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14. Il y a cependant quelque motif de douter. Le texte de l'article 88 paraît, au premier abord, déroger à l'article 47. Il porte : « Les actes de l'état civil faits hors du territoire de l'empire, concernant les militaires, seront rédigés dans les formes prescrites par les dispositions précédentes, sauf les exceptions contenues dans les articles suivants. Or, ces articles instituent des officiers spéciaux pour recevoir les actes de l'état civil qui intéressent les militaires; il les soustrait donc à la compétence des officiers nationaux. A l'appui de cette interprétation restrictive, Merlin cite les discours des orateurs du gouvernement et du Tribunat; mais Merlin lui-même a reculé devant les conséquences qui découlent de son interprétation. Elle conduirait à la compétence exclusive des officiers français. Il en résulterait qu'eux seuls pourraient dresser l'acte de naissance, alors même que la mère accoucherait à une grande distance des drapeaux sous lesquels se trouve son mari. Merlin repousse cette conséquence (1). Il en résulterait que l'officier du pays serait incompétent pour recevoir l'acte de décès d'un militaire français qui mourrait isolément dans un lieu privé de toute communication prochaine avec l'armée. Merlin n'admet pas cela, parce que ce serait calomnier la loi, d'après son énergique expression, que de lui supposer une volonté aussi absurde. Ce serait encore la calomnier, ajoute-t-il, de dire que le mariage entre un militaire français et une femme étrangère ne pourrait être célébré devant l'officier civil du pays (2). Nous demandons si un principe sujet à tant d'exceptions est un principe? Si l'article 88 est une exception dans le sens ordinaire du mot, il faut l'appliquer sans reculer devant aucune conséquence. Dès que l'on admet des restrictions, on ne peut plus dire que l'article 88 annule la compétence des offi ciers nationaux. Il peut très-bien s'entendre d'une compétence facultative, établie dans l'intérêt des militaires français. Il faudrait une volonté clairement manifestée pour que l'on dût admettre que la compétence est exclusive. Ni

(1) Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 3, no 1.
(2) Merlin, Questions de droit, au mot Mariage, § 7.

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les paroles de Napoléon, ni les discours des orateurs ne disent cela d'une manière positive. Nous citerons ce que dit Siméon dans son rapport au Tribunat. Il énumère les avantages de l'institution créée par le nouveau code : « D'abord elle protége et assure, mieux qu'il ne l'avait jamais été, l'état civil des militaires et les intérêts de leurs familles. Elle oppose un frein nécessaire au tumulte et à la licence des camps. Elle met obstacle à des mariages abusifs et à la supposition de ceux qui n'existèrent pas même abusivement. Elle fournit de meilleurs moyens de constater et les décès nécessairement si multipliés et les naissances aussi; car on en rencontre quelquefois dans les camps, comme ces fleurs rares dont la nature égaye les monuments funèbres (1).

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Il y a dans les paroles que nous venons de transcrire un motif que l'on pourrait invoquer pour soutenir que la compétence des officiers français est exclusive. Thibaudeau dit, comme Siméon le fait entendre, que dans les dernières guerres les militaires français s'étaient joués du plus saint des contrats, du mariage (2). Ce serait donc pour prévenir ces scandaleux excès que le législateur aurait appelé des officiers français à célébrer les mariages des militaires. N'est-ce pas là un motif d'ordre public qui doit exclure la compétence des fonctionnaires étrangers? Nous ne le croyons pas. La jurisprudence a décidé et les auteurs enseignent que les officiers du pays peuvent célébrer le mariage d'un militaire français avec une femme étrangère (3). Et il est impossible de ne pas admettre cette opinion sans calomnier la loi, comme le dit Merlin. Ne serait-ce pas heurter la conscience publique tout ensemble et blesser le bon sens que d'annuler un mariage célébré par un officier public dont la compétence ne saurait être contestée? Que si l'on admet que le mariage est valable, alors le motif de moralité publique n'a plus de valeur; car

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 99, no 35.

(2) Thibaudeau, Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 71, no 22).

(3) Arrêt de la cour de Paris du 8 juillet 1820, et arrêt de la cour de Colmar du 25 janvier 1823, confirmé par un arrêt de rejet du 23 août 1826 (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 405, 1o).

ce sont précisément des femmes étrangères qui risquent lė plus d'être trompées par des hommes sans foi ni loi. Après tout, le remède au mal signalé par Thibaudeau n'est pas dans l'incompétence de l'officier étranger, il est dans la publicité donnée au projet de mariage.

Notre conclusion est que la compétence des officiers établis par le code Napoléon pour recevoir les actes de l'état civil qui concernent les militaires à l'étranger est facultative dans tous les cas, qu'elle n'exclut jamais la compétence des officiers étrangers. Cette opinion a été consacrée par un arrêt de la cour de Bruxelles du 7 juin 1831 (1); elle est suivie par Coin-Delisle et Demolombe (2). Quant aux détails de l'institution créée par le code Napoléon, nous renvoyons au texte du chapitre V.

SECTION II.

Des registres de l'état civil.

