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le mariage serait plus que nul, il serait inexistant. Sans cousentement, il n'y a rien, il n'y a que le néant. Il en serait de même s'il y avait incapacité absolue de consentir. Un des comparants est frappé de folie au moment même où il déclare consentir, ou il est dans un état d'ivresse tel, qu'il est incapable de manifester sa volonté; il n'y aura pas de mariage, parce que sans manifestation de volonté il n'y a pas de consentement, et sans consentement il n'y a pas de mariage. Il en serait autrement si le consentement de l'un des époux était vicié par la violence ou l'erreur. Les vices du consentement, même le plus radical, l'erreur, ne donnent lieu, dans la théorie du code civil, qu'à une action en nullité; le mariage sera donc nul, mais il existera. Cette distinction est aussi fondée en raison, au moins pour la violence; le consentement existe, dès lors l'acte juridique existe aussi, mais le consentement étant vicié, l'acte est aussi vicié, c'est-à-dire nul. La question est plus douteuse pour l'erreur, notamment quand elle porte sur l'identité de la personne : le mariage est-il inexistant dans ce cas, ou est-il nul? Nous reviendrons sur ce point.

Que faut-il dire des sourds et muets? Le projet de code les déclarait incapables de contracter mariage, à moins qu'il ne fût constaté qu'ils étaient capables de manifester leur volonté. Cette disposition appliquait aux sourds et muets le principe du consentement, mais elle était mal formulée, car elle posait en principe l'incapacité, tandis que la capacité est la règle et l'incapacité l'exception. Le premier consul et Portalis en firent la remarque (1). C'était dire qu'il fallait laisser les sourds et muets sous l'empire du droit commun. Sont-ils en état de manifester leur volonté, ils pourront contracter mariage; ne peuvent-ils pas manifester leur volonté, le consentement devient impossible; si donc le mariage était célébré, il serait inexistant. Vainement dirait-on qu'ils ont peut-être consenti, que cela est même probable; on répondrait que le consentement

(1) Séance du conseil d'Etat du 26 fructidor an Ix (Locré, t. II, p. 311, 314, 315, no 1, 11 et 12).

n'est pas un fait qui se passe dans l'intimité de la conscience, que c'est un fait extérieur. Un consentement non manifesté n'est pas un consentement, et par suite il n'y a pas de mariage.

273. Le mariage est un acte solennel; il doit être célébré dans les formes prescrites par la loi. Est-ce à dire que toutes ces formes soient requises pour l'existence du mariage ou du moins pour sa validité? En théorie, comme d'après les dispositions du code, il faut distinguer. Il y a des formalités qui relativement sont de si peu d'importance, que leur inobservation ne peut entraîner la nullité du mariage; il existe donc et il est valable. Par contre, il y a des formes substantielles sans lesquelles on ne conçoit pas de mariage. Il ne suffit pas que les futurs époux consentent à se prendre pour mari et femme, il faut que ce consentement soit déclaré devant un officier public, représentant de la société; c'est lui qui prononce, au nom de la loi, que les parties contractantes sont unies par le mariage (art. 75). Donc sans officier public pas de mariage. Il ne suffit pas d'un officier public quelconque, il faut que ce soit l'officier de l'état civil; si un autre fonctionnaire célébrait le mariage, comme il n'aurait aucune qualité pour le faire, ce serait comme si un premier venu procédait à la célébration du mariage; en réalité, il n'y aurait pas d'officier civil et, par suite, pas de mariage. Il en serait autrement si le mariage avait été célébré par un officier de l'état civil, mais incompétent. On ne peut plus dire, en ce cas, qu'il n'y a point d'officier civil; donc le mariage existerait, mais il serait vicié à raison de l'incompétence de celui qui a célébré le mariage; ce serait un mariage nul.

La présence de l'officier public est, à notre avis, la seule solennité prescrite pour l'existence du mariage. Zachariæ exige de plus que l'expression du consentement des contractants soit consignée dans l'acte de célébration que l'officier de l'état civil doit dresser. Il est vrai que le code l'exige (art. 75). Mais si l'officier public négligeait de remplir cette formalité, en résulterait-il que le mariage serait inexistant2 D'après le droit commun qui régit les actes solennels, il faudrait répondre affirmativement. L'arti

cle 1339 déclare la donation inexistante, par cela seul que l'acte notarié est nul en la forme. Mais peut-on appliquer cette disposition, par analogie, au mariage? Nous ne le croyons pas. Le code prescrit des solennités dont l'inobservation n'est sanctionnée que par une amende; il y en a qui n'ont aucune sanction. On ne peut donc pas appliquer au mariage les principes généraux des contrats pécuniaires. A raison de l'importance de cet acte et des conséquences graves qui résultent de sa nullité ou de sa nonexistence, le législateur a dû établir des principes spéciaux. La question appartient donc au droit positif; or, on ne voit pas que la loi déclare le mariage non existant quand le consentement n'est pas exprimé; si réellement il a été donné, le mariage est valable, sauf à faire rectifier l'acte. Zachariæ avoue que les parties sont admises à prouver qu'elles ont exprimé leur consentement. Dès lors le défaut de mention n'est qu'un vice qui peut être réparé et, par suite, on ne peut pas dire que le mariage soit inexistant (1).

