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restituer si l'absent reparaît, faut-il conclure qu'ils sont tenus à des mesures conservatoires en vue de cette éventualité? Le silence de la loi décide la question. Elle ne prescrit aucune garantie, ni inventaire, ni caution, ni vente des meubles, ni emploi des deniers. Or, l'interprète ne peut pas créer d'obligations, le législateur seul a ce pouvoir. Il y a des cours qui ont soumis les cohéritiers de l'absent à faire inventaire; certes, la mesure serait utile, nécessaire même pour sauvegarder les droits éventuels de l'absent. Néanmoins, les auteurs ont raison de rejeter cette jurisprudence. Merlin en fait une critique très-fine. « Les juges, dit-il, ont été plus sages que la loi (1). » Mais il n'est pas permis à l'interprète d'être plus sage que le législateur; ce serait lui donner le droit de corriger la loi, c'est-à-dire de la faire; il doit la prendre telle qu'elle est.

On se demande pourquoi le législateur, qui montre tant de sollicitude pour l'absent, a négligé ses intérêts quand il s'agit des droits éventuels qui peuvent lui compéter après sa disparition. On répond que la loi veille à ce que les biens de l'absent soient conservés et administrés ; mais quand une succession s'ouvre, les biens qui formeraient la part de l'absent, s'il vivait, ne lui appartiennent pas; ils sont la propriété de ses cohéritiers; ceux-ci étant propriétaires peuvent administrer, disposer à leur guise; la loi ne pouvait les soumettre à des restrictions incompatibles avec le droit de domaine qu'elle leur reconnaît. A cela on répond, et la réponse est péremptoire, qu'il est très-vrai que les cohéritiers de l'absent sont propriétaires, mais il est vrai aussi que leur propriété sera révoquée si l'absent reparaît. Celui-ci a donc un droit éventuel aux biens recueillis par ses cohéritiers; ce droit devrait être garanti et il ne l'est pas. Les successeurs irréguliers sont aussi propriétaires, appelés par la loi à succéder; toutefois la loi les oblige à faire inventaire, à donner caution, à vendre le mobilier, à faire emploi des deniers (art. 769, 771). Pourquoi? Pour sauvegarder les droits des héritiers légitimes qui peuvent se présenter, quoiqu'il soit peu probable

(1) Merlin, Répertoire, au mot Absent, article 136, no 4 (t. Ier, p. 83).

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qu'il s'en présente, l'envoi en possession des successeurs irréguliers n'ayant lieu qu'après des publications et affiches (art. 770); tandis que l'absent est écarté sans qu'il y ait eu de publication et sans garantie aucune. On chercherait vainement une raison de cette différence (1).

257. Il y a donc une grande différence entre les envoyés en possession provisoire et ceux qui recueillent des droits à défaut de l'absent; les premiers ne sont que dépositaires et administrateurs, les autres sont propriétaires. De là suit que les cohéritiers de l'absent peuvent disposer des biens qu'ils recueillent à son défaut; ils peuvent les hypothéquer; ils peuvent administrer et jouir, non avec le pouvoir limité d'un administrateur, mais avec le pouvoir illimité du propriétaire. Il a été jugé, par application de ce principe, que les créanciers des héritiers présents peuvent poursuivre la vente des biens qu'ils ont recueillis à défaut de l'absent. A vrai dire, il n'y a point de portion de l'absent, puisqu'il est considéré comme n'existant point; les biens qu'il aurait recueillis, s'il avait vécu, entrent dans le domaine des héritiers présents, non pas comme part de l'absent, mais comme leur part; ils se confondent donc entièrement avec leur patrimoine. On a prétendu que les créanciers, saisissant des biens qui appartiendraient à l'absent, s'il vivait, doivent prouver sa mort. La cour de Rouen a décidé, avec raison, que les créanciers ne sont pas tenus à faire cette preuve; car ils ne saisissent pas les biens de l'absent, ils saisissent les biens de l'héritier, leur débiteur (2).

