Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

ces dépenses, ils peuvent les porter en compte (1). 194. A qui les fruits doivent-ils être restitués? L'article 127 dit : « A l'absent, s'il reparaît avant trente ans depuis sa disparition. Il peut se faire que les envoyés en possession doivent restituer les biens aux héritiers de l'absent, au jour de son décès prouvé. Seront-ils tenus, en ce cas, à rendre les fruits dans la proportion établie par l'article 127? L'affirmative ne souffre aucun doute. Si la loi ne parle que de l'absent qui reparaît, ce n'est certes pas pour marquer que lui seul a droit de réclamer une portion des fruits; c'est plutôt parce que, en matière d'absence, le législateur est toujours préoccupé des intérêts de l'absent. Quant aux droits des envoyés en possession, ils ne dépendent point du retour de l'absent, ils dépendent de l'obligation qu'ils ont de restituer les biens dont ils ne sont que dépositaires, Peu importe, en ce qui les concerne, à qui la restitution se fait. L'article 130 le dit formellement, pour le cas où la succession de l'absent viendrait à s'ouvrir au profit de parents autres que ceux qui ont obtenu l'envoi.

Dans le deuxième alinéa de l'article 127, le législateur ne prévoit non plus qu'une seule hypothèse, tandis que, en réalité, il y en a deux dans lesquelles les envoyés gagnent tous les fruits. Ils les gagnent d'abord, même pendant l'envoi provisoire, si trente années se sont écoulées depuis la disparition de l'absent. Ils les gagnent encore si cent années se sont écoulées depuis la naissance de l'absent; dans ce cas, il y a lieu à l'envoi définitif, et les envoyés définitifs sont propriétaires, comme tels ils gagnent tous les fruits. Il n'y a aucun doute sur ce point.

§ IV. Rapports des envoyés en possession entre eux et à l'égard des tiers.

195. La loi ne dit rien de ces rapports. De là les systèmes imaginés par les auteurs, théories qui aboutissent

(1) Sur tous ces points, les auteurs sont unanimes. Voyez Dalloz, Réper toire, au mot Absents, nos 311-314; Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 313, no 9; Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 130-132, no 127.

à faire la loi, et que, pour ce motif, nous ne pouvons pas admettre. On suppose la succession de l'absent ouverte par la déclaration d'absence, puis le partage des biens, lo rapport des libéralités faites par l'absent à l'un de ses héritiers présomptifs; on dit que les envoyés provisoires sont des héritiers bénéficiaires. Il n'y a pas un mot dans le code sur lequel cette doctrine puisse prendre appui. A la vérité, des lois postérieures au code Napoléon ont assimilé l'envoi provisoire à l'ouverture d'une succession; mais ce sont des lois fiscales. En France, une loi du 28 avril 1816, article 110, a dérogé à la loi de frimaire; elle porte: «Les héritiers, légataires et tous autres appelés à exercer des droits subordonnés au décès d'un individu dont l'absence est déclarée, sont tenus de faire, dans les six mois du jour de l'envoi en possession provisoire, la déclaration à laquelle ils seraient tenus s'ils étaient appelés par l'effet de la mort, et d'acquitter les droits sur la vente entière des biens ou droits qu'ils recueillent. En cas de retour de l'absent, les droits payés sont restitués, sous la seule déduction de celui auquel aura donné lieu la jouissance des héritiers. » La loi belge du 17 décembre 1851 contient une disposition analogue. Aux termes de l'article 6, le droit de succession et celui de mutation. seront perçus sur la valeur des biens d'un absent, dont les héritiers présomptifs, donataires ou légataires, auront été envoyés en possession provisoire ou définitive. » Dira-t-on que cette loi consacre le principe que l'envoi en possession ouvre provisoirement la succession de l'absent, et que par conséquent les envoyés en possession doivent être considérés comme héritiers? Ce serait donner aux lois fiscales une portée qu'elles n'ont pas. Le texte même que nous venons de transcrire prouve que l'on ne peut pas interpréter le code civil par des lois qui n'ont en vue que les intérêts du fisc. D'après l'article 6, l'envoi provisoire et l'envoi définitif sont mis sur la même ligne quant à la perception des droits. En conclura-t-on que la loi de 1851 abroge le code civil, et qu'il n'y a plus de différence entre l'envoi provisoire et l'envoi définitif? Il est si vrai que la loi de 1851 ne reconnaît aux envoyés en possession pro

"

visoire aucune propriété, que si l'époux présent opte pour la continuation de la communauté, aucun droit ne peut être réclamé (1). Singulière propriété que celle qui peut être anéantie par la volonté d'un tiers!

196. Il faut donc nous en tenir au code civil. L'envoi provisoire est organisé dans l'intérêt de l'absent avant tout; les envoyés en possession sont appelés à administrer ses biens. Comment cette administration sera-t-elle réglée? La loi ne le dit pas; par cela même, les héritiers présomptifs ont le droit de la régler comme ils l'entendent; ils peuvent se partager l'administration, ils peuvent aussi la confier à l'un d'eux. Si des difficultés s'élèvent entre eux, le tribunal décidera. Ainsi jugé par un arrêt de la cour d'Orléans. Cet arrêt s'écarte de la doctrine des auteurs pour s'en tenir au texte du code. Il s'agissait de savoir si les envoyés en possession peuvent liciter les biens de l'absent. La cour décide qu'aux termes de l'article 129, aucun partage des biens de l'absent ne peut avoir lieu avant l'envoi définitif; que cette prohibition s'applique à la jouissance des biens comme à la propriété, la loi ne faisant pas de distinction; or, dès qu'il n'y a pas lieu à partage, il ne peut être question de licitation: En effet, la licitation n'a lieu que lorsqu'une chose commune ne peut être partagée sans perte, ou lorsque, dans un partage fait de gré à gré de biens communs, il s'en trouve quelques-uns qu'aucun des copartageants ne puisse ou ne veuille prendre (art. 1686). L'envoi provisoire, dit la cour d'Orléans, impose aux envoyés en possession l'obligation d'administrer, ils ne peuvent donc pas s'en décharger sur un étranger; tous les héritiers ont un devoir et un droit égal de gérer, sauf aux tribunaux à vider les difficultés que présenterait cette administration commune (2).

