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a reproduit les arguments de Merlin et de Proudhon; l'arrêt dit fort bien que les droits des donataires et des légataires s'ouvrent, non par l'envoi en possession des héritiers, mais par le seul fait de la déclaration d'absence. En effet, d'après l'article 115, cette déclaration peut être provoquée par tous les tiers intéressés autres que les héritiers; elle peut donc être prononcée par le juge indépendamment de la demande des héritiers et même malgré leur refus. Or, dès que la déclaration d'absence existe, elle doit produire ses effets pour toutes les parties; dès lors cette déclaration doit ouvrir tous les droits subordonnés à la condition du décès de l'absent (1). Concevrait-on que la loi donnât aux légataires et aux donataires le droit de provoquer la déclaration d'absence sans le concours des héritiers et même malgré eux, et qu'ensuite elle leur refusât l'exercice provisoire de leurs droits, alors que la déclaration d'absence n'est qu'un préliminaire de l'envoi provisoire?

Il y a un arrêt de la cour de Gand qui semble moins explicite. La cour pose en principe que l'envoi en possession provisoire des héritiers doit précéder l'exercice provisoire des autres droits subordonnés à la condition du décès de l'absent. Cela est incontestable, puisque l'article 123 le dit. Mais la cour admet qu'il peut y avoir des circonstances où les ayants droit obtiennent l'exercice de leurs droits, sans qu'il y ait eu envoi provisoire. Seulement l'arrêt veut que, dans ce cas, l'action soit intentée contre les héritiers légitimes (2). Pour mieux dire, il convient que les héritiers soient mis en cause. Ils ne sont pas en possession, donc l'action ne peut pas être intentée contre eux; mais ils sont les contradicteurs légitimes de tous ceux qui réclament des droits sur les biens de l'absent. Cela résulte sinon du texte, au moins de l'esprit de la loi.

(1) Arrêt du 25 juin 1835 (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 248. (2) Arrêt du 6 juillet 1833 (Pasicrisie, 1833, 197).

§ III. Sur quels biens porte l'envoi provisoire.

166. L'article 120 dit que les héritiers présomptifs pourront se faire envoyer en possession provisoire des biens qui appartenaient à l'absent au jour de son départ ou de ses dernières nouvelles. Cela implique que l'énvoi ne comprend pas les droits qui pourraient s'ouvrir au profit de l'absent après sa disparition. Telle est, en effet, la théorie du code Napoléon, que nous exposerons plus loin. On suppose qu'une succession s'ouvre, à laquelle l'absent serait appelé, s'il était encore en vie. L'article 136 porte qu'elle sera dévolue exclusivement à ceux avec lesquels il aurait eu le droit de concourir, ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut. La loi ajoute : Si l'existence de l'absent n'est pas reconnue. Ces mots s'appliquent, comme nous le verrons, à la présomption d'absence. Mais comme dans cette première période toutes les probabilités sont encore pour la vie de celui qui a quitté son domicile, il arrive souvent que les héritiers présents ne contestent pas l'existence de l'absent, et lui allouent une part dans les biens, laquelle est remise aux représentants de l'absent, au curateur nommé par le tribunal ou au notaire. Nous croyons que le notaire n'a aucune qualité pour exercer les droits de l'absent, à moins que le tribunal ne l'ait investi de ce pouvoir; encore doit-il verser, en ce cas, les deniers à la caisse de consignation, comme nous l'avons dit. Si ensuite l'absence est déclarée, et si les héritiers présomptifs sont envoyés en possession, pourront-ils réclamer la part allouée à l'absent dans la succession? L'article 120 décide la question. Ces biens appartenaient-ils à l'absent au jour de sa disparition? Non, puisque la succession n'était pas encore ouverte. On ne peut pas dire que le partage lui ait transmis la propriété des biens mis dans son lot, car le partage ne fait que liquider des droits préexistants, il ne crée pas de droits nouveaux. Le partage suppose donc que l'absent a pu hériter, c'est-à-dire qu'il était encore en vie lorsque la succession s'est ouverte. Mais cette supposition est détruite par le jugement qui déclare

l'absence, et par l'envoi en possession des héritiers présomptifs. Ceux-ci n'ont aucune qualité pour demander les biens qui ont été provisoirement attribués à l'absent par le partage. En effet, l'envoi qu'ils ont obtenu se fonde sur une probabilité de mort, tandis qu'ils ne pourraient réclamer les biens dévolus à l'absent que s'il y avait certitude de vie. Leur réclamation serait donc en contradiction avec leur titre; c'est dire qu'elle est inadmissible (1).

167. Que faut-il entendre par biens appartenant à l'absent lors de sa disparition? Tous ceux qui sont dans son domaine, peu importe qu'il y ait un droit actuel ou éventuel. Un droit conditionnel est dans le domaine du créancier aussi bien qu'un droit pur et simple, puisqu'il passe à ses héritiers; or, les envoyés en possession provisoire sont héritiers; ils peuvent donc exercer ce droit. Il est encore de principe que celui qui a une action pour obtenir un bien est censé avoir le bien; les envoyés auront donc les actions en nullité, en rescision, en résolution qui appartenaient à l'absent. Enfin ils continueront la possession que l'absent avait commencée. Il n'y a aucun doute sur toutes ces décisions qui ne sont que l'application des principes généraux de droit (2).

