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encore moins qu'il y ait tant d'incertitude dans la solution que lui donnent les auteurs. Quel est le principe d'où part la loi? L'absent seul est recevable à attaquer le mariage de son conjoint; il faut donc que la demande émane de lui. Dès lors, s'il n'intente pas lui-même l'action, il doit donner pouvoir de le faire en son nom; ce qui implique la nécessité d'un pouvoir spécial. On a été jusqu'à soutenir qu'un mandat général laissé par l'absent avant son départ suffisait. Le mariage pourrait donc être attaqué, annulé, sans même que l'absent sût qu'il y a mariage, alors que la loi veut que lui seul l'attaque, s'il le juge convenable (1)!

L'article 139 ajoute que le fondé de pouvoir de l'absent doit être muni de la preuve de son existence. S'il faut une procuration spéciale, dit-on, à quoi bon le certificat de vie? Sans doute une procuration authentique prouve qu'au moment où elle est donnée, l'absent vit. Mais l'action peut être intentée après un délai plus ou moins long depuis la date que porte le mandat. Alors la procuration, quoique authentique, ne suffit plus. Elle serait toujours insuffisante si elle était donnée par acte sous seing privé, un pareil écrit ne faisant pas foi de sa date. Il faut donc la preuve que l'absent vit au moment où l'action est intentée (2).

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252. L'article 135 pose comme principe général : « Quiconque réclamera un droit échu à un individu dont l'existence ne sera pas reconnue, devra prouver que ledit individu existait quand le droit a été ouvert; jusqu'à cette preuve, il sera déclaré non recevable dans sa demande. » Cela suppose que le droit vient à s'ouvrir après la disparition de celui qui pourrait le réclamer, s'il vivait au moment où le droit s'ouvre; si dans ce moment il est absent, dans le sens légal du mot, il est évident qu'il ne peut pas

(1) Voyez, sur les diverses opinions, Demolombe, t. II, p. 344, no 263. (2) Il y a encore diverses interprétations (Dalloz, Répertoire, au mot Absence, no 533).

le réclamer personnellement; son fondé de pouvoir ou ses créanciers ne le pourraient pas davantage; car celui qui fait une demande en justice doit prouver le fondement de sa demande; et quel est, dans l'espèce, le fondement de la demande? L'existence de celui au profit de qui on prétend . qu'un droit s'est ouvert; car s'il ne vit plus, son droit est devenu caduc, il n'y en a pas. Or, quand l'ayant droit est absent, il y a incertitude sur sa vie et sur sa mort, il est donc impossible de prouver son existence; par suite, on ne peut pas réclamer un droit en son nom; ceux qui le feraient devraient être déclarés non recevables. C'est ce que le code appelle droits éventuels qui peuvent compéter à l'ab

sent.

L'article 136 contient une application du principe. Une succession s'ouvre à laquelle l'absent serait appelé, s'il était en vie. Ses créanciers ou son fondé de pouvoir peuvent-ils demander que l'absent soit représenté au partage, et qu'on lui attribue la part qui lui appartient en vertu de la loi? Non, puisqu'ils ne peuvent pas prouver que l'absent vivait encore au moment où la succession s'est ouverte : ils seraient donc déclarés non recevables. Il en est de même pour tout droit éventuel qui s'ouvrirait pendant l'absence au profit de l'absent. Un legs est fait à l'absent : pour qu'on puisse le réclamer en son nom, il faut prouver que l'absent existait à la mort du testateur, si le legs est pur et simple, et au jour de l'accomplissement de la condition, si le legs est conditionnel; jusque-là les demandeurs seront déclarés non recevables (art. 1039, 1040). L'absent est institué héritier contractuel; le donateur décède; peut-on réclamer les biens au nom de l'absent? Non, à moins de prouver qu'il existait lors de l'ouverture de l'hérédité. Un donateur a stipulé le droit de retour, il disparaît, le donataire meurt; pour exercer le droit de retour au nom de l'absent, il faut prouver qu'il vivait lors de la mort du donataire. Un conjoint stipule un préciput en cas de survie, ou tout autre droit qui ne s'ouvre qu'à la condition qu'il survive, il disparaît; on ne peut réclamer ces droits qu'en prouvant qu'il a survécu. L'absent est créancier d'une rente viagère; on ne peut réclamer le paye

ment des arrér ages en son nom qu'en prouvant sa vie à l'époque de l'échéance (art. 1983) (1).

253. Le principe s'applique-t-il si le droit s'est ouvert pendant la présomption d'absence? Nous répondons oui, sans hésiter. Le texte de l'article 135 est conçu dans les termes les plus généraux : « Quiconque réclamera un droit échu à un individu dont l'existence ne sera pas reconnue. Or, dès qu'il y a présomption d'absence, l'existence de celui qui a disparu n'est pas reconnue puisqu'elle est douteuse; cela suffit pour décider la question. Il y a plus. Le projet du code se servait du mot absent; cette expression aurait pu donner lieu à un doute, puisque d'ordinaire on ne l'emploie que pour désigner celui dont l'absence est déclarée; pour lever tout doute, on la remplaça par ces mots dont l'existence n'est pas reconnue. Abstraction faite des textes, les principes généraux de droit suffiraient pour le décider ainsi. Cependant Maleville soutient l'opinion contraire; cette doctrine n'a pas trouvé faveur, et nous n'en faisons mention que pour montrer qu'il faut se garder d'attacher une trop grande autorité aux discussions préparatoires; Maleville est un des auteurs du code, il a pris part aux délibérations du conseil d'Etat sur l'article 135, il a parlé; qui ne croirait que lui mieux que qui que ce soit doit connaître l'esprit de la loi? Néanmoins il s'est trompé, de l'aveu de tout le monde. Il y a une considération qui l'a frappé et qui a réellement été présentée comme objection au conseil d'Etat. Quoi! dit-on. Il suffira qu'une personne quitte son domicile pour que dès le lendemain on l'écarte d'une succession à laquelle elle est appelée! Non, il ne suffira pas que les cohéritiers de l'absent déclarent qu'ils ne reconnaissent pas son existence. C'est le tribunal qui décidera, en cas de contestation, et le tribunal n'admettra la présomption d'absence que s'il y a réellement incertitude et doute sur la vie de celui qui a disparu sans donner de ses nouvelles. La jurisprudence est en ce sens, ainsi que la doctrine (2).

