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tend charger de l'administration des biens, ce ne sont pas des étrangers. A la rigueur donc, on devrait écarter les légataires. Mais ne serait-ce pas s'éloigner du texte de la loi, à force de s'attacher à son esprit? La loi appelle les héritiers présomptifs au jour de la disparition, et partant leurs successeurs universels, héritiers testamentaires aussi bien qu'héritiers ab intestat (1). Par la même raison, il faut admettre que si un envoyé provisoire meurt, ses successeurs testamentaires ou ab intestat continuent l'administration (2).

186. Les envoyés provisoires peuvent-ils faire des conventions sur la succession de l'absent? C'est une question très-controversée. Si les principes que nous avons posés sont vrais, il faut répondre sans hésiter que les envoyés n'ont pas ce droit. Simples administrateurs, n'ayant que le dépôt des biens de l'absent, comment pourraient-ils faire des conventions sur sa succession? Ceux qui n'ont que la charge d'administrer doivent se borner à administrer. Hors de là, ils n'ont aucun droit. Telle n'est pas l'opinion généralement suivie. Les auteurs et les cours disputent sur la question de savoir si les conventions faites par les envoyés sont des pactes successoires, nuls comme tels. La cour de cassation a jugé le pour et le contre; la doctrine est divisée, comme la jurisprudence (3). Il est certain qu'il y a une différence entre les conventions que des envoyés provisoires feraient sur la succession de l'absent, et celles que font des héritiers présomptifs sur l'hérédité d'un homme vivant. Ces dernières sont proscrites parce qu'elles impliquent le désir de la mort, et qu'elles pourraient faire naître des projets criminels. On ne peut pas faire le reproche d'immoralité aux conventions que les envoyés font sur la succession d'un absent. De là on conclut que ces conventions ne sont pas de vrais pactes successoires. Mais, d'un autre côté, peut-on dire que ce soient

(1) Les auteurs admettent les légataires en vertu du droit de transmission (Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 283). La jurisprudence est conforme (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 237).

(2) La jurisprudence est en ce sens (Dalloz, au mot Absents, nos 234, 236). (3) Dalloz, Répertoire, au mot Absents, nos 463 470. Demolombe, t. II, p. 133 et suiv., nos 130, 131.

des conventions sur une succession ouverte? Pas davantage. Pendant les deux premières périodes de l'absence, il ne peut pas s'agir de la succession de l'absent, parce qu'il n'y a pas de présomption de mort. Quoi! les héritiers feraient des conventions sur la succession de l'absent, alors que la loi ne leur confie l'administration de ses biens que par sollicitude pour l'absent! Ce n'est que pendant la troisième période que l'on procède au partage de ses biens (art. 129), ce n'est qu'après l'envoi définitif que les héritiers peuvent faire sur ce partage ou après le partage des conventions sur la succession de l'absent. Tant que l'envoi n'est que provisoire, l'intérêt de l'absent domine celui des envoyés. En définitive, les conventions qu'ils feraient sur la succession de l'absent, tout en n'étant pas de vrais pactes successoires, n'en seraient pas moins nulles, puisqu'elles auraient pour objet une succession qui n'est pas ouverte, et qu'elles se feraient par des administrateurs qui n'ont aucune qualité pour les faire.

187. Les créanciers des héritiers présomptifs peuventils exercer les droits que la loi accorde à ces héritiers? M. Demolombe enseigne qu'ils peuvent provoquer la déclaration d'absence au nom des héritiers, leurs débiteurs; qu'ils peuvent demander l'envoi en possession et l'exercer, tout cela en vertu de l'article 1166. Les créanciers seraient donc appelés à administrer les biens de l'absent. Comment le feront-ils? Par un curateur, répond M. Demolombe (1). Ce mode d'administration nous rend déjà très-suspecte l'opinion qui le consacre. Rappelons-nous la défiance que le législateur a témoignée aux curateurs; quoiqu'il permette au tribunal d'en nommer, s'il y a nécessité, il ne prononce pas leur nom; c'est pour mettre fin à une gestion qu'il croit mauvaise, qu'il organise l'envoi provisoire au profit des héritiers présomptifs. Et la loi permettrait aux créanciers des héritiers de remplacer un curateur, dont elle ne veut plus, par un nouveau curateur! Est-ce bien le cas d'appliquer l'article 1166? Les créanciers peuvent exercer les droits pécuniaires de leur débiteur. Est-ce que

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 84, no 78.

l'envoi provisoire est un droit pécuniaire? C'est, avant tout, une charge que la loi confie aux héritiers par des motifs qui leur sont tout à fait personnels. A quel titre les créanciers viendraient-ils remplir une charge à laquelle la loi appelle les parents comme tels? Il y a des fruits à percevoir, il est vrai, mais les héritiers n'y ont droit que s'ils administrent. Dira-t-on que l'envoi provisoire ouvre provisoirement l'hérédité, et que les créanciers doivent avoir les mêmes droits en cas d'absence que ceux que la loi leur donne après l'ouverture de la succession? Nous n'admettons pas qu'il y ait ouverture de l'hérédité après la déclaration d'absence, et quand même nous l'admettrions, il faudrait encore que les héritiers eussent renoncé à cette succession en fraude de leurs créanciers, pour que ceux-ci pussent, en vertu de l'article 788, l'accepter au nom de leur débiteur. Mais comment les héritiers renonceraient-ils à une succession qui n'est pas ouverte? Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'ils n'agissent pas, ils ne demandent pas l'envoi. Nous cherchons vainement un principe qui permette aux créanciers de le demander en leur nom. Il y a un arrêt de la cour de Metz en faveur de notre opinion (1).