15. Les actes de l'état civil sont inscrits sur des registres (art. 40). Il est défendu aux officiers de les inscrire sur des feuilles volantes (code pénal, art. 263). Il en est autrement des actes reçus par les notaires. Par contre, l'inscription sur des registres est de règle quand il s'agit d'actes destinés à la publicité et dont la conservation intéresse les tiers telles sont les inscriptions hypothécaires, la renonciation à une succession ou l'acceptation sous bénéfice d'inventaire : tels sont encore les actes d'enregistrement et de transcription (3). L'intérêt de conservation est si évident, qu'il est inutile d'y insister. Par cela même la publicité est assurée. La formalité est donc essentielle.

L'article 40 ajoute que les registres sont tenus doubles. Aux termes de l'article 43, l'un des doubles est déposé, à la fin de chaque année, aux archives de la commune, et l'autre au greffe du tribunal de première instance. Ce double dépôt explique la nécessité des doubles registres.

(1) Jurisprudence du XIXe siècle, 1831, 3, p. 156 (Dalloz, au mot Mariage, n° 395).

(2) Coin-Delisle, Commentaire analytique, livre Ier, titre II, p. 79, no 5; Demolombe, t. ler, p. 508, no 315.

(3) Voyez code civil, articles 784, 793, 1328, et loi hypothécaire du 16 décembre 1851, articles 1 et 81.

C'est une excellente précaution pour empêcher la perte des actes de l'état civil, actes qui intéressent à un si haut degré l'état des hommes et les tiers, c'est-à-dire la société tout entière.

La loi du 20 septembre 1792 voulait que chaque espèce d'actes fût inscrite sur un registre particulier. C'était multiplier inutilement les registres dans les petites communes, et par conséquent rendre les recherches plus longues et plus difficiles. Le code Napoléon (art. 40) dit :

Sur un ou plusieurs registres. » C'est le gouvernement qui décide si un seul registre suffit, ou s'il convient d'en avoir plusieurs, à raison du nombre des habitants.

Les registres, dit l'article 41, doivent être cotés par première et dernière, et parafés sur chaque feuille par le président du tribunal de première instance. C'est une précaution contre la fraude qui pourrait se commettre facilement en intercalant ou en supprimant un ou plusieurs feuillets, s'ils n'étaient ni cotés ni parafés. Le parafe doit se trouver sur chaque page; mais faut-il aussi que chaque page soit numérotée par le président? Il y a des magistrats qui se contentent de marquer la première feuille et la dernière. Ils ont pour eux le texte de la loi ; et quant au but que le législateur s'est proposé, le parafe suffit (1).

16. Les registres sont publics (art. 45). C'est un principe fondamental. de notre état civil. Les tiers ont intérêt à connaître l'état des personnes avec lesquelles ils sont en relation, car les droits dépendent de l'état ainsi que la capacité ou l'incapacité. Toute personne, dit la loi, peut se faire délivrer des extraits des registres. Le code Napoléon n'exige pas que celui qui demande un extrait justifie de son intérêt. En cela il déroge à l'ancien droit, comme l'avait déjà fait la loi de 1792 (2). Il ne faut pas que les tiers soient à la merci des officiers de l'état civil; il ne faut pas qu'en cas de refus, ils soient forcés d'intenter une action en justice. L'état des citoyens n'est pas un secret,

(1) Dalloz, Répertoiré, au mot Actes de l'état civil, no 47.

(2) Coin-Delisle, Commentaire anclytique du titre II du livre Ier (p. 24, n° 2).

il est public de sa nature; dès lors la publicité des registres qui constatent cet état doit favoriser les recherches, loin de les entraver.

La loi dit que toute personne peut demander un extrait. On entend par là une copie littérale de l'acte inscrit sur le registre. Cela résulte de la suite de l'article 45, qui exige que les extraits soient conformes aux registres; une simple déclaration ou attestation de l'officier public n'atteindrait pas le but de la loi (1).

Qui délivre les extraits? Les dépositaires des registres, dit l'article 45. Il n'y a aucun doute quant aux greffiers. Un avis du conseil d'Etat du 2 juillet 1807 décide que les secrétaires communaux n'ont aucune qualité pour délivrer des extraits. L'avis se fonde sur le principe que personne n'a de caractère public qu'autant que la loi le lui a conféré; et il n'y a pas de texte qui investisse les secrétaires communaux d'un caractère public. Le vrai dépositaire des registres, c'est, d'après la législation belge, le collége des bourgmestre et échevins (2).

Nous avons déjà parlé du dépôt des registres. Voyez les articles 43 et 44 du code Napoléon.

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17. L'article 85 pose un principe général sur la rédaction des actes; il porte que les officiers ne peuvent rien y insérer, soit par note, soit par énonciation, que ce qui doit être déclaré par les comparants. Il importe de préciser le sens de cette disposition, car elle touche à une question très-grave, celle de la preuve qui résulte des actes de l'état civil. Un premier point est certain, c'est que les officiers ne peuvent pas énoncer ce qui doit être déclaré par les comparants, quand cette déclaration ne leur est pas faite. Ainsi l'acte de naissance des enfants nés de

(1) Ainsi jugé par arrêt de la cour de Colmar du 20 août 1814 (Dalloz, au mot Obligations).

(2) Locré, Législation civile, t. II, p. 128, no 21. - Loi communale, art. 93.

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