197. Les envoyés en possession sont qualifiés, par la loi, de dépositaires et d'administrateurs. Le sont-ils seulement à l'égard de l'absent? Sont-ils propriétaires à l'égard des tiers, en ce sens du moins qu'ils possèdent comme propriétaires? Merlin répond que l'envoyé en possession

(1) Bastiné, Théorie du droit fiscal, t. II. p. 120, no 113.

(2) Arrêt du 1er décembre 1859 (Dalloz, Recueil périodique, 1860, 2, 160).

est réputé posséder animo domini à l'égard des tiers. Cela est si vrai, dit-il, que dans son hérédité les biens de l'absent suivent le même sort que les siens propres (1). Il est vrai que l'administration passe aux héritiers des envoyés en possession. Mais est-ce parce qu'ils possèdent comme propriétaires? Ils possèdent si peu comme propriétaires, qu'ils peuvent être dépouillés de leur administration, nonseulement par l'absent, l'absent, mais par des parents plus proches, s'il s'en présente. Ce ne sont donc pas les biens qui passent aux héritiers des envoyés en possession, c'est l'administration; la loi le veut ainsi, afin que l'administration des biens de l'absent soit toujours dans les mains des héritiers de l'absent.

198. C'est d'après ce principe qu'il faut décider la question de savoir si les créanciers de l'envoyé en possession peuvent exercer leurs droits sur les biens compris dans l'envoi. Dans la doctrine que nous avons exposée, on ne peut pas même poser la question. Les envoyés en possession n'ont que le dépôt, l'administration des biens de l'absent c'est une hérésie de demander si les créanciers du tuteur ont action sur les biens de son pupille. Dans l'opinion généralement suivie, on reconnaît aux créanciers des droits sur les biens de l'absent, mais les auteurs ne sont pas d'accord sur l'étendue de ces droits. Il a été jugé et l'on enseigne que les hypothèques consenties. par les envoyés en possession sur les biens de l'absent, nulles à l'égard de l'absent, sont valables à l'égard des tiers, en ce sens du moins qu'elles pourront être éventuellement exercées après l'envoi en possession définitif (2). Notre loi hypothécaire assimilant les absents aux mineurs (3), il serait difficile d'admettre la validité des hypothèques que les envoyés en possession consentiraient sans l'observation des formalités prescrites par la loi. Nous examinerons la question en son lieu. Quant aux hypothèques légales, elles ne frappent que les biens qui

(1) Merlin, Répertoire, au mot Absents, article 120, no 4 (t. Ior, p. 57). (2) Arrêt de Rouen du 22 juillet 1840 (Dalloz, Répertoire, au mot Absents, no 361). Demolombe, t. II, p. 148 et suiv., nos 137-138.

3) Loi du 16 décembre 1851, article 75.

appartiennent aux débiteurs. Et peut-on dire que les biens de l'absent appartiennent aux envoyés en possession? Restent les créanciers chirographaires. Peuvent-ils saisir les biens de l'absent? La question, encore une fois, est une hérésie. Celui qui oblige sa personne oblige ses biens, mais il n'oblige certes pas les biens qu'il possède comme administrateur. Or, les envoyés possèdent comme administrateurs. Il faudrait une présomption de mort pour qu'ils pussent être considérés comme propriétaires des biens de l'absent. Et la loi n'établit pas de présomption pareille. Il faudrait au moins que la loi déclarât qu'ils sont propriétaires à l'égard des tiers; c'est ce qu'elle dit dans la troisième période. Par cela même, on ne peut admettre ce principe dans la deuxième. Les envoyés en possession provisoire restent donc administrateurs; leur possession n'est qu'un dépôt. Cela décide la question. Ajoutons que les biens de l'absent sont le gage de ses créanciers. Ce qui exclut encore les créanciers des envoyés en possession. Enfin, la loi leur défend d'aliéner les immeubles de l'absent; or, ils les aliéneraient indirectement, s'ils pouvaient les engager par les dettes qu'ils contractent. Dans notre opinion, il faut dire la même chose des meubles. Alors même qu'on reconnaîtrait aux envoyés le droit de vendre les effets mobiliers de l'absent, ce ne serait que comme administrateurs et non comme propriétaires. On conçoit, à la rigueur, que l'administrateur aliène dans l'intérêt de celui dont il gère le patrimoine; on ne conçoit pas qu'il en dispose dans son intérêt propre.

§ V. Fin de l'envoi provisoire.

199. L'envoi en possession provisoire cesse par la mort de l'absent. Dans toutes les périodes de l'absence, la succession de l'absent s'ouvre du jour de son décès prouvé, au profit des héritiers les plus proches à cette époque. Si ce sont d'autres parents que ceux qui ont été envoyés en possession, les biens de l'absent leur doivent être restiués, sous la déduction des fruits acquis aux envoyés (art. 130 et 127).

« PreviousContinue »