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265. Les ultramontains avaient raison en une chose dans leurs débats avec les gallicans, c'est que le gallicanisme était la plus inconséquente des doctrines. Tout en revendiquant pour l'Etat la puissance souveraine sur le mariage, il donnait aux curés le pouvoir exclusif de le célébrer, il permettait aux tribunaux ecclésiastiques d'en prononcer l'annulation. C'était mettre une arme dangereuse dans les mains du clergé. Il en abusa. Nous avons dit, ici même, quelle était la déplorable position des protestants dans le royaume très-chrétien: obligés à l'hypocrisie, forcés d'apostasier quand ils voulaient contracter un mariage valable: exposés, quand leur conscience reculait devant le mensonge, à voir leur union méconnue par l'inconstance des passions humaines, nulle en tout cas aux yeux de la loi. C'était profaner le sacrement tout ensemble et violer les droits de la nature humaine. Quel était le remède au mal? Il fallait séculariser le mariage; mais on ne le pouvait qu'en séparant la religion et l'Etat, qui étaient confondus sous l'ancien régime. Des magistrats instruits, dit Portalis, reconnaissaient que la séparation pouvait se faire; ils demandaient que l'état civil des hommes fût indépendant du culte qu'ils professaient. Ce changement rencontrait de grands obstacles. Disons mieux : il était impossible sous un régime qui repoussait la liberté religieuse comme une révolte contre Dieu. Il fallut une révolution pour apprendre aux hommes qu'il faut souffrir tout ce que la Providence souffre, et que la loi, qui ne peut forcer les opinions religieuses des citoyens, ne doit voir que des Français, comme la nature ne voit que des hommes (1). »

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De là le principe de la sécularisation du mariage, proclamé par l'Assemblée constituante. L'Assemblée législative l'organisa en instituant des officiers civils pour célébrer l'union de tous les citoyens, sans distinction de culte (2). Rien de plus légitime; il faudrait dire que c'est la loi de la nature. Les citoyens appartiennent à la patrie,

(1) Paroles de Portalis, Exposé des motifs, no 6 (Locré, t. II, p. 380. (2) Loi du 20 septembre 1792. Comparez mon Etude sur l'Eglise et l'Etat depuis la Révolution, p. 83 et suiv.

indépendamment de toute religion; c'est donc à la loi civile à constater leur état. Tous les cultes étant placés sur la même ligne, il serait contraire à l'égalité religieuse de laisser aux ministres de l'Eglise catholique le pouvoir de célébrer le mariage de ceux qui sont étrangers ou hostiles à leur religion. Mais c'était enlever à l'Eglise un moyen d'influence dont elle avait abusé. De là une vive opposition contre le principe qui, en sécularisant le mariage, semblait séculariser un sacrement. Au moment où le code civil fut discuté et publié, l'Eglise était trop faible pour réclamer contre la sécularisation; elle venait seulement d'être rétablie, et elle n'osait pas s'élever contre le premier consul, qui avait restauré les autels. La loi du 18 germinal an x, qui contient les articles organiques du concordat, donna une nouvelle consécration au principe proclamé par la Révolution. Aux termes de l'article 54, les curés ne donneront la bénédiction nuptiale qu'à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l'officier civil. » Il fallait une sanction à cette défense; elle se trouve dans le code pénal de 1810. Le ministre du culte qui procède aux cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il lui ait été justifié d'un acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil, est puni d'une amende; en cas de récidive, d'un emprisonnement de deux à cinq ans, et en cas d'une nouvelle contravention, de la déportation.

266. Le pape Pie VII laissa publier le code civil et le code pénal sans protester. Mais en 1808, il adressa au clergé de Pologne une instruction qui témoigne que l'ambition de Rome est immortelle, ainsi que son aveuglement. Reconnaître dans les mariages catholiques, dit le pape, des contrats civils, c'est accorder au prince une puissance sur les sacrements, c'est dire qu'il peut mettre la main à l'encensoir et faire prévaloir ses lois sur celles de l'Eglise. Pie VII veut que l'évêque de Varsovie déclare à son prince que les dispositions du code Napoléon sur le mariage ne pouvaient s'appliquer aux mariages catholiques dans un pays catholique; que cette application serait un attentat inouï et une révolte manifeste contre les lois de

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l'Eglise, une nouveauté induisant à l'erreur et au schisme. » Il n'y a point de mariage, continue le pape, s'il n'est contracté dans les formes que l'Eglise a établies pour le rendre valide; on doit tenir pour nul, de toute nullité, un mariage contracté malgré un empêchement canonique, quand même il aurait été abusivement abrogé par le prince (1)?

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267. On conçoit quel trouble de pareils enseignements émanés du saint-siége doivent porter dans l'âme des croyants. A qui doivent-ils obéir? à la loi ou à l'Eglise? Telle est l'ignorance qui règne dans les bas-fonds des sociétés catholiques, que l'on y sait à peine ce que c'est qu'une loi; on n'y connaît qu'une seule autorité, celle du curé. Il en était ainsi en Belgique, lors de la chute de Napoléon; les habitants des campagnes ne faisaient plus inscrire les actes de naissance, de mariage et de décès sur les registres de l'état civil; ils croyaient que le bon vieux temps était revenu avec les alliés, et que les curés étaient de nouveau les maîtres. Des maires mêmes refusèrent de recevoir les déclarations des parties intéressées! C'est ce que nous apprend un arrêté du 4 octobre 1814. Le prince souverain des Pays-Bas y faisait des concessions au clergé pour se le rendre favorable; l'article 2 portait : « A dater de la publication du présent arrêté, tout individu catholique qui voudra contracter mariage sera tenu de se pourvoir d'une déclaration du curé de laquelle il conste qu'il n'existe aucun empêchement canonique à l'union des futurs époux. »Cet arrêté fut pris, à la demande du clergé, en faveur de la religion catholique (2). Faire la cour à l'Eglise est une mauvaise politique; c'est un acte de faiblesse, et c'est la faiblesse du pouvoir civil qui fait la force de la puissance ecclésiastique. A peine l'arrêté fut-il publié, que l'on vit des curés refuser la déclaration prescrite par l'article 2, sans qu'il y eût un empêchement canonique, par la seule raison qu'ils ne voulaient pas reconnaître le mariage comme contrat civil. Il y en eut qui

