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d'aliéner à ceux qui n'ont qu'un simple pouvoir d'administration.

Notre enquête est achevée. Il n'y a point de texte qui donne formellement à un administrateur, en cette qualité, le droit d'aliéner; il y a un texte, l'article 1860, qui lui dénie ce pouvoir; il y en a d'autres qui impliquent que l'administrateur n'a pas ce droit. Nous pouvons donc poser en principe que la vente d'effets mobiliers n'est pas un acte d'administration. Faut-il admettre une exception quand l'aliénation est un acte nécessaire et de conservation? L'arrêt de la cour de Liége, que nous avons déjà cité, admet cette exception (1). Elle est certes fondée en raison. La loi devrait donner ce droit à l'administrateur. Mais le lui donne-t-elle? Voilà toute la question. Non; et dans le silence de la loi, l'interprète peut-il accorder à l'administrateur le pouvoir d'aliéner ce qui ne lui appartient pas? Nous ne le croyons pas. Ce serait faire la loi.

180. Nous revenons à l'envoi provisoire. Après avoir dit que le tribunal ordonnera, s'il y a lieu, de vendre tout ou partie du mobilier, l'article 126 ajoute : « Dans le cas de vente, il sera fait emploi du prix, ainsi que des fruits échus. » Le code ne dit rien du délai dans lequel l'emploi doit être fait; il ne dit rien du mode d'emploi. Faut-il appliquer par analogie les dispositions des articles 10651067 (2)? A titre de conseil, oui; mais certes pas à titre d'obligation. Dès lors, il est inutile de s'arrêter sur ce point. Notre science s'occupe de droits et d'obligations, et non de conseils.

Si les envoyés en possession ne font pas emploi du prix provenant de la vente, ni des fruits échus, doivent-ils les intérêts? Toullier répond « qu'ils doivent les intérêts de plein droit, du jour où l'emploi a pu être fait; ils sont en faute, dit-il, s'ils ont laissé oisifs les capitaux de l'absent; ils sont censés les avoir employés à leur profit (3). Le législateur pourrait le décider ainsi, et il aurait dú le faire; mais l'interprète le peut-il? Comment les intérêts

(1) Pasicrisie, 1848, 2, 116.

(2) Cours de code Napoléon, par Demolombe, t. II, p. 98, no 97. (3) Toullier, le Droit civil français, t. Ier, p. 367, no 428.

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courraient-ils de plein droit, sans texte? Comment les envoyés seraient-ils réputés avoir employé les deniers à leur profit, toujours sans texte? Y a-t-il une présomption légale sans loi? Dans le silence de la loi, il faut s'en tenir aux principes généraux. Il n'y a pas de loi qui oblige les envoyés à faire emploi dans un délai déterminé; s'ils n'ont pas employé les deniers, ils auront mal géré, et ils pourront être condamnés à des dommages-intérêts. Ont-ils employé les deniers à leur profit, ils devront l'intérêt à partir de cet emploi; l'article 1996 le dit de tout mandataire, et les envoyés sont mandataires; mais ce sera au demandeur à faire la preuve du fait, car la loi n'établit aucune présomption.

