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doute; il porte que « le mariage contracté en pays étranger, entre Français et entre Français et étrangers, sera valable, s'il a été célébré dans les formes usitées dans le pays. On le voit, le code rappelle l'article 47, il ne rappelle pas l'article 48; il semble donc refuser aux agents diplomatiques le droit de célébrer des mariages (1). Cette opinion n'a pas trouvé faveur, et avec raison. Ce n'est pas l'article 170 qui détermine la compétence des agents diplomatiques, c'est l'article 48; or, cette disposition est conçue dans les termes les plus généraux tout acte, dit la loi, donc aussi le mariage qui est l'acte le plus important. Il n'y avait d'ailleurs aucune raison pour exclure le mariage. Si l'article 170 ne mentionne pas les agents. diplomatiques, c'est parce qu'il parle simultanément du mariage entre Français et du mariage entre Français et étrangers; or, dans ce dernier cas, les agents diplomatiques sont incompétents (2).

Ils sont incompétents, disons-nous. La loi le dit formellement. Tandis que l'article 47 reconnaît la compétence des officiers étrangers pour les actes qui concernent les Français et les étrangers, l'article 48 ne parle que des actes de l'état civil des Français. Vainement dit-on que l'agent diplomatique est compétent parce que l'un des futurs époux est Français; cette interprétation pourrait se concilier à la rigueur avec les termes de l'article 48, mais elle doit être rejetée parce qu'elle est contraire à l'essence de la fiction dont cet article consacre une conséquence. On a présenté le même argument sous une autre forme. Le mariage célébré en France, dit-on, devant un officier public français est valable, alors que l'une des parties est étrangère, alors même que l'officier est incompétent à son égard; or, le mariage célébré à l'étranger devant un agent diplomatique français est réputé célébré en France; on doit donc appliquer le même principe (3). Nous nous étonnons de voir reproduire sans cesse des

(1) C'est l'opinion de Favard de Langlade, Répertoire, au mot Mariage, sect. III, § 2.

2) Demolombe, Cours de code Napolcon, t. Ier, p. 506, no 312
3) Mourlon, Répétitions sur le code Napoléon, t. Ier, p. 1ỏ9, note

objections auxquelles il a été répondu d'une manière péremptoire. Si l'officier civil peut célébrer en France un mariage, bien qu'il soit incompétent à l'égard de l'une des parties, c'est parce que son ministère s'étend réellement à tous ceux qui habitent le territoire; tandis que la compétence des agents diplomatiques reposant sur une fiction est bornée par cela même aux Français dans l'intérêt desquels elle a été établie (1).

La jurisprudence est conforme à notre doctrine. En 1793, un secrétaire d'ambassade épousa à Constantinople, devant le vice-consul de France, une demoiselle Summaripa, mineure; ils vinrent en France et ils y vécurent comme époux pendant vingt et un ans. En 1814, le père de la demoiselle Summaripa attaqua le mariage, comme ayant été célébré par un officier public qui n'avait aucune qualité pour marier une sujette du Grand-Seigneur. La cour de cassation décida, par un arrêt célèbre, que les agents diplomatiques et les consuls ne peuvent recevoir que les actes de l'état civil qui intéressent les Français, les lois et les agents de France n'ayant de pouvoir à l'étranger que sur les nationaux (2).

La cour de Bruxelles a consacré la même doctrine. En 1848, le sieur de Robiano épousa à Francfort une demoiselle Koppen, Anglaise; le mariage fut célébré en l'hôtel de l'ambassade anglaise par un chapelain anglican. Les parties vécurent comme époux pendant trois ans, deux enfants naquirent de leur union; alors le sieur de Robiano demanda la nullité du mariage. La cour la prononça par un arrêt fortement motivé, qui, nous l'espérons, mettra fin à toute controverse juridique, sinon à l'instabilité des passions humaines (3).

N° 2. RÈGLES SPÉCIALES CONCERNANT LES MILITAIRES.

12. Le code Napoléon contient un chapitre spécial sur

(1) Valette sur Proudhon, Traité de l'état des personnes, t. Ier, p. 210, note a (II).

(2) Arrêt du 10 août 1819 (Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 2, r3; Dalloz, Répertoire, au mot Actes de l'état civil, no 355).

(3) Arrêt du 26 juillet 1853 (Pasicrisie, 1854, 2, 34).

les actes de l'état civil concernant les militaires hors du territoire de l'empire. Il soulève une question de principe très-importante. Ce chapitre V ne se trouvait pas dans le projet soumis aux délibérations du conseil d'Etat. Quand on discuta les articles relatifs au décès, le premier consul dit que le code ne prévoyait pas le cas où un militaire viendrait à mourir hors de France, et que l'on avait également oublié de régler la manière de constater les mariages contractés à l'armée par des militaires. Thibaudeau répondit que les militaires étaient régis par le droit commun l'article 47, dit-il, portant que tous actes de l'état civil des Français, en pays étranger, sont valables lorsqu'ils ont été rédigés dans les formes qui y sont usitées, s'applique aux militaires. C'est alors que le premier consul prononça ces paroles devenues célèbres : « Le militaire n'est jamais chez l'étranger quand il est sous le drapeau où est le drapeau, là est la France (1). "Faut-il prendre ces paroles au pied de la lettre et en faire un principe de droit?

