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unioniste incorrigible, il n'y en a pas; le clergé ne songe plus à dominer ni à attaquer les lois de l'Etat (1).

Il n'y avait pas quinze ans que les curés avaient prêché que le mariage civil était une invention diabolique, et sous les yeux du Congrès, où l'on niait les abus, les fidèles négligeaient de célébrer leur union devant l'officier civil: sous l'inspiration de qui? En présence du Congrès, le clergé bénissait des mariages auxquels les parents avaient refusé de consentir (2). Il y a plus: le principe même que les catholiques et leurs alliés les unionistes invoquaient était un abus. Non, disait M. Defacqz, le mariage religieux ne doit pas être indépendant du mariage civil: « Il faut que tous les cultes soient libres, mais il faut aussi que la loi civile conserve sa force; il faut que la puissance temporelle prime et absorbe en quelque sorte la puissance spirituelle, parce que la loi civile étant faite dans l'intérêt de tous, elle doit l'emporter sur ce qui n'est que l'intérêt de quelques-uns. Voilà la vraie maxime sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat, car elle est fondée sur la conservation de la société, et il n'y a pas de plus grand intérêt, pour mieux dire, il n'y a pas de plus grand devoir. Que résulterait-il de l'indépendance absolue du mariage religieux? Des mariages apparents qui ne seraient qu'un concubinage aux yeux de la loi. C'est l'expression de M. Nothomb (3). Donc la femme sans garantie, les enfants sans état, le trouble dans les familles. Ainsi l'indépendance du mariage religieux est subversive de l'ordre social. C'est dire que le principe même est faux, et que la loi civile doit dominer sur la diversité des cultes (4).

Dans le cours de la discussion, on cita un fait scandaleux qui fit une profonde impression sur les esprits. Un procès s'était engagé entre une fille et sa mère; la fille était mariée et demandait la réduction des libéralités faites à sa mère en vertu de l'article 1094 du code Napoléon.

(1) Jottrand (Discussions du Congrès, t. Ier, p. 591 et suiv.).

(2) Discours de Forgeur, dans les Discussions du Congrès, t. Ier, p. 594 et suiv.

(3) Discussions du Congrès, t. Ier, p. 597.

(4) Discours de Defacqz, dans les Discussions du Congrès, t. Ier, p. 187 et suiv.

Que répondit la mère? « Celui que vous considérez comme votre père ne fut jamais mon mari. Un prêtre seul a béni notre union, vous n'avez aucun droit à la succession de celui qui vous donna le jour, son nom même vous est interdit (1)». Le vote fut ajourné et à la reprise de la discussion, le parti catholique renonça à son opposition : le congrès adopta l'amendement présenté par M. Forgeur, en ces termes : « Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi. » Aucune exception n'a été faite jusqu'ici; le principe proclamé par l'Assemblée constituante et par la loi organique du concordat reste donc debout; il est sanctionné par l'article 267 du code pénal belge. C'est un principe de la plus haute importance. Il est certain que si l'on avait appliqué la liberté religieuse et surtout la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans toutes ses conséquences, on aurait dû déclarer le mariage religieux indépendant du mariage civil. Mais il se trouva que dans l'application du principe on aboutissait à l'anarchie, à la dissolution de l'ordre social. Le besoin de conservation est la première de toutes les nécessités, le plus impérieux de tous les devoirs; il doit l'emporter sur les exigences des cultes. C'est dire que l'ordre civil domine sur l'ordre religieux.

La cour de cassation de Belgique a fait l'application du principe constitutionnel à un cas remarquable. Un curé célébra le mariage de deux étrangers; ceux-ci invoquaient leur statut personnel qui déclarait valable l'union contractée devant le prêtre, indépendamment de tout mariage civil. La cour suprême décida que le ministre du culte n'avait pas pu procéder à la célébration du mariage religieux (2). On ne peut pas se prévaloir du statut personnel contre une loi qui concerne essentiellement l'ordre social. On ne peut pas davantage commettre un délit au nom de la liberté religieuse.

(1) Discours de Claus, dans les Discussions du Congrès, t. Ier, p. 610. (2) Arrêt de la cour de cassation du 19 janvier 1852 (Pasicrisie, 1852, 1, 85). La cour de Paris a décidé que le mariage célébré entre une Française et un étranger devant le ministre protestant est nul (arrêt du 18 décembre 1837, dans Ďalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 590, 1o).

CHAPITRE II.

DES CONDITIONS REQUISES POUR L'EXISTENCE DU MARIAGE.

§ Ier. De la distinction entre les mariages inexistants et les mariages nuls.

269. Le chapitre Ier du titre V est intitulé: Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage. Ces conditions sont l'âge, le consentement des contractants, le consentement des ascendants ou de la famille, l'absence d'empêchements, la célébration publique du mariage par l'officier de l'état civil compétent. Faut-il distinguer parmi ces conditions celles qui sont prescrites pour l'existence du mariage et celles qui ne le sont que pour sa validité? Nous avons dit, en traitant de l'autorité de la loi, que la doctrine établit une distinction entre les actes nuls, c'est-à-dire annulables, et ceux qui n'ont pas d'existence aux yeux de la loi; nous appellerons ces derniers inexistants, bien que le mot ne soit pas admis par l'Académie, mais il exprime énergiquement la pensée des auteurs.

