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communauté a un effet considérable; elle empêr he nonseulement l'envoi en possession des héritiers présomptifs, elle empêche encore l'exercice provisoire de tous les droits subordonnés à la condition du décès de l'absent. On conçoit que la loi préfère le conjoint aux parents légitimes et même aux légataires et aux héritiers contractuels; car son droit est certain. Puis l'intérêt de l'absent justifie cette préférence. L'administration des biens sera dans une seule main, main dévouée et intéressée à la conservation des droits de l'absent. Enfin, il fallait de toute nécessité pourvoir à l'administration des biens communs et des biens personnels de l'absent; il fallait donc la confier soit au conjoint, soit aux héritiers. Il n'en est pas de même des biens sur lesquels des tiers ont un droit subordonné à la condition du décès de l'absent (1). Supposons que l'absent. soit usufruitier; le nu propriétaire a droit aux biens grevés d'usufruit, si l'absent est mort. Il y a incertitude sur la vie de l'absent, la probabilité de sa mort va tous les jours croissant. Pourquoi ne pas permettre au nu propriétaire d'exercer provisoirement son droit? pourquoi donner la préférence au conjoint? Le nu propriétaire a un droit certain aussi bien que le conjoint; pour mieux dire, son droit est plus fort; car le conjoint administre des biens qui ne sont pas les siens et qui ne lui appartiendront jamais, puisqu'il y a des héritiers présomptifs, tandis que le nu propriétaire est dès maintenant propriétaire. La loi veut confier l'administration des biens de l'absent à celui qui les administrera le mieux. Peut-il y avoir un meilleur administrateur que le propriétaire? C'est le cas de dire : la loi est mauvaise, mais c'est une loi.

206. L'article 124 donne à chacun des époux le droit de demander la continuation provisoire de la communauté. Il y a cependant une grande différence entre les deux conjoints, quant au pouvoir qu'ils ont comme administrateurs; la loi elle-même l'indique en disant que la femme prend l'administration et que le mari la conserve. Si le mari la conserve, n'en faut-il pas conclure

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 367, no 454.

qu'il exerce comme administrateur légal, c'est le terme de la loi, le même pouvoir qu'il avait comme administrateur conventionnel? C'est l'opinion générale. Proudhon seul est d'un avis contraire. Dans les cas ordinaires, dit-il, le mari, administrant la communauté en maître, peut aliéner, hypothéquer les fonds qui en dépendent, mais ici celui qui a opté pour la continuation de la communauté ne peut être revêtu d'un pouvoir aussi étendu (1). » Sans doute, la position du mari n'est plus absolument la même. Quand la femme est présente, quand il n'y a aucun doute sur sa vie, le mari agit comme maître et seigneur, et tout ce qu'il fait à titre onéreux est valable. Mais si la femme est absente, on ne sait si la communauté, quoique continuée, subsiste encore; il est possible qu'elle soit dissoute, déjà au moment où le mari opte pour la continuation de la communauté, par la mort de la femme. Dans cette hypothèse, qui sera très-souvent une réalité, il n'y a plus de communauté au moment où le mari aliène un bien commun. Peut-on lui permettre d'aliéner ce qui peut-être ne lui appartient pas? La question s'adresse au législateur plutôt qu'à l'interprète. Îl est certain que le législateur aurait pu prendre en considération l'incertitude qui règne sur la vie du conjoint absent, et limiter les droits du mari présent. Mais l'interprète n'a pas à voir ce que la loi aurait pu ou dû faire, il doit se borner à voir ce qu'elle a fait. Y a-t-il une disposition qui défende au mari d'aliéner les biens de la communauté continuée? Proudhon cite l'article 128 qui porte: «Tous ceux qui ne jouiront qu'en vertu de l'envoi provisoire ne pourront aliéner ni hypothéquer les biens de l'absent. » Peut-on appliquer cette disposition au mari qui opte pour la continuation de la communauté? A vrai dire, il ne jouit pas en vertu de l'envoi provisoire, il administre une communauté qui est la sienne; et quand il aliène, il ne vend pas un immeuble de l'absent, il vend un immeuble dont il est le maître.

Il reste cependant une difficulté, et elle prouve que

(1) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 318. Comparez Dalloz, Répertoire, au mot Absence, no 387.

Proudhon a raison en théorie. Le mari aliène un immeuble commun en 1869; on apprend ensuite que la communauté a été dissoute en 1865 par la mort de la femme. La vente est-elle valable, ou les héritiers de la femme peuvent-ils l'attaquer? Les auteurs qui enseignent que le mari peut aliéner les conquêts, admettent aussi que la vente, étant valable dans son principe, doit être maintenue (1): c'est l'application du principe élémentaire que la loi doit valider les actes faits conformément à ses dispositions. La plupart des auteurs invoquent un autre principe, celui du mandat. Ils disent que le mari est mandataire légal de la femme; en vertu de ce mandat, il peut aliéner; il le peut alors même que par la mort de la femme son mandat aurait cessé; car, d'après l'article 2009, les engagements du mandataire sont, en ce cas exécutés à l'égard des tiers de bonne foi (2). Nous ne croyons pas que le mari agisse comme mandataire; il serait alors simple administrateur, et comme tel, il n'aurait pas le droit d'aliéner (art. 1988). Le mari n'a le droit d'alièner que si on le considère comme maître de la communauté, et l'idée de maître et seigneur ne peut pas s'allier à celle de mandataire.