188. Les envoyés provisoires peuvent-ils exercer les actions de l'absent? Aux termes de l'article 134, « après le jugement de déclaration d'absence, toute personne qui aurait des droits à exercer contre l'absent ne pourra les poursuivre que contre ceux qui auront été envoyés en possession des biens. » La loi ne dit rien des actions actives. Merlin croit que l'article 120 décide la question; si l'article 134 ne parle pas des actions que l'absent a à exercer, c'est évidemment, dit-il, parce qu'il y a déjà été pourvu par l'article 120, c'est-à-dire parce que le jugement qui envoie l'héritier présomptif en possession provisoire des biens de l'absent, transfère nécessairement dans ses mains l'exercice de tous les droits actifs qui font partie de ces biens (2). Nous nous étonnons que cette mauvaise raison

(1) Arrêt du 7 avril 1823 (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 175). (2) Merlin, Répertoire, au mot Absents, article 134, no 1 (t. Jer, p. 71),

ait séduit Merlin et à sa suite presque tous les auteurs. On oublie que l'envoi en possession n'est qu'un dépôt, ce sont les termes de la loi. On oublie que l'unique but de l'envoi provisoire est de donner aux envoyés l'administration provisoire des biens de l'absent, c'est encore la loi qui le dit (art. 125). Les héritiers envoyés en possession n'ont donc pas l'exercice de tous les droits actifs qui font partie du patrimoine de l'absent; ils ne l'ont du moins que comme administrateurs. D'où suit que leurs pouvoirs, quant aux actions, sont ceux de tout administrateur. Reste à savoir quels sont ces pouvoirs.

L'article 464 porte que le tuteur ne peut introduire aucune action relative aux droits immobiliers du mineur, sans l'autorisation du conseil de famille. On en conclut qu'il a le droit d'intenter les actions mobilières. La loi suit le même principe quant au mineur émancipé; elle ne lui permet d'intenter une action immobilière qu'avec l'assistance de son curateur (art. 482). Quant au mari administrateur des biens de sa femme, il peut, dit l'article 1428, exercer seul toutes les actions mobilières; ce qui implique qu'il n'a pas le droit d'intenter les actions immobilières. La combinaison de ces divers articles prouve que le code suit comme principe général que l'administrateur a les actions mobilières, mais qu'il n'a pas les actions immobilières. Ce principe doit recevoir son application aux envoyés en possession, puisqu'ils n'ont qu'un pouvoir d'administration (1).

On objecte que le code lui-même déroge à ce principe en décidant que l'action en partage peut être exercée par les parents envoyés en possession (art. 817). S'ils ont l'action en partage, dit-on, ils doivent avoir, par identité de raison, toutes les actions immobilières. Nous répondons que la disposition de l'article 817 est tout à fait spéciale; l'action en partage est régie, en effet, par des principes spéciaux, elle tient le milieu entre les actes de disposition et les actes d'administration. Dès lors, on ne peut pas

(1) C'est l'opinion de Duranton, Cours de droit français t. Ier, p. 395 et suiv., no 492,

étendre aux actions immobilières ce que la loi dit des actions en partage. Ce n'est pas, après tout, l'article 817 qui est le siége de la matière, c'est l'article 134. Cet article deviendrait tout à fait inutile si l'on admettait que les envoyés ont les actions actives; s'ils les avaient, à plus forte raison auraient-ils les actions passives; la loi ne leur donnant que les actions passives, il faut en conclure qu'elle ne leur permet pas d'agir au nom de l'absent.

On fait encore une singulière objection contre le principe que nous défendons. A quoi bon, dit-on, demander l'autorisation du tribunal pour intenter une action immobilière, alors que le tribunal doit connaître de l'action? C'est demander pourquoi la loi exige une autorisation. Comme garantie évidemment. Ce qui suppose que l'autorisation peut être refusée, si la prétention n'est pas fondée. Faudrat-il laisser les envoyés plaider, alors qu'il est certain qu'ils succomberont? La femme mariée s'adresse aussi à la justice pour obtenir l'autorisation de plaider, quand son mari ne veut pas ou ne peut pas la lui donner. Qui a jamais imaginé que cela fût inutile (1)?

189. La prescription court-elle contre les absents? Oui, par la raison très-simple que la loi ne la suspend pas, et l'article 2251 dit que la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par la loi. Cela décide la question. Mais grande est la difficulté de savoir si la prescription court contre l'absent ou contre les envoyés. On comprend l'intérêt de la question quand l'absent est mineur et que les envoyés sont majeurs, ou quand les envoyés sont mineurs alors que l'absent est majeur. Au point de vue des principes que nous avons posés, la question n'en est pas une. Les envoyés sont des dépositaires. Est-ce que la prescription court contre le dépositaire? Les envoyés sont administrateurs. Est-ce que la prescription court contre un mandataire? Mais si l'on admet que l'envoi en possession est une ouverture provisoire de l'hérédité, si l'on admet

(1) Voyez, en sens contraire, Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 346, et Demolombe, t. II, p. 111, no 114.

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