258. L'article 137 réserve à l'absent ou à ses représentants les actions en pétition d'hérédité et d'autres droits. Cette dernière expression se rapporte à l'article 135, qui pose le principe général applicable à tout droit éventuel. Quand l'absent a été écarté d'une succession légitime, testamentaire ou contractuelle, il a l'action en pétition d'hérédité contre ceux qui ont recueilli et qui possèdent sa part héréditaire. Si ce sont d'autres droits qu'il n'a pas

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. II, p. 238 et suiv., no 213. (2) Arrêt du 30 mai 1818 (Dalloz, Répertoire, au mot Absence, no 508).

pu exercer, parce que son existence n'était pas reconnue, il pourra, s'il reparaît, exercer les actions qui sont attachées aux droits qu'il réclame. Est-ce une rente viagère, dont le payement a été suspendu pendant son absence, il aura une action personnelle contre le débirentier ou ses représentants (1).

L'article 137 ajoute que les droits de l'absent ne s'éteindront que par le laps de temps établi pour la prescription. Pourquoi la loi n'a-t-elle pas fixé le délai de la prescription? C'est qu'il peut différer d'après les divers droits et d'après les diverses actions qui appartiennent à l'absent. Est-ce une pétition d'hérédité? La prescription est de trente ans. Sont-ce des arrérages d'une rente viagère? La prescription est de cinq ans (art. 2277). L'absent peut aussi agir en revendication; pour mieux dire, il doit intenter cette action contre ceux qui possèdent les biens qu'il ré clame, non comme héritiers, mais à un autre titre, tel que vente, donation ou échange. Il y a une grande différence entre l'action en revendication et l'action en pétition d'hérédité, en ce qui concerne la prescription. La première dure aussi trente ans, mais le possesseur peut opposer l'usucapion au propriétaire qui revendique; dans ce cas, le droit de l'absent s'éteindra par dix ou vingt ans, si le possesseur réunit toutes les conditions requises pour

usucaper.

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259. Le code Napoléon ne parle pas de l'action en pétition d'hérédité. De là de nombreuses difficultés, que nous examinerons au titre des Successions. Pour le moment, nous nous bornerons à mentionner l'article 138, qui porte : « Tant que l'absent ne se représentera pas ou que les actions ne seront point exercées de son chef, ceux qui . auront recueilli la succession gagneront les fruits perçus de bonne foi. C'est l'application du principe que le possesseur de bonne foi gagne les fruits (art. 549). En droit romain, on n'appliquait ce principe à l'héritier apparent qu'avec des modifications qui ne furent pas admises par la jurisprudence française. Le code consacre donc un principe

(1) Demolombe, Cours de code Navoléon. t. II, p. 243, no 214.

traditionnel. Il en résulte une grande différence entre les envoyés en possession provisoire et les cohéritiers présents qui possèdent la part de l'absent. Ceux-ci gagnent tous les fruits comme possesseurs de bonne foi; tandis que les envoyés en possession ne gagnent qu'une partie des fruits, en proportion de la durée de l'absence. Nous avons déjà indiqué la raison de la différence. Les envoyés en possession ne sont que des administrateurs; ce qui exclut l'idée d'une possession de bonne foi, car le possesseur de bonne foi possède comme propriétaire. Les cohéritiers de l'absent possèdent à titre de propriétaire, puisque la loi les appelle à la succession à défaut de l'absent, et la succession est un titre translatif de propriété. Ils sont de bonne foi, tant qu'ils ignorent l'existence de l'absent; du moment qu'ils apprennent que l'absent vit encore, ils ne peuvent plus se considérer comme propriétaires; ils sont donc de mauvaise foi dans le sens légal du mot et, par suite, ils doivent restituer les fruits qu'ils perçoivent à partir de ce moment (1).

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Absence, no 618, 622, 624.

TITRE V.

DU MARIAGE (1).

CHAPITRE PREMIER.

DE LA NATURE DU MARIAGE.

260. Le code ne définit pas le mariage. Portalis donne la définition suivante, dans l'Exposé des motifs : « C'est la société de l'homme et de la femme qui s'unissent pour perpétuer leur espèce, pour s'aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée. L'orateur du gouvernement ne dit pas que le mariage est un contrat, mais si le mot n'est pas dans sa définition, la chose y est; en qualifiant le mariage de société, il le considère par cela même comme un contrat. C'est la doctrine traditionnelle; Pothier s'en fait l'organe et s'exprime énergiquement, en nommant l'union de l'homme et de la femme contrat de mariage. Si le code ne se sert pas de cette expression, c'est parce qu'elle désigne d'ordinaire les conventions matrimoniales concernant les biens. Toujours est-il que, dans l'esprit de notre législation,

(1) Vazeille, Traité du mariage, 2 vol. (Paris, 1825).

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