181. L'article 128 dit que les envoyés provisoires ne peuvent aliéner ni hypothéquer les immeubles de l'absent. C'est une conséquence évidente du principe que l'envoi provisoire n'est qu'un dépôt et que les envoyés n'ont qu'un pouvoir d'administration (art. 125). Le principe s'applique à tout acte de disposition. Par suite, les envoyés ne peuvent pas transiger. Mais que faut-il décider, s'il y a nécessité ou avantage évident pour l'absent à ce qu'une hypothèque soit consentie sur ses biens, à ce qu'un de ses immeubles soit aliéné, à ce qu'on transige sur un procès dans lequel il est impliqué? Le code ne répond pas à ces questions. En ce qui concerne l'hypothèque, la lacune a été comblée par la loi hypothécaire belge du 26 décembre 1851, qui porte, article 75 : « L'hypothèque des biens des absents, tant que la possession n'en est déférée que provisoirement, est soumise aux formalités prescrites pour les mineurs. » Il n'y a pas de disposition analogue pour la vente des immeubles, ni pour les transactions. Les tribunaux peuventils, dans le silence de la loi, autoriser les envoyés à aliéner ou à transiger? Les auteurs enseignent tous l'affirmative. Il y a cependant un motif de douter. On conçoit que le juge autorise un propriétaire, qui est incapable, à aliéner tels sont les mineurs et les interdits. Mais le juge peut-il autoriser un administrateur à aliéner ce qui ne lui appartient pas? En principe, il n'a certes pas ce pouvoir : ainsi il ne pourrait pas autoriser le mari à vendre les im

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meubles de sa femme. Ne faut-il pas en dire autant des envoyés? Il y a une raison de différence qui justifie l'opinion généralement suivie. Quand le propriétaire est présent, c'est à lui seul qu'il appartient d'aliéner. Mais quand il est absent, quand il y a incertitude sur sa vie, il est impossible qu'il intervienne. N'est-ce pas là une incapacité qui l'assimile aux mineurs? Notre loi hypothécaire fait cette assimilation pour l'hypothèque. Il y a identité de raison pour la vente. Ce qui confirme cette décision, c'est que, pendant la première période de l'absence, le tribunal aurait incontestablement le droit d'autoriser l'aliénation, s'il y avait nécessité (art. 112). Pourquoi n'aurait-il pas le même droit quand l'absence est déclarée? Serait-ce parce qu'il y a des héritiers envoyés en possession? Mais les envoyés n'ont qu'un pouvoir d'administration, pouvoir qui ne leur permet pas d'aliéner, alors même que l'intérêt de l'absent l'exigerait. Donc il faut que le tribunal puisse les autoriser à vendre, comme il peut les autoriser à hypothéquer (1). Ce que nous disons de la vente s'applique naturellement à la transaction.

182. Si les envoyés aliènent un immeuble de l'absent sans autorisation de justice, la vente serait-elle nulle? Ils font ce qu'ils n'ont pas le droit de faire, donc ce qu'ils font est nul. Il est certain qu'il en serait ainsi pour un administrateur en général : la vente faite par le tuteur, par le mari serait nulle. Pourquoi n'en serait-il pas de même de l'aliénation consentie par les envoyés? Ce que nous avons dit de la vente des objets mobiliers s'applique, à plus forte raison, à la vente des immeubles, puisque la loi l'interdit formellement aux envoyés. S'il y a nullité, qui peut la demander? Telle est la vraie difficulté. L'absent, s'il revient, n'a pas besoin d'agir en nullité, il peut revendiquer; la vente faite sans droit par les envoyés ne le lie point. Mais les parties contractantes peuvent-elles demander la nullité de la vente? On accorde généralement ce droit à l'acheteur, mais on le refuse au vendeur, parce que, étant tenu de

(1) C'est l'opinion générale. Voyez Dalloz, Répertoire, au mot Absents, nos 285-286. Demolombe, t. II, p. 113, no 115.

garantir, il ne peut pas évincer. Nous avons répondu d'avance à l'objection. Les envoyés peuvent et doivent même agir en nullité pour conserver les droits de l'absent, sauf à répondre de leur fait comme garants. Nous citerons, à l'appui de notre opinion, un arrêt de la cour de Bruxelles qui a décidé que les envoyés ne peuvent pas transiger, et que, s'ils l'ont fait, ils peuvent demander la nullité de la transaction (1).