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 444 et suiv., ▲oo 537-543. (2, Dalloz Répertoire, au mot Absence, nos 477-480, 482.

254. La jurisprudence applique le principe de l'article 135 dans tous les cas où la vie de l'absent est contestée, et où l'issue du litige dépend de son existence. Il s'agit de calculer le montant de la réserve et de la quotité disponible; un des héritiers réservataires est absent; les autres peuvent-ils demander qu'il soit compté pour déterminer le chiffre de leur réserve? Non certes; car ce serait se prévaloir de la vie de l'absent alors que son existence est douteuse; ce serait admettre l'absent à prendre part à la réserve; or, la réserve est une partie de la succession; pour y avoir droit, il faut être héritier; il faut donc exister lorsque le droit à la réserve s'ouvre; donc celui dont l'existence n'est pas reconnue ne peut être réservataire. La réserve sera donc calculée comme si l'absent n'existait pas, à moins que les cohéritiers de l'absent ne prouvent qu'il vivait lors de l'ouverture de l'hérédité. La cour de Bordeaux l'a décidé ainsi, de même que la cour de cassation (1).

255. Que deviennent les droits que l'absent aurait pu réclamer si son existence était prouvée au moment où ils se sont ouverts? L'absent n'étant pas admis à les exercer, puisque sa vie est douteuse, il faut décider que les droits seront recueillis par ceux qui auraient été appelés à les exercer si l'absent était mort. C'est ainsi que l'article 136 applique le principe quand il s'agit d'une succession: « La succession sera dévolue exclusivement à ceux avec lesquels l'absent aurait eu le droit de concourir, ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut. » Il en résulte que ceux qui viennent à la succession, à défaut de l'absent, n'ont aucune preuve à faire. La raison en est simple; ils ne sont pas demandeurs; c'est l'absent qui demande sa part dans une succession; ceux qui agissent en son nom sont écartés, parce qu'ils ne peuvent pas prouver que l'absent vivait lors de l'ouverture de l'hérédité; les héritiers présents succèdent parce qu'ils sont appelés par la loi; quant à l'absent, il est considéré comme n'existant pas (2).

(1) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Absence, no 493. (2) Ce principe est établi dans beaucoup d'arrêts (Dalloz, Répertoire, au mot Absence, nos 504 et suiv.).

Ce principe nous servira à décider une question qui jadis était vivement controversée. Les enfants de l'absent sont-ils admis à représenter leur père absent dans les successions dont celui-ci est exclu, parce que son existence n'est pas reconnue? Non, dit Proudhon, car on ne représente que ceux qui sont prédécédés. Les enfants devraient donc prouver que leur père était décédé lors de l'ouverture de l'hérédité; or, cette preuve, ils ne peuvent pas la faire, puisque la vie et la mort de leur père sont également douteuses. Nous n'entrerons pas dans le détail de la controverse; on peut la voir dans Merlin et dans Dalloz. L'opinion de Proudhon ne trouve plus de partisans. Si l'on se place au point de vue exclusif des principes qui régissent la représentation, le raisonnement de Proudhon est irréfutable. Mais nous sommes en matière d'absence; c'est à raison de l'absence du père qu'on le repousse de la succession à laquelle il aurait droit, s'il était en vie lorsqu'elle s'est ouverte; on le considère donc comme n'existant plus, comme étant mort. Dès lors, on doit admettre ses enfants à le représenter. C'est en ce sens qu'il faut entendre ces mots de l'article 136: ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut. La raison est d'accord avec les principes de droit. Dans la doctrine de Proudhon, on commence par écartér le père de la succession; pourquoi? Parce qu'à défaut de la preuve de sa vie, on le considère comme mort. Puis on écarte ses enfants; pourquoi? Parce qu'à défaut de la preuve de sa mort, on le considère comme vivant. Voilà donc l'absent tout ensemble mort et vivant (1). La jurisprudence s'est prononcée pour les enfants (2).

256. Quand l'absent est exclu de l'exercice d'un droit, c'est parce que l'on ne peut pas prouver sa vie. Mais il est possible qu'il vive, et s'il reparaît, il va sans dire qu'il aura une action contre ceux qui ont recueilli le droit à son défaut; l'article 137 le dit expressément. De ce que ceux qui ont recueilli les biens à défaut de l'absent, les doivent

(1) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 347 et suiv. Merìin, Répertoire, au mot Absent, article 136, no 6 (t. Ier, p. 91).

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Absence, nos 509 et 510.

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