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attaché un avantage à l'administration en donnant au conjoint une certaine quotité de fruits. Mais on ne conçoit pas que cette quotité augmente avec la durée de l'absence. Cela est logique pour l'héritier présomptif, dont les droits acquièrent tous les jours plus de probabilité, à mesure que l'absence se prolonge. Cela est souverainement illogique en ce qui concerne le conjoint, dont les droits deviennent de plus en plus incertains, à mesure que l'incertitude de la vie de l'absent augmente (1). La critique est fondée, mais ne prouve-t-elle pas que la théorie du code civil n'est pas celle que les auteurs lui supposent? Ils sont surtout préoccupés des droits des héritiers, tandis que le législateur songe, avant tout, à sauvegarder les intérêts de l'absent; c'est dans cet esprit qu'il organise l'envoi provisoire; c'est encore dans cet esprit qu'il accorde de préférence l'administration de la communauté au conjoint présent. Pour engager soit les héritiers présomptifs, soit l'époux à se charger de cette administration, il leur donne une partie des fruits, sans distinguer entre eux et, à son point de vue, il n'y avait pas lieu de distinguer, puisque le motif pour lequel il leur accorde cet avantage est le même. La loi est donc logique, si l'on tient compte de son esprit.

213. L'application de la loi n'est pas sans difficulté. On demande d'abord à qui les fruits doivent être restitués, si l'absence dure moins de trente ans? D'après le texte de l'article 127, on serait tenté de répondre que les fruits ne doivent être rendus qu'à l'absent, s'il reparaît. Mais nous avons déjà repoussé cette interprétation en ce qui concerne les héritiers envoyés en possession provisoire; ot comme le code met l'époux présent absolument sur la même ligne, il faut décider aussi que le conjoint doit faire la restitution des fruits à tous ceux auxquels il rend les biens. Sur ce premier point, il n'y a aucun doute sérieux. Mais que deviennent les fruits que l'époux gagne? Supposons d'abord que l'absent reparaisse. Le conjoint présent a perçu les fruits des biens communs et des biens propres

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 313, no 8.

de l'absent; il gagne les quatre cinquièmes ou les neuf dixièmes; d'après le texte de la loi, il ne doit pas les rendre. Mais comment concilier cette disposition avec l'article 1401 qui fait entrer dans l'actif de la communauté tout le mobilier futur, c'est-à-dire tout ce que les époux gagnent par leur travail, tout ce qu'ils reçoivent à un titre quelconque? Dans l'espèce, la communauté subsiste, puisque l'époux absent reparaît. Donc les fruits que l'époux présent a perçus, bien qu'il les gagne d'après l'article 127, doivent être mis dans la communauté; pour mieux dire, elle en profite de plein droit, et sans distinguer les fruits perçus sur les biens communs des fruits perçus sur les biens personnels du conjoint absent. Sous le régime de la communauté légale, l'article 127 reste donc sans application. L'on a essayé de concilier l'article 127 et l'article 1401, en considérant les fruits comme une donation faite par la loi à l'époux présent, avec la clause que les choses données n'entreront pas en communauté (1). Cette explication est inadmissible, par cela seul que la loi ne la consacre pas. Il faut un texte pour que l'on puisse admettre qu'une donation est faite avec telle ou telle clause. A vrai dire, la loi ne fait pas de donation, car la donation est un contrat, et le législateur ne contracte pas, il ne stipule pas, il ne promet pas. Il ne s'agit pas d'une donation dans l'article 127, mais d'un avantage que la loi attache à une charge.

214. Nous avons supposé jusqu'ici que la restitution des biens se faisait à l'absent, c'est-à-dire que les fruits ont été perçus par le conjoint présent, pendant que la communauté subsistait. La restitution peut aussi se faire aux héritiers du conjoint absent. Cela a lieu d'abord quand l'absent vient à mourir. Dans ce cas, il faut distinguer Le conjoint présent a-t-il perçu les fruits après le décès de l'absent, l'article 126 recevra son application sans difficulté, puisque, dans cette hypothèse, la communauté est dissoute; il ne peut donc pas s'agir de verser les fruits dans la communauté. Quant aux fruits perçus avant le décès, ils l'ont été pendant la durée de la communauté, et

(1) Duranton, Cours de droit français, t. I, p. 377, no 464.

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par suite elle en profitera indirectement, puisque tous les gains mobiliers faits par les époux lui appartiennent.

La restitution des biens se fait encore aux héritiers de l'absent, si la communauté continuée cesse par l'envoi définitif, ou par la renonciation de l'époux administrateur légal, ou par sa mort. Dans tous ces cas, on applique l'article 127, et sans distinction; car la communauté sera censée dissoute au jour de la disparition ou des dernières nouvelles, époque à laquelle on remonte pour déterminer quels sont les héritiers qui obtiendront l'envoi en possession. Les fruits étant perçus pendant que la communauté était réputée dissoute, il ne peut pas s'agir de verser dans la communauté la part des fruits qui est attribuée à l'époux, administrateur légal.

Dans toute hypothèse, le conjoint administrateur ne gagne que les fruits perçus depuis son administration légale. C'est l'application des principes généraux. Les envoyés provisoires n'ont aucun droit sur les fruits perçus avant le jugement qui les envoie en possession. Or, l'époux administrateur légal prend la place des envoyés en possession; il ne peut donc jouir des fruits qu'à partir du moment où son administration commence (1).