183. Les auteurs vont plus loin. Ils enseignent que les envoyés peuvent valablement aliéner les immeubles de l'absent, s'ils se bornent à vendre les droits qu'ils ont sur ces immeubles, ou s'ils vendent avec stipulation de résolution du contrat, pour le cas où l'absent serait encore en vie (2). Il nous est impossible d'admettre cette opinion. On dit que rien n'empêche les envoyés de vendre leurs droits. Cela suppose qu'ils ont des droits. Mais si nous consultons le code, nous y lisons que la possession provisoire n'est qu'un dépôt, qui donne à ceux qui l'obtiennent l'administration des biens de l'absent. Est-ce qu'un dépositaire a des droits, et pourrait-il aliéner ces prétendus droits? Est-ce qu'un administrateur a des droits qu'il puisse céder? Il a une charge, il est obligé d'administrer. Aliène-t-on une charge? une obligation? Si nous demandons aux auteurs du code civil pourquoi ils ont accordé l'envoi provisoire aux héritiers présomptifs, ils nous répondent que c'est dans l'intérêt de l'absent, afin que son patrimoine soit bien administré. Et voilà que les administrateurs, au lieu d'administrer, aliènent; ce seront les acheteurs, des tiers, des premiers venus qui géreront les intérêts de l'absent. Les intérêts de l'absent! Y songeront-ils? Est-ce dans l'intérêt de l'absent qu'ils ont acheté ses immeubles? Pouvant être évincés d'un jour à l'autre, ils administreront, comme le dit quelque part Merlin, à la façon des conquérants. Est-ce là la garantie d'une bonne gestion que la loi a voulu accorder à l'absent?

184. La même question se présente sous une autre

(1) Arrêt du 27 juillet 1831 (Pasicrisie, 1831, p. 226). Voyez, en sens contraire, Demolombe, t. II, p. 145, no 137.

(2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 317, n° 2.

face. On demande si les héritiers présomptifs de l'absent. peuvent céder les droits que leur donne l'envoi provisoire? Les auteurs leur reconnaissent cette faculté. Ils se fondent sur le droit de transmission que la loi leur accorde, quand ils viennent à décéder avant l'envoi provisoire. Nous avons contesté ce prétendu droit de transmission; à notre avis, c'est la loi qui appelle les successeurs des héritiers présomptifs. Ceux-ci ne peuvent transmettre aucun droit, puisqu'ils n'en ont aucun. Ils ne peuvent pas davantage céder un droit qu'ils n'ont pas. Cela nous semble évident si la cession se fait avant qu'ils soient envoyés en possession. Que deviendrait la cession si l'époux présent optait pour la continuation de la communauté? La cession aurait porté sur un droit qui n'existe point, elle n'aurait pas d'objet, elle serait donc radicalement nulle. Mais supposons que les héritiers cèdent leurs droits après qu'ils ont obtenu l'envoi provisoire. La cession serait encore sans objet; car que céderont-ils? un dépôt? une administration? Ils céderont leur droit aux fruits, dira-t-on. Mais à quelle condition ont-ils droit aux fruits? A charge d'administrer. S'ils n'administrent pas, ils ne jouissent pas. Cela décide la question; il est inutile de répéter ce que nous venons de dire, que la loi a accordé l'envoi provisoire aux héritiers par des motifs qui leur sont tout à fait personnels; dès lors, on ne conçoit pas qu'ils se déchargent d'une gestion qui leur a été confiée à raison de l'intérêt qu'ils ont à bien gérer (1).

185. Ce que nous disons de la cession entre vifs s'appliquet-il aussi aux dispositions testamentaires? Il faut d'abord distinguer si les héritiers présomptifs sont morts, laissant un légataire universel, avant l'envoi provisoire, ou après qu'ils ont obtenu la possession des biens de l'absent. Si c'est avant la déclaration d'absence, ne peut-on pas dire que les légataires exercent leurs droits au même titre que les successeurs ab intestat? C'est la loi qui les appelle, plutôt que la volonté du testateur. Il y a toutefois un motif de douter. Ce sont les parents légitimes que le législateur en

(1) Comparez Dulloz, Répertoire, au mot Absents, no 472

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