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le mariage est un contrat, en ce sens qu'il se forme par concours de consentement. Rien de plus expressif que l'article 146: « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. »

La définition de Portalis a été critiquée et à juste titre. Elle présente la vie comme un poids, comme un fardeau, dit M. Mourlon, en sorte qu'il semble que l'homme n'a été créé que pour son malheur. C'est le germe d'un système philosophique aussi faux qu'il est dangereux. C'est, dans tous les cas, une injustice envers Dieu, dont les bontés envers l'homme sont infinies. Oui, l'idée est fausse, car si l'on croit en Dieu, on doit croire aussi qu'il a créé l'homme pour son bonheur; si la vie est un bienfait, elle ne peut pas être une charge. Il y a sans doute des malheureux à qui elle pèse; et qui de nous ne s'est surpris à gémir et à lamenter? Nous avons raison de nous plaindre, mais c'est de nous, et non de Dieu. Descendons dans les profondeurs de notre conscience, interrogeons-la et elle nous répondra que si nous souffrons, c'est que nous méritons de souffrir; elle nous dira que la souffrance elle-même est un bien, puisqu'elle est la condition de notre développement moral. Mais dire que la vie, telle que Dieu nous la donne, est un poids, c'est être injuste et ingrat. C'est une doctrine funeste; en effet, elle nous dégoûte de la vie réelle, et cet ennui nous pousse à chercher le bonheur dans une perfection imaginaire, dans une existence toute spirituelle. De là le spiritualisme désordonné qui condamne le mariage, ou qui du moins le ravale. De là l'exaltation de la virginité, du célibat, et les excès inévitables qui accompagnent le célibat forcé. Nous pourrions poursuivre plus loin les conséquences funestes qui découlent de cette fausse appréciation de la vie, et montrer-que les prétentions ambitieuses de l'Eglise, que la domination sacerdotale, si odieuse à l'humanité moderne, se rattachent aux excès du spiritualisme chrétien (1). Mais cette digression nous écarterait trop de notre sujet. Nous revenons à la nature du mariage.

(1) Voyez mon Etude sur l'Eglise et l'Etat, 2o édition (Paris, Lacroix et C, 1865).

261. Le mariage est-il un contrat de droit civil, ou est-ce un sacrement appartenant au domaine de la religion et de l'Eglise? Dans le projet de code, il y avait une disposition qui répondait à notre question; elle portait :

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La loi ne considère le mariage que sous ses rapports civils. » C'était la reproduction de la constitution de 1791, titre II, article 7: La loi ne considère le mariage que comme contrat civil. » Pourquoi cette disposition fut-elle retranchée? Elle fut supprimée, sur la proposition de Cambacérès; il dit qu'il est évident que le code civil ne considère le mariage que sous ses rapports civils. Réal, rapporteur de la section de législation, expliqua les motifs pour lesquels elle s'était décidée à reproduire cette déclaration solennelle : c'est qu'elle consacrait un des principes fondamentaux de la société française, telle qu'elle était sortie de la révolution, la liberté religieuse, la sécularisation de l'ordre civil. Comme le dit la cour de Paris dans ses observations sur le projet de code, le pacte social n'exclut pas de culte et n'en reconnaît aucun (1). C'est une conquête de 89. Si en 1802 il parut inutile de la proclamer de nouveau, c'est que dix ans de révolution l'avaient fait entrer dans les mœurs : la société civile et l'Etat, son organe, restaient seuls debout. Quant à ce que l'on avait appelé jadis puissance ecclésiastique, on ne la connaissait que par les souvenirs et l'on croyait qu'elle était ruinée pour toujours. Mais cette puissance avait de profondes racines dans les âmes, elle tenait aux croyances religieuses; en l'an x, on pouvait croire que le catholicisme, et surtout le catholicisme romain était mort. Il est ressuscité, et ses prétentions sont plus hautaines que jamais. Voilà pourquoi nous devons insister sur un principe que les législateurs de l'an x trouvèrent inutile de formuler dans le code civil. 262. Portalis dit dans l'Exposé des motifs du titre V : < Tous les peuples ont fait intervenir le ciel dans un contrat qui a une si grande influence sur le sort des époux, et qui, liant l'avenir au présent, semble faire dépendre leur bonheur d'une suite d'événements incertains, dont le résultat

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(1) Séance du 26 frimaire an 1x, no 4 (Locré, t. II, p. 312).

se présente comme le fruit d'une bénédiction particulière. C'est dans de telles occurrences que nos espérances et nos craintes ont toujours appelé les secours de la religion, établie entre le ciel et la terre pour combler l'espace immense qui les sépare. » Portalis constate un fait que personne ne saurait contester; ceux-là mêmes dont les croyances ne sont plus celles de l'orateur catholique, et qui n'attachent aucune importance à la bénédiction de l'Eglise, sont convaincus, s'ils ont conservé le sentiment religieux, que les mariages, pour nous servir d'une expression populaire, se font au ciel. Quoi de plus naturel donc que de prendre, en face de Dieu, les engagements que Dieu même nous dicte et nous inspire?

Mais faut-il conclure de là que le mariage est un acte purement religieux? Portalis répond que ce contrat a précédé l'institution de tous les sacrements et l'établissement de toutes les religions positives, puisqu'il date d'aussi loin que l'homme. Le mariage a donc son premier principe dans la nature. Et la religion, dit l'orateur du gouvernement, se glorifie elle-même d'avoir été donnée aux hommes, non pour changer l'ordre de la nature, mais pour l'ennoblir et le sanctifier (1).

