront à décider les difficultés auxquelles le texte donne lieu. On demande si la procuration doit être générale? Les termes de la loi semblent l'exiger. L'article 120 dit :

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une procuration pour l'administration de ses biens, et non de tout ou partie de ses biens, » comme s'exprime l'article 112. On conçoit d'ailleurs que celui qui veut s'éloigner pour longtemps du lieu où se trouve le siége de ses intérêts, doit pourvoir à l'administration de tous ses biens; une procuration donnée pour une affaire spéciale n'indiquerait pas l'intention de faire une longue absence, alors que le patrimoine resterait sans administrateur. Cependant on ne peut pas poser comme principe absolu que la procuration doit être générale. Si les biens de la personne qui s'absente sont loués à long terme, il n'y a pas de nécessité de pourvoir à leur administration. Une procuration donnée en ce cas pour gérer les biens ou les intérêts qui auraient besoin d'un gérant suffirait pour marquer le projet d'un long voyage, quoiqu'elle fût spéciale. Il résulte de là que la question que nous agitons est une difficulté de fait plutôt que de droit. C'est l'intention de l'absent qu'il faut rechercher, d'après l'Exposé des

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 255, no 19.

motifs. L'intention est évidente quand la procuration est générale; elle est douteuse quand elle est spéciale. Le tribunal décidera d'après les circonstances (1).

La loi ne dit rien de la durée de la procuration. Cette question est par cela même abandonnée à l'appréciation des tribunaux. Il y a une hypothèse qui soulève une question de droit. Au conseil d'Etat, Cambacérès supposa le cas suivant: Un homme que des spéculations commerciales doivent conduire loin de sa résidence, prévoit qu'il ne pourra de très-longtemps donner de ses nouvelles; pour empêcher que ses héritiers ne s'immiscent dans ses affaires, il organise pour trente ans l'administration de son patrimoine. Cet acte aura-t-il ses effets? » Tronchet répondit que l'acte ne serait pas valable. « Si c'est un acte à cause de mort, il blesse les dispositions qui défèrent la succession à ses héritiers; si c'est un acte entre vifs, il ne peut durer que tant qu'on administrera la preuve de la vie de l'absent (2). » La réponse est péremptoire. Celui qui vit peut donner un mandat qui durera aussi longtemps qu'il vivra. Celui dont la vie est incertaine ne peut pas empêcher que la loi n'appelle à l'administration de ses biens les héritiers qui y ont un droit éventuel, subordonné à la condition de son décès. Ajoutons que l'hypothèse de Cambacérès est on ne peut plus improbable. C'est une de ces questions oiseuses que les auteurs aiment à agiter, et qui trop souvent ne servent qu'à transformer le droit en scolastique.

L'hypothèse inverse est plus probable. Celui qui s'éloigne pour un voyage lointain donnera une procuration pour quelques années; ce temps lui suffit pour faire le tour du monde. On ne fait plus son testament avant de se mettre en route, les communications sont si rapides et si sûres ! Mais mille circonstances peuvent retarder le retour. La procuration donnée pour deux ans expire, et l'absent n'est

(1) La question est décidée en sens divers par les auteurs (Demolombe, t. II, p. 55, no 54; Duranton, t. Ier, p. 318, no 412; Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 165).

(2) Séance du conseil d'Etat du 24 fructidor an IX (Locré, t. II. p. 227, n° 29). Comparez Duranton, t. Ier, p. 319, no 413; Dalloz, au mot Absents, nos 162-163.

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