Les actes nuls, tout en étant viciés, existent néanmoins, et ils produisent tous les effets juridiques qui y sont attachés, tant qu'ils n'ont pas été annulés. Il faut donc intenter une action en nullité pour qu'ils cessent de produire des effets juridiques; c'est seulement à partir du jugement qui prononce leur annulation qu'ils n'existent plus. Si aucune action en nullité n'est intentée, les actes, quoique nuls, produiront les mêmes effets que s'ils n'étaient pas viciés. Il n'en est pas ainsi des actes inexistants. Le mot même dit qu'ils ne peuvent produire aucun effet, le néant ne pouvant avoir aucune force, aucune puissance. Comme ces actes n'ont pas d'existence légale, il n'est pas nécessaire de les attaquer; il faut dire plus : logiquement, on ne conçoit pas que l'on demande l'annulation d'un acte inexistant; peut-on demander l'anéantissement du néant? Peu importe donc que l'on n'agisse pas en justice pour faire tomber ces actes qui n'ont qu'une existence apparente i est toujours

vrai de dire qu'ils n'existent pas; et à quelque époque que l'on s'en prévale contre nous, nous pouvons toujours les repousser en disant qu'on nous oppose le néant. Il en est tout autrement des actes nuls. Puisqu'ils doivent être annulés par le juge pour perdre leurs effets, il est nécessaire d'intenter l'action en nullité dans le délai prescrit par la loi; passé ce délai, l'action en nullité est prescrite, et l'acte nul devient pleinement valable. Tandis que l'acte inexistant ne peut jamais être validé, car le néant reste toujours néant.

Il suit de là que les actes nuls peuvent être confirmés. Le vice qui les infecte est effacé par la confirmation de celui qui avait le droit de demander la nullité. Ce droit n'étant établi qu'en sa faveur, il est libre d'y renoncer, et s'il y renonce, il n'y a plus de raison pour que l'acte soit nul, il est aussi valable que si jamais il n'avait été vicié. En est-il de même des actes inexistants? Non, il n'y a pas là de vice qui puisse disparaître par une renonciation. Nous venons de dire qu'il ne naît pas d'action en nullité d'un acte inexistant; comment donc y renoncerait-on ? Confirmez le néant tant que vous voudrez, il restera toujours le néant.

270. La distinction des actes nuls et des actes inexistants conduit à distinguer les conditions requises pour l'existence des actes juridiques de celles qui sont requises pour leur validité. Il y a des conditions sans lesquelles un acte juridique ne saurait exister; si l'une de ces conditions manque, l'acte est inexistant. Il y a d'autres conditions requises pour la validité des actes; si elles font défaut, l'acte est nul, mais il existe par cela même, parce qu'on suppose qu'il ne lui manque aucun élément requis pour son existence. La distinction se conçoit très-bien en théorie; voyons si elle reçoit son application au mariage. Zachariæ qui, le premier, l'a enseignée scientifiquement, établit les conditions suivantes pour que le mariage existe la différence de sexe, le consentement, la solennité. Toutes les autres conditions ou qualités exigées pour pouvoir se marier ne sont prescrites que pour la validité du mariage. Si l'une des conditions requises pour l'exis

tence du mariage fait défaut, le mariage est inexistant; si c'est une condition requise pour la validité qui manque, le mariage est nul (1). Nous allons d'abord exposer la théorie de Zachariæ; nous verrons ensuite si cette théorie est celle du code.

§ II. Quelles sont les conditions requises pour l'existence du mariage.

271. Les parties contractantes doivent être de sexe différent. Si une femme se mariait avec une femme, ou un homme avec un homme, certes il n'y aurait pas de mariage. Le cas s'est présenté pour un hermaphrodite (2). Doit-on dire d'un pareil mariage qu'il est nul, c'est-à-dire annulable? Cela impliquerait que la nullité en doit être demandée, et que si elle ne l'était pas, le mariage existerait et produirait tous les effets d'une union légitime. Or, cette supposition est un non-sens. Quand même il n'y aurait jamais de demande en nullité, quand même trente ans se passeraient sans qu'il y eût ni action, ni jugement, le prétendu mariage de deux personnes du même sexe n'en serait pas moins un mariage inexistant. Cette union est donc plus que nulle, elle n'existe pas. Faut-il dire la même chose s'il y avait impuissance? En théorie, on le peut soutenir, et c'est l'avis de Zachariæ : un homme impuissant n'est pas un homme, puisque la condition essentielle de la virilité lui manque. Mais le code a-t-il consacré cette théorie? La question est très-douteuse, soit que l'on con sidère le mariage comme inexistant, soit qu'on le considère seulement comme nul. Nous l'examinerons plus loin.

272. Le consentement des contractants est une condition sans laquelle on ne conçoit pas de mariage. Il est de l'essence du mariage que les futurs époux aient respectivement consenti à se prendre pour mari et femme. Supposez que l'officier de l'état civil ait célébré le mariage, alors que l'un des futurs époux n'a point déclaré consentir,

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, § 450, p. 210.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Hermaphrodite. Gazette des Tribunaux du 19 avril 1834.

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