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pas rentré dans ses foyers. Faudra-t-il attendre dix ans pour prononcer la déclaration d'absence, ou cinq ans suffiront-ils? Les auteurs s'accordent, sauf quelques dissentiments, à appliquer à ce cas la disposition de l'article 122, qui porte que les héritiers présomptifs ne pourront poursuivre la déclaration d'absence qu'après dix années, alors même que la procuration vient à cesser; sauf à pourvoir à l'administration des biens de l'absent, comme cela se fait pendant la présomption d'absence. Nous doutons fort que cette disposition puisse recevoir son application, quand la procuration vient à cesser par la volonté de l'absent. Voici comment Bigot-Préameneu explique l'article 122: « On a aussi prévu le cas où la procuration cesserait par la mort ou par un autre empêchement. Ces circonstances ne changent pas les inductions qui naissent du fait même qu'il a été laissé une procuration (1). » Le mot empêchement que l'orateur du gouvernement emploie, suppose un fait indépendant de la volonté de l'absent, et qu'il n'a pu prévoir: telle serait la renonciation du mandataire, ou l'impossibilité où il se trouverait d'exécuter le mandat. Il est très-logique que dans ces cas le fait de la procuration soit pris en considération par le législateur, alors même qu'elle cesse; mais il n'en est plus ainsi quand l'absent a limité la durée du mandat qu'il a donné. Ce fait diminue la probabilité d'un long voyage, et n'excuse plus le défaut absolu de nouvelles. L'absent, sachant que la procuration qu'il a laissée en partant cesse, devrait écrire pour la renouveler. S'il ne le fait pas, de graves présomptions s'élèvent contre sa vie; et par suite il y a lieu à déclarer son absence plus tôt qu'on ne l'eût fait si la procuration était venue à cesser par une cause qu'il doit ignorer (2).

Mais tout en n'appliquant pas l'article 122 à l'hypothèse d'une procuration donnée pour un délai moindre de cinq ans, nous n'entendons pas décider qu'une procuration pareille est insuffisante pour ajourner la déclaration d'ab

(1) Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 255, no 19).

(2) C'est l'opinion de Delvincourt, t. Ier, p. 44, note 3, et de Zachariæ, t. Ier, p. 295, note 5.

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sence à dix ans. La loi ne permet pas d'adopter une décision absolue en cette matière, puisqu'elle ne dit rien sur la durée de la procuration (1). Seulement le bon sens dit que plus la procuration est longue, plus il y aura de probabilité que l'absent a voulu faire un long voyage; de là une probabilité de vie qui empêchera de déclarer l'absence. Tandis que les probabilités sont contraires, si la procuration est de courte durée.

156. Le délai de quatre et de dix ans soulève encore une question sur laquelle il y a controverse. On suppose que l'absent a donné de ses nouvelles : le délai court-il à partir de la date que porte la lettre, ou à partir du jour où elle a été reçue? Zachariæ dit que c'est cette dernière date qui doit être prise en considération. Cela résulte évidemment, dit-il, de la rédaction de l'article 115 (2). L'article porte: " Lorsqu'une personne aura cessé de paraître à son domicile et que depuis quatre ans on n'en aura plus eu de nouvelles. Ces derniers mots supposent, en effet, des nouvelles reçues, donc la loi s'en rapporte à la date de la réception. Cependant cette interprétation est généralement rejetée. On dit qu'elle conduit à cette conséquence absurde, que si la lettre écrite par l'absent n'arrivait à sa destination qu'après deux ans, on le réputerait vivant à une époque où il peut être mort depuis longtemps (3). L'absurdité est patente, mais cela suffit-il pour nous écarter du texte de la loi, en supposant qu'il ait l'évidence que Zachariæ y trouve? Nous avons plus d'une fois repoussé cette manière d'argumenter. Le texte nous oblige, il nous enchaîne; nous ne pouvons pas nous en écarter en démontrant que la loi est absurde, cela regarde le législateur et non l'interprète. C'est donc dans la loi qu'il faut chercher la solution de la difficulté. Est-il vrai qu'elle soit aussi évidente que Zachariæ le dit?

Il ne faut pas isoler les mots : « et que depuis quatre ans on n'en aura pas eu de nouvelles. » Le délai s'applique

(1) Comparez Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 58, no 55. (2) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. Ier, § 151, p. 295, note 4. (3) Valette sur Proudhon, t. Ier, p. 271, note. Dalloz, Répertoire, au mot Absents, n° 167.

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aussi au cas où l'absent n'a jamais donné de ses nouvelles. Comment le compte-t-on en ce cas? L'article 115 dit: Lorsqu'une personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence. » Ainsi le délai court du jour de la disparition. Cependant il est plus que probable que l'absent n'a pas cessé de vivre au moment même où il s'est éloigné de son domicile. Pourquoi donc le délai de quatre ans court-il à partir de ce moment? Parce que c'est le dernier où la vie de l'absent soit réellement certaine. C'est par conséquent cet instant-là qui doit servir de point de départ. Eh bien, ce qui est vrai quand l'absent disparaît sans donner de ses nouvelles, doit l'être aussi quand l'absent écrit. C'est l'instant où il écrit qui est le dernier où son existence soit certaine. C'est donc de cet instant que le délai doit courir. L'article 120 confirme cette interprétation. Quand l'absence est déclarée, les héritiers présomptifs peuvent demander l'envoi en possession. Mais quels sont ces héritiers? La loi répond : Les héritiers de l'absent, au jour de sa disparition ou de ses dernières nouvelles. Dans l'article 120, on a égard à la date des nouvelles; or, cette disposition est la suite de l'article 120; à vrai dire, les deux articles n'en font qu'un seul, et ce n'est que par un vice de rédaction qu'ils se trouvent séparés. Cela décide la question, nous semble-t-il. Il est impossible que l'expression dernières nouvelles ait un autre sens, dans l'article 120, que l'expression qu'on n'en aura pas eu de nouvelles dans l'article 115; donc c'est, dans tous les cas, la date qu'il faut considérer.