Si les héritiers de la femme doivent respecter les aliénations faites par le mari, est-ce à dire qu'ils n'aient aucun droit à raison de ces ventes? La question peut à peine être posée. En quelle qualité le mari a-t-il vendu? Comme chef de la communauté. Peu importe que la communauté soit dissoute; il faut néamoins supposer qu'elle existe, sinon l'aliénation serait nulle. Eh bien, la fiction doit être admise avec toutes ses conséquences. Si le mari est censé avoir aliéné un bien commun, le prix de cet immeuble doit tomber dans la communauté, donc les héritiers en profiteront. Rien de plus juste, car au moment où la vente a eu lieu, la communauté était dissoute; l'immeuble vendu par le mari faisait donc partie des biens communs, qui doivent être partagés entre les héritiers de la femme et le mari; dès lors, ils doivent profiter du prix pour moitié.

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 281, no 5.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 383 et suiv., no 285.

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207. Le mari doit-il faire inventaire des biens de la communauté? Aux termes de l'article 126, ceux qui auront obtenu l'envoi provisoire, ou l'époux qui aura opté pour la continuation de la communauté, devront faire procéder à l'inventaire du mobilier et des titres de l'absent. » Au premier abord, on pourrait croire que notre question est décidée par le texte de la loi. L'inventaire, d'après l'article 126, doit porter sur les biens mobiliers de l'absent; or, la communauté n'appartient pas à la femme absente, c'est le mari présent qui en est le maître et seigneur. Et par cela même qu'il en peut disposer à volonté, ne doit-on pas dire que l'inventaire est inutile (1)? Non, il n'est pas inutile. D'abord, le mari peut être tenu à des restitutions envers les héritiers de la femme, si elle est décédée, et s'il a continué à disposer des effets de la communauté, après son décès, alors que la communauté était en réalité dissoute. Puis, on oublie que la communauté peut être conventionnelle; si la femme a stipulé des reprises, il y aura encore lieu à des restitutions, au cas où elle reparaftrait, sinon par le mari, au moins par ses héritiers. Done l'inventaire sera toujours utile. Mais il ne suffit pas qu'il soit utile pour que le mari doive le faire; la question est de savoir si la loi l'y oblige. Nous ne dirons donc pas avec Duranton que le mari doit faire inventaire parce qu'il n'y a aucun inconvénient à le faire, et qu'il y en aurait de très-graves à ne le faire pas (2). L'interprète ne peut pas créer d'obligation, la loi seule a ce pouvoir. Il faut done voir ce que dit le texte.

L'article 126 parle du mobilier et des titres de l'absent. Cette disposition est-elle restrictive? Nous l'avons déjà rencontrée dans l'article 124, où elle comprend néanmoins les effets de la communauté. Or, l'inventaire ne doit-il pas porter sur tous les biens dont l'administration est conférée au mari? Après tout, les biens de la communauté sont aussi les biens de la femme absente, car elle est associée, donc copropriétaire. Enfin l'article 126 met le mari administra

(1) C'est l'opinion de Dalloz et des auteurs qu'il cite (Répertoire, au mot Absence, no 391).

(2) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 373 et suiv., no 460.

teur sur la même ligne que l'héritier envoyé en possession provisoire, quant à l'obligation de faire inventaire. Or, ceux qui obtiennent l'envoi provisoire doivent inventorier tous les biens qu'ils sont appelés à administrer; donc il en doit être de même du mari administrateur légal (1).

208. Le mari qui continue la communauté administre aussi les biens personnels de la femme. C'est le droit commun, sous le régime de la communauté légale. Mais il se peut que la femme se soit réservé l'administration de quelques-uns de ses biens; dans ce cas, le mari les administrera pour le compte de la femme. Comme administrateur des biens personnels de la femme, le mari n'a que des pouvoirs d'administration. Dans notre opinion, il ne peut pas aliéner le mobilier. Ceux qui admettent que l'aliénation des meubles est un acte d'administration reconnaissent naturellement au mari administrateur légal le même pouvoir (2). Il a aussi les obligations des envoyés en possession provisoire. Ici, il n'y a aucun doute, puisque la loi l'oblige à faire inventaire des biens de l'absent, au même titre que les envoyés en possession.

209. La femme présente a aussi l'administration légale de la communauté et des biens propres de son mari absent, quand elle opte pour la continuation de la communauté. Mais a-t-elle le même pouvoir que le mari? On décide généralement qu'elle doit être assimilée à un envoyé en possession, que partant elle n'est que dépositaire et administratrice. Il y a cependant un motif de douter. La femme prend l'administration, dit l'article 124. N'est-ce pas dire qu'elle la prend telle que le mari l'avait? ne doit-elle pas être considérée comme mandataire du mari, et comme telle, n'a-t-elle pas les mêmes pouvoirs que lui, c'est-à-dire le droit de disposer librement des biens de la communauté (3)? Nous ne croyons pas que telle soit la position. de la femme. Le mariage subsiste, et par suite l'incapacité juridique dont la femme est frappée. Si elle a des biens personnels, elle ne peut les aliéner, les hypothéquer

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 376, no 182.
(2) Dalloz, Répertoire, au mot Absence, nos 389-390.
(3) C'est l'opinion de Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 240, note 2.

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