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C'est ce qu'a fait un auteur français. Une armée, dit Marcadé, entre dans un pays étranger, non pour obéir, mais pour commander; son but est, non pas de se soumettre aux lois qu'elle y trouvera établies, mais plutôt de dicter elle-même des lois, si elle le juge à propos, de sorte que la souveraineté du pays disparaît et fait place à la souveraineté du pouvoir qui l'envoie le point qu'elle occupe, à ses yeux, c'est la France. C'est bien là le sens des paroles du premier consul. Il en résulte une conséquence très-grave: c'est que, dans les lieux occupés par l'armée française, les officiers du pays n'ont plus aucune compétence, et que les officiers français, au contraire, y ont une compétence absolue pour tous les actes qui concernent les militaires français (2).

Il nous est impossible d'admettre ce prétendu principe, parce que nous ne pouvons pas croire que le droit consacre l'abus de la force. Et c'est à cela qu'aboutiraient les ра

(1) Séance du conseil d'Etat du 14 fructidor an ix (Locré, t. il, p. 49, n° 32).

(2) Marcadé, Cours élémentaire, t. ler, p. 211 (art. 88, no II).

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roles de Napoléon, si elles avaient le sens qu'on leur prête. Non, il n'est pas vrai que la souveraineté nationale disparaisse là où une armée française met le pied. Les guerres ne sont pas toutes des guerres de conquête, et alors même que l'armée est victorieuse, elle ne considère pas comme un pays conquis le pays qu'elle occupe. Entendu d'une manière absolue, le principe que l'on invoque conduirait à cette conséquence monstrueuse, que là où une armée française ne fait que passer, elle anéantit ou elle suspend du moins la souveraineté de la nation. Une pareille maxime nous ramènerait à la barbarie sauvage des Huns et des Mongols. Ce serait faire injure au premier consul que de supposer que telle ait été sa pensée. Alors même que la guerre est une guerre de conquête, il ne suffit pas qu'une armée française occupe un territoire pour que la souveraineté de la France remplace celle de la nation ennemie; il faut la victoire, il faut la volonté de la France, et il faut que cette volonté soit sanctionnée par des traités. Tant que la guerre dure, les chances douteuses des combats ne permettent pas aux parties belligérantes de revendiquer la souveraineté d'un pays qu'elles occupent aujourd'hui, que demain peut-être elles n'occuperont plus. Donc la souveraineté nationale subsiste, et avec elle la compétence de tous les officiers publics qui sont ses organes.

13. Mais comment concilier la compétence des officiers étrangers avec celle que le chapitre V accorde aux officiers français? Dans l'opinion que nous combattons, la compétence des fonctionnaires étrangers serait nulle. Nous croyons qu'elle coexiste avec celle que le code civil reconnait aux officiers qu'il charge de la tenue des actes de l'état civil, quand les militaires se trouvent hors du territoire de l'empire. Rappelons-nous à quelle occasion le premier consul signala une lacune dans le projet du titre II. Il s'agissait de la manière de constater les décès des militaires. L'armée a ses hôpitaux, un soldat y meurt; s'adressera-t-on à l'officier du pays pour constater le décès? Et qui dressera les actes de décès de ces milliers de victimes qui périssent dans les boucheries appelées batailles? Evi

demment on ne peut pas songer à faire intervenir les officiers du pays. Est-ce parce qu'ils sont incompétents? Non, mais la force des choses ne permet pas que l'on invoque -leur ministère. En ce sens, il y avait réellement lacune dans le code. La même nécessité n'existe pas pour les naissances ni pour les mariages. Mais il y a toujours un motif d'utilité à déclarer les officiers français compétents pour ces actes. En pays ennemi, les officiers étrangers sont aussi des ennemis. Faut-il que les militaires français recourent à l'ennemi pour faire dresser un acte de naissance ou un acte de mariage? Il y a donc un motif de convenance pour instituer des officiers de l'état civil au sein des armées françaises.

Mais la compétence accordée aux officiers français doitelle exclure la compétence des officiers étrangers? On cherche vainement une raison juridique qui justific cette exclusion. Ils conservent leurs fonctions, et ces fonctions leur donnent compétence à l'égard des étrangers comme à l'égard des nationaux. Quand donc ils reçoivent un acte de l'état civil concernant un militaire français, ils font ce que d'après les lois de leur pays, ce que d'après le droit commun de l'Europe, ils ont le droit de faire. Et l'on veut que cet acte soit nul? Cela est contraire à toute idée de droit, cela est contraire aux principes consacrés par le code Napoléon. Les agents diplomatiques français ont à l'étranger une compétence plus étendue que celle que la loi accorde à certains officiers de l'armée française; ils peuvent recevoir tout acte de l'état civil concernant les Français en général. Dira-t-on que là où ils résident, les Français doivent s'adresser à eux, et que les officiers du pays sont incompétents? Personne n'a jamais songé à soutenir une pareille absurdité. Eh bien, il est presque aussi absurde de prétendre que les officiers étrangers deviennent incompétents parce que le législateur français a trouvé bon d'établir des officiers spéciaux pour recevoir les actes de l'état civil qui concernent les militaires. Une juridiction particulière, exceptionnelle, ne détruit pas la juridiction générale quand il n'y a aucune raison de l'exclure, quand il y aurait plutôt déraison de le faire.

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