157. Qui peut demander la déclaration d'absence? L'article 115 répond : Les parties intéressées. Nous avons trouvé la même expression dans l'article 112, qui règle les mesures à prendre dans la première période de l'absence. Le sens est-il le même dans la deuxième période? Non, quoique l'expression soit identique, la signification est essentiellement différente. Tant que l'absence est seulement présumée, toutes les probabilités sont en faveur de la vie de l'absent, et le législateur se préoccupe exclusivement de ses intérêts. Dans la seconde période, au contraire, la longue durée de l'absence sans nouvelles fait

naître des doutes sur l'existence de l'absent; par suite, il y a des probabilités de mort. Dès lors le législateur a cru devoir donner ouverture à tous les droits subordonnés à la condition du décès de l'absent. De là, l'envoi en possession provisoire. La déclaration d'absence est le préliminaire de cet envoi. Il est donc logique que tous ceux qui ont le droit de demander l'envoi aient aussi le droit de provoquer la déclaration d'absence. Voilà les purties intéressées dans la seconde partie de l'absence (1). On voit qu'il n'y a rien de commun entre les parties intéressées de la seconde période et les parties intéressées de la première.

158. Tel est le principe, nous allons en faire l'application. Les héritiers présomptifs sont les principaux intéressés, car ce sont eux qui peuvent demander l'envoi en possession provisoire des biens de l'absent. Sous le nom d'héritiers, il faut comprendre les successeurs irréguliers. Les motifs sur lesquels sont fondés la déclaration d'absence et l'envoi provisoire ne laissent aucun doute sur ce point. Nous avons d'ailleurs un texte. « Si l'époux absent, dit l'article 140, n'a point laissé de parents habiles à lui succéder, l'autre époux pourra demander l'envoi en possession provisoire des biens. Ce que la loi dit du conjoint s'applique par identité de raison aux enfants naturels et à l'Etat. Le conjoint a de plus un droit qui lui est spécial; s'il est commun en biens, il peut opter pour la continuation de la communauté. A ce titre encore, il est intéressé à provoquer la déclaration d'absence.

La loi n'appelle pas seulement les héritiers présomptifs à l'envoi provisoire, elle porte que tous ceux qui avaient sur les biens de l'absent des droits subordonnés à la condition de son décès, pourront les exercer provisoirement. Tels sont, dit l'article 123, les donataires et les légataires. Par donataires le code entend les héritiers contractuels, auxquels l'absent a donné tout ou partie des biens qu'il laissera à son décès. Tels sont encore ceux qui sont appelés à une substitution permise dont l'absent est grevé, l'ascen

(1) Merlin, Répertoire, au mot Absents, article 115, no 2 (tome Ier, pages 48 et suiv.).

dant donateur, le donateur avec stipulation du droit de retour, le nu propriétaire d'un bien dont l'absent avait l'usufruit (1). Il y a cependant quelque doute pour toutes ces personnes; elles sont parties intéressées, en ce sens que la loi leur permet de demander l'envoi provisoire, pour lequel la déclaration d'absence est une condition préalable. Mais l'article 113 ne leur permet pas de demander l'envoi provisoire au même titre que les héritiers présomptifs; il semble exiger qu'avant tout les héritiers aient obtenu l'envoi provisoire; alors, dit-il, le testament sera ouvert, alors tous ceux qui ont des droits subordonnés à la condition du décès de l'absent pourront les exercer. N'est-ce pas dire que les héritiers présomptifs ont seuls l'initiative, et que les autres ayants droit doivent attendre que les héritiers aient provoqué la déclaration d'absence et demandé l'envoi provisoire? Cette interprétation restrictive de la loi est généralement repoussée, et avec raison. Pour ce qui regarde la déclaration d'absence, nous avons un texte : les parties intéressées, dit l'article 115, la peuvent provoquer. Voilà une expression générale qui comprend tous ceux dont la loi prend les intérêts en considération dans la seconde période de l'absence. Il suffit donc qu'une personne ait un droit subordonné à la condition du décès de l'absent pour qu'elle soit partie intéressée. Peu importe quand et sous quelles conditions elle exercera ce droit; elle est en tout cas intéressée à ce que l'absence soit déclarée, puisque sans déclaration d'absence elle ne peut obtenir l'envoi. En traitant de l'envoi provisoire, nous verrons qu'il faut aller plus loin et décider que ceux qui ont des droits subordonnés au décès de l'absent les peuvent exercer, alors même que les héritiers présomptifs ne demanderaient pas l'envoi. C'est une raison décisive pour leur donner le droit de provoquer la déclaration d'absence (2). La jurisprudence est en ce sens (3).

(1) Duranton, Cours de drvit français, t. Ier, p. 323, no 419.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Absents (t. Ir, p. 49 et suiv.). Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 172.

(3) Arrêt de la cour de Colmar du 26 juin 1823 (Dalloz, au mot Absents, n" 177).

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