Il en est de même des fruits échus ou perçus lors de la disparition de l'absent, et de ceux qui échoient ou sont perçus jusqu'au jugement qui prononce l'envoi en possession provisoire. Les premiers appartenaient incontestablement à l'absent. On ne peut pas dire que les autres lui appartiennent, parce qu'on ignore si, au moment de leur échéance ou de leur perception, il vivait encore. Mais peu importe. Les fruits sont un accessoire des biens; ils doivent donc être remis avec les biens à ceux qui obtiennent l'envoi en possession provisoire. La loi le dit formellement pour les héritiers présomptifs. Il sera fait emploi des fruits échus, porte l'article 126; ils sont donc remis aux envoyés, qui les capitalisent et en jouissent après cela comme des autres biens de l'absent (art. 127). Il en doit

(1) C'est l'opinion générale. Voyez Merlin, Répertoire, au mot Absents, article 120, no 8 (t. Ier, p. 58).

(2) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 357, no 446.

être de même des fruits produits par les biens qui sont remis provisoirement aux donataires, aux légataires et à tous ceux qui ont des droits subordonnés au décès de l'absent, parce qu'il y a même motif de décider les fruits suivent comme accessoire le principal. A première vue, on pourrait croire qu'ils doivent accroître le patrimoine de l'absent, d'où l'on pourrait conclure qu'ils sont remis avec ce patrimoine aux envoyés provisoires. En réalité, il n'en peut être ainsi; car ces fruits étant perçus ou échus après la disparition de l'absent, ne lui appartiennent pas à cette époque, donc il ne sont pas compris, comme tels, dans l'envoi provisoire. S'ils sont remis aux héritiers présomptifs, c'est comme accessoires; or, les autres ayants droit obtiennent aussi l'envoi provisoire, ils doivent donc profiter. des fruits au même titre (1).

§ III. Effets de l'envoi provisoire.

No 1. OBLIGATIONS DES ENVOYÉS.

168. Aux termes de l'article 125, la possession provisoire n'est qu'un dépôt. » Tous les auteurs remarquent que cette expression ne doit pas être prise au pied de la lettre. La chose est évidente. Est-ce qu'un dépositaire administre? Non, tandis que l'article 125 ajoute que ce dépôt donne à ceux qui l'obtiennent l'administration des biens de l'absent. Est-ce qu'un dépositaire a la jouissance des choses qui sont confiées à sa garde? Non, certes, tandis que les envoyés ont droit à une partie des fruits. Pourquoi donc les auteurs du code ont-ils employé une expression à laquelle eux-mêmes donnent un démenti? L'expression de dépôt a sa raison d'être, elle nous révèle la pensée fondamentale de la loi. Ce qui caractérise le dépôt, c'est que le dépositaire n'a qu'une charge, il n'a pas de droits; le contrat est fait uniquement dans l'intérêt du déposant. Il en est de même de l'envoi provisoire; il n'est

(1) C'est l'opinion générale. Voyez Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 90 et suiv., nos 86 et 87.

pas établi dans l'intérêt des envoyés, mais dans l'intérêt de l'absent. C'est ce que les travaux préparatoires nous ont appris, et c'est ce que marque énergiquement le mot de dépôt. Aussi la loi commence-t-elle par énumérer les charges qui sont imposées aux envoyés; si elle leur accorde des droits, c'est parce qu'ils leur sont nécessaires pour leur mission d'administrateurs. Si elle leur donne une partie des fruits, c'est pour qu'ils consentent à se charger d'une gestion dont ils sont responsables. Conservons donc ce mot de dépôt; quoique inexact, il fait mieux connaître la pensée de la loi que les théories imaginées par les auteurs.

169. Le législateur savait très-bien que les envoyés provisoires ne sont pas de vrais dépositaires. Lui-même dit dans l'article 125 qu'ils ont l'administration des biens de l'absent. Ils sont donc essentiellement des administrateurs, c'est-à-dire des mandataires. De qui tiennent-ils leur mandat? Du tribunal qui les envoie en possession. Duranton a donc raison de dire que l'envoi est un mandat judiciaire (1). Il faut ajouter que la gestion des envoyés n'est pas gratuite, ils ont droit à une certaine quotité des fruits; que l'on appelle cette jouissance un salaire ou non, toujours est-il que les envoyés ne sont pas des mandataires ordinaires. La remarque a de l'importance pour préciser la responsabilité qui leur incombe. L'article 1992 décide la question; il dit que le mandataire répond non-seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. Il ajoute que cette responsabilité est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire. Comme les envoyés reçoivent une rémunération, il en faut conclure qu'ils sont soumis avec rigueur à la responsabilité qui pèse sur tout débiteur, en vertu de l'article 1137, lequel pose le principe que le débiteur est tenu de remplir son obligation avec tous les soins d'un bon père de famille. On sait que, dans le langage de l'école, cela s'appelle la faute légère in abstracto (2).

Au point de vue de la théorie, cette décision nous

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 393, no 487. (2) Id., ibid., n" 489.

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