§ III. Le code a-t-il consacré la doctrine des actes inexistants?

274. La question est très-douteuse. Il y a d'abord un préjugé contre la théorie des actes inexistants, c'est que Pothier l'ignore, et l'on sait que Pothier est le guide constant des auteurs du code Napoléon. Il ne fait pas de distinction entre les actes non existants et les actes nuls. Dans son Traité des obligations, il dit très-bien qu'il n'y a pas de consentement s'il n'y a pas concours de volontés sur la nature et sur l'objet du contrat. En conclut-il que le contrat est inexistant, si l'une des parties a entendu faire une vente et l'autre un prét? si le vendeur a entendu vendre telle chose, tandis que l'acheteur a entendu acheter une autre chose? Non, il met les contrats dans lesquels il n'y a pas de consentement sur la même ligné que les con

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, § 451 bis, p. 216

et suiv.

trats où il y a erreur sur une qualité substantielle; dans tous les cas, le contrat est nul, c'est-à-dire simplement annulable. Dans son Traité du contrat de mariage, Pothier suit les mêmes principes. Il n'y est pas dit un mot d'un mariage qui serait inexistant. Le consentement est certes nécessaire, puisque le mariage est un contrat; s'il est vicié par l'erreur, la violence ou la séduction, il est détruit, dit Pothier; cela veut-il dire qu'il n'existe pas? Non, le mariage est simplement nul. Même décision quand il y a erreur sur la personne physique; il n'y a pas, à vrai dire, de consentement dans ce cas, on devrait donc dire qu'il n'y a pas de mariage. Est-ce l'opinion de Pothier? Non, car il enseigne que ce mariage peut être confirmé, donc il existe (1).

275. Ignorée dans l'ancien droit, la distinction des actes inexistants et des actes nuls a-t-elle été introduite par le code Napoléon? La plupart des auteurs ne la connaissent pas; Zachariæ est le premier qui l'ait formulée (2). Il avoue que les écrivains français confondent le mariage inexistant et le mariage simplement nul. Du moins, dit-il, leur théorie est tellement vague que l'on ne saurait reconnaître s'ils ont voulu admettre ou rejeter la distinction. Marcadé l'adopte, nous devrions dire qu'il la professe, sans nommer Zachariæ, à qui il l'a empruntée; ce qui ne l'empêche pas de malmener les auteurs qui ne l'admettent pas. Il est étrange, dit-il, et surtout il est triste de voir la plupart des auteurs confondre le mariage non existant avec le mariage annulable, et nous présenter comme théorie un mélange d'idées incohérentes, où il est impossible à l'esprit de rien saisir de logique (3). » Cette mercuriale s'adresse à Toullier, à Duranton, et même à Merlin; Pothier est également parmi les coupables. Soyons plus modestes et avouons que la question est douteuse. C'est ce que dit M. Demolombe, bien qu'il adopte la distinction. Ce n'est pas la rigueur des déductions qui distingue cet

(1) Pothier, Traité des obligations, nos 17 et 18; Traité du contrat de mariage, nos 307, 308 et 309.

(2) Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 169 et suiv. (3) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 459, no 3.

estimable écrivain. Il convient que la distinction est vraie, mais il se refuse à en adopter toutes les conséquences; quoiqu'elle ait été plusieurs fois reproduite au conseil d'Etat, il n'est pas sûr, dit-il, qu'elle s'y soit décidément fait reconnaître; et en tout cas on peut affirmer que le code civil, si tant est qu'il l'ait adoptée, ne l'a fait qu'avec tant d'hésitations et d'obscurités, que ses interprètes ne l'y ont pas aperçue (1).

Nous croyons que l'on peut baser la distinction des actes inexistants et des actes nuls sur des textes du code; et elle trouve aussi un appui dans les discussions. Cela suffit pour qu'on doive l'admettre, puisqu'elle est fondée sur les vrais principes. Et s'il en est ainsi, il faut aussi appliquer la doctrine dans toutes ses conséquences. Nous ne connaissons pas de demi-vérité en droit; notre science est une science logique. Si une théorie n'a de racines ni dans les textes, ni dans l'esprit de la loi, il faut la rejeter; si, au contraire, elle est juridique, si elle a pour elle la lettre de la loi et les travaux préparatoires, il faut l'accepter et ne reculer devant aucune conséquence. Consultons donc avant tout le code civil.

276. Le code ne dit rien de la première condition, la différence des sexes. Et cela se conçoit. C'eût été une niaiserie de la part du législateur que de proclamer solennellement qu'il faut un homme et une femme pour qu'il y ait mariage. C'est à peine si la doctrine peut s'arrêter sur une vérité qui est plus qu'un axiome. Toutefois l'on peut citer un texte par analogie. Le code Napoléon exige, comme condition essentielle des contrats pécuniaires, une cause, c'est-à-dire un motif juridique de contracter, et il décide que l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet (art. 1131). C'est dire énergiquement que s'il n'y a pas de cause, il n'y a pas d'obligation, que par suite le contrat est inexistant. Or, n'est-il pas évident que le motif juridique qui porte les futurs époux à contracter mariage, c'est l'union corporelle? Ce qui n'exclut pas l'union des âmes, mais cette union morale suppose elle-même des

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(1) Demolombe, Cours de code Nopoléon, t. III, p. 377, n° 239.

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