§ III. Dissolution provisoire de la communauté.

215. Le conjoint présent peut aussi, aux termes de l'article 124, demander la dissolution provisoire de la communauté; il exercera alors ses reprises et tous ses droits légaux et conventionnels. C'est à raison de ces droits qu'il peut avoir intérêt à demander la dissolution de la communauté plutôt que la continuation. Les droits légaux sont ceux qui dérivent de la loi, sous le régime de la communauté légale. Chacun des époux reprend ses propres mobiliers et immobiliers, le prix de ceux qui ont été aliénés et dont il n'a pas été fait remploi, les indemnités ou récompenses que lui doit la communauté ;

(1) Voyez, sur l'interprétation de l'article 127, Proudhon, Traite sur l'état des personnes, t. Ier, p. 319, et les notes de Valette. Marcadé, t. Ier, p. 308,

chacun des époux a de plus sa part dans la communauté, sauf le droit que la femme a d'y renoncer (art. 1470 et 1474). Les droits conventionnels dérivent du contrat de mariage; ce sont le préciput (art. 1515), le mobilier exclu de la communauté (art. 1500 et 1498), le mobilier dont la femme stipule la reprise en cas de renonciation (art. 1514), les donations qui sont faites par l'un des époux à son conjoint. La loi permet à l'époux présent d'opter pour la dissolution de la communauté, par application du droit commun. Tous ceux qui ont des droits subordonnés au décès de l'absent peuvent les exercer après la déclaration d'absence. L'époux présent doit avoir le même droit. La loi ajoute une condition pour l'exercice de ce droit, elle veut que le conjoint donne caution pour les choses susceptibles de restitution. C'est une obligation que la loi impose à tous les envoyés provisoires (art. 120 et 123). Il y a cependant une différence considérable pour l'étendue du cautionnement entre le conjoint et les autres ayants droit. Ceux-ci doivent donner caution pour tous les biens qu'ils administrent, parce qu'ils sont dans le cas de les restituer tous; tandis que le conjoint ne donne caution que pour les choses susceptibles de restitution: il y en a, en effet, qu'il ne doit pas restituer, et pour lesquels, par suite, il n'y a pas lieu à fournir des garanties. On doit, à cet égard, distinguer entre la femme et le mari.

Pour la femme, la distinction est sans intérêt; car si l'absent reparaît, elle doit tout restituer au mari, même ses biens propres, puisque le mari en a la jouissance. Toutefois, quant à ses propres, il y a à distinguer entre la propriété et l'usufruit. Le mari n'a droit qu'à la jouissance; c'est donc seulement comme usufruitier éventuel qu'il a droit à une garantie, et non comme propriétaire : le cautionnement sera fixé en conséquence. Il se peut même qu'il n'ait pas la jouissance de tous les biens de la femme; celle-ci peut se réserver certains biens pour ses besoins personnels. Cela est de droit, sous le régime dotal, pour les paraphernaux. Il est évident que la femme ne doit pas caution pour des biens sur lesquels le mari n'a

aucun droit.

Quant au mari, il ne doit pas caution pour les biens qu'il prend dans le partage de la communauté. En effet, si la femme reparaît, la communauté n'aura jamais été dissoute, le mari en aura toujours été maître et seigneur; il pu en disposer, et s'il l'a fait, il ne doit rien restituer. A plus forte raison, ne doit-il pas caution pour les propres qu'il prélève avant le partage, car il en a également la libre disposition; il n'est donc pas tenu de les rendre. Doit-il caution pour les gains de survie? Non; il est vrai qu'il n'y a droit que si la femme meurt; si elle revient, son droit n'aura pas été ouvert, et les biens resteront à la communauté; mais par cela même, on ne peut pas dire qu'il est obligé de les rendre, car il est maître de ces biens et il en dispose comme il veut. Est-ce à dire que le mari ne doive jamais caution? S'il est donataire par institution contractuelle, il doit certainement rendre ces biens à la femme quand elle reparaît. Il en serait de même s'il était légataire. Mais devrait-il caution pour la toute propriété? Non, car si la femme revient, la communauté n'a jamais été dissoute; il aura donc eu le droit de jouir de ces biens; dès lors il ne doit pas caution pour l'usufruit (1).

216. Le conjoint qui opte pour la dissolution de la communauté doit-il faire inventaire? On enseigne généralement l'affirmative (2), et en théorie cette opinion est certainement fondée. Pourquoi l'époux doit-il caution? Parce qu'il a des biens à restituer, donc des comptes à rendre ; or, la base de tout compte n'est-elle pas l'inventaire? A quoi servirait la caution si, à défaut d'inventaire, il était impossible de déterminer le montant de la responsabilité ? Mais l'interprète ne peut imposer une obligation que la loi n'impose pas. Or, l'article 126 assujettit seulement à faire inventaire ceux qui obtiennent l'envoi provisoire, ainsi que l'époux qui opte pour la continuation de la communauté. N'est-ce pas dispenser de cette charge l'époux qui opte pour la dissolution de la communauté? La loi, il faut l'avouer, n'est pas toujours logique dans les mesures

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 380 et suiv., no 469 470. (2 Demolombe, Cours de code Napoléon, t. 11, p. 406, no 297.

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