(1) Essai historique sur la puissance temporelle des papes (par Daunou), t. II, p. 324 et suiv.

(2) C'est l'intendant du département de la Dyle qui le dit. (L'Observateur du 23 février 1815, t. Ier, p. 97).

prêchèrent que le mariage civil était une invention du démon. Ces incroyables préjugés n'étaient pas le partage exclusif du clergé ignorant des campagnes; il y eut une instruction émanée de l'évêché de Tournai qui défendit de délivrer les certificats dirigés par l'arrêté de 1814. C'était prohiber tout mariage civil (1).

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Dès le 7 mars 1815, le prince souverain des Pays-Bas fut obligé de rapporter l'arrêté de 1814. Le nouvel arrêté maintenait le principe proclamé par l'Assemblée constituante: « Le mariage, comme contrat civil, n'est soumis qu'à la puissance séculière; l'autorité ecclésiastique n'a aucun droit d'en empêcher l'exercice. Malgré l'expérience qu'il venait de faire de l'incurable ambition du clergé, le prince crut devoir faire une autre concession à l'Eglise. Sous le prétexte que l'autorité civile ne devait pas se mêler des sacrements, il abrogea l'article 54 de la loi de germinal an x, ainsi que les articles 199 et 200 du code pénal. Qu'en résulta-t-il? C'est que, dans les campagnes, les futurs époux, bien persuadés que le mariage civil était une invention du diable, ne faisaient plus célébrer leur union que par le curé: ces prétendus mariages n'étaient, en réalité, qu'un concubinage, et les enfants qui en naissaient étaient des bâtards. Voilà à quoi aboutissent les prétentions du clergé et la faiblesse des princes!

268. On dit que l'expérience rend les hommes sages. Hélas! ils ne profitent pas même de l'expérience. Le 10 octobre 1830, le gouvernement provisoire qui s'établit après la révolution de Septembre, prit un arrêté dont l'article 3 portait : « Les lois générales et particulières entravant le libre exercice d'un culte quelconque, et assujettissant ceux qui l'exercent à des formalités qui froissent les consciences et gênent la manifestation de la foi professée, sont abrogées. » C'était abolir les dispositions de la loi de germinal et du code pénal qui défendaient aux curés de célébrer le mariage religieux avant le mariage civil. Les évêques l'entendirent ainsi. On lit dans un mandement

(1) L'Observateur du 5 février 1815, t. Ier, p. 19. Discussions du Congrès sur la constitution belge, t. Ier, p. 610, 611 (discours de Claus).

épiscopal, que les curés devaient demander à l'évêque l'autorisation de procéder au mariage religieux avant la célébration du mariage civil, s'il y avait pour cela des raisons suffisantes (1). Quand le Congrès discuta le projet de constitution, on se demanda s'il fallait maintenir l'indépendance du mariage religieux. Les auteurs du projet établissaient le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ce principe fut vivement soutenu par les catholiques et la fraction des libéraux connus sous le nom d'unionistes, parce qu'ils s'étaient unis aux catholiques pour ruiner le royaume des Pays-Bas. La constitution ne consacre pas la séparation en termes formels; elle se borne à dire que l'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de publier leurs actes. Ce sont des conséquences qui dérivent de la séparation; on peut donc dire que la constitution en admet le principe. Fallait-il, par application du principe, déclarer le mariage religieux indépendant du mariage civil?

Les catholiques se prononcèrent d'abord pour l'indépendance. M. de Gerlache dit qu'il fallait maintenir le principe de la liberté. Il demanda où étaient les abus? Dans un autre débat, il demanda où étaient les jésuites. Il est évident que les jésuites de même que les abus de la puissance ecclésiastique n'existent que dans l'imagination des libéraux. M. Raikem n'avait pas cette foi, il ne niait pas les abus; mais de quoi, disait-il, n'abuse-t-on pas (2)? Les unionistes étaient encore plus naïfs. Il faut accepter le principe avec toutes ses conséquences, dit M. Nothomb (3). Il en oubliait une s'il y a séparation complète entre l'Etat et l'Eglise, à quel titre les ministres du culte, que le jeune orateur qualifiait d'individus, reçoivent-ils un traitement de l'Etat? On redoute les abus, dit un républicain; ne sait-on pas qu'il doit y avoir des abus (4)? Des abus, s'écria un

(1) Tielemans, Répertoire du droit administratif, t. Ier, p. 172, au mot Actes de l'état civil.

(2) Discussions du Congrès, t. Ier, p. 590, 598 et suiv.
(3) Discussions du Congrès, t. Ier,
p. 596.

(4) De Robaulx (Discussims du Congrès, t. Ier, p. 589).

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