263. Les paroles de Portalis impliquent une réserve contre les prétentions de l'Eglise. Comme elle a fait du mariage un sacrement, et qu'elle préside aux solennités religieuses qui l'accompagnent, elle a voulu aussi le régler par ses lois. De là un conflit avec l'Etat. Sous l'ancien régime, le conflit n'avait pas de solution, parce que dans tous les pays catholiques il y avait une alliance plus ou moins intime entre la société civile et la société religieuse. Pothier va nous dire quels étaient les sentiments des jurisconsultes et des théologiens attachés aux maximes gallicanes (2).

Le mariage, dit-il, est tout à la fois un contrat civil et un sacrement. Comme contrat, il appartient à l'ordre politique; il est en conséquence sujet aux lois de la puis

(1) Exposé des motifs, nos 4 et 5 (Locré, t. II, p. 380).

(2 Traité du contrat de mariage, chapitre III, article ler, no 11-18.

sance séculière, que Dieu a établie pour régler tout ce qui appartient au gouvernement et au bon ordre de la société civile; et cela d'autant plus que le mariage est celui de tous les contrats qui intéresse le plus la société. Les princes ont donc le droit de faire des lois pour le mariage de leurs sujets, soit en l'interdisant à certaines personnes, soit en réglant les formalités qu'ils jugent à propos de faire observer pour le contracter valablement. Quel est, dans cet ordre d'idées, le rapport entre le contrat civil et le sacrement? Si les parties contractantes ont violé une disposition de la loi séculière prescrite sous peine de nullité, le mariage est nul et il n'y a pas non plus de sacrement, car il ne peut y avoir de sacrement sans la chose qui en fait la matière; or, le contrat civil est la matière du sacrement de mariage. C'est subordonner le mariage religieux au mariage civil.

Cette subordination était loin d'être acceptée par l'Eglise. De fait, c'était elle qui célébrait les mariages, et l'union n'était valable, même comme contrat civil, que si elle avait été contractée en présence et par le ministère du propre curé des futurs époux. N'était-ce pas placer le mariage sous la puissance de l'Eglise? n'était-ce pas avouer qu'il était essentiellement un acte religieux? et de là ne fallait-il pas conclure que l'Eglise seule avait le droit de régler les conditions requises pour le contracter? Telle était la prétention des docteurs ultramontains. Au XVIII° siècle, l'ultramontanisme n'était guère en faveur dans le royaume très-chrétien. Pothier, bien que sincère catholique, traite les raisons des ultramontains de ridicules et d'absurdes; il ne se doutait pas qu'un siècle plus tard, elles seraient reproduites avec plus de hauteur que jamais. Les jésuites disaient qu'à la vérité les princes païens avaient eu le pouvoir de faire des lois sur le mariage, mais que cela ne se concevait pas dans les royaumes catholiques, puisque Jésus-Christ avait élevé le contrat civil à la dignité de sacrement, pour être le type et l'image de son union avec l'Eglise. Pothier leur oppose la tradition, si puissante dans l'Eglise romaine. Des princes chrétiens ont réglé les conditions du mariage, établi des em

pêchements dirimants. L'Eglise a-t-elle protesté contre cette usurpation? Loin de là, elle a appliqué des lois qu'elle n'avait pas faites.

264. La doctrine gallicane sur le mariage était aussi reçue en Belgique et maintenue avec rigueur par nos princes. Dans les Pays-Bas autrichiens plus qu'en France, les prétentions ultramontaines trouvaient de l'appui au sein d'un clergé né ambitieux. Quand le gouvernement se relâchait, soit par faiblesse, soit par politique, les passions se faisaient jour avec une outrecuidance qu'expliquent seuls l'ignorance et l'aveuglement. A la fin du siècle dernier, un professeur enseignait à Louvain qu'à l'Eglise seule il appartenait de régler tout ce qui concerne le mariage; il soutenait hardiment que cela avait toujours été reconnu, excepté par l'impie vaurien qu'on nommait Joseph II (1). Cela se disait au début de la révolution française, alors que le gouvernement se croyait obligé de faire la cour au clergé. Aujourd'hui, il est devenu de mode de mettre sur le compte de Joseph II tout ce qui s'est fait, sous l'ancien régime, contre les prétentions de Rome. Il n'en est rien. Joseph II n'a fait que suivre les traces de sa mère, la pieuse Marie-Thérèse. En 1768, un official de Gand, nommé Jacques Clément, publia un Traité du pouvoir irréfragable et inébranlable de l'Eglise sur le mariage des catholiques. Marie-Thérèse s'étant fait rendre compte de ce livre, le condamna et le proscrivit, comme attentatoire aux droits et hauteurs de la souveraineté, contenant au surplus des assertions fausses, pernicieuses, téméraires et injurieuses aux souverains et aux tribunaux de justice (2). En même temps des ordres furent donnés au procureur général du conseil de Flandre pour poursuivre l'auteur et pour le faire destituer de ses fonctions de juge. Le chanoine se hâta de demander pardon; il rétracta tout ce qu'il avait dit, et s'estima heureux d'en être quitte en perdant sa place d'official.

(1)

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Impiissimo nebulone, quem Josephum secundum appellant. (L'Observateur politique, administratif, historique et littéraire de la Belgique, t. ler, p. 103.

(2) Ordonnance du 5 août 1768 (Placards du Brabant, t. Xl). Comparez l'Observateur, t. Ier, p. 102.

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