Page images
PDF
EPUB

SECTION II.

Du consentement des futurs époux.

§ Ier. De la capacité de consentir.

285. La capacité de consentir est-elle une condition requise pour l'existence ou pour la validité du mariage? Le mariage contracté par des incapables est-il inexistant ou nul? S'il y a incapacité absolue, c'est-à-dire impossibilité de consentir, alors il y a absence de consentement, et sans consentement il n'y a point de mariage (art. 146). Il y a des incapables dont l'incapacité est couverte par une assistance. Les mineurs sont, en principe, incapables de contracter, en ce sens qu'ils peuvent demander la nullité ou la rescision des actes juridiques qu'ils font. Pour le mariage, la loi déroge au droit commun; elle permet aux mineurs de se marier avec le consentement des ascendants ou de la famille; quand ils se marient sans ce consentement, leur mariage est nul. Le consentement des ascendants ou de la famille est donc une condition requise pour la validité du mariage.

Il y a d'autres incapables dont l'incapacité est relative à certains actes juridiques; tels sont les prodigues et les simples d'esprit. Le tribunal, en leur nommant un conseil judiciaire, détermine les actes qu'ils ne peuvent faire qu'avec l'assistance de ce conseil (art. 499 et 513). Il est de principe qu'ils restent capables de faire tous les actes qui ne leur sont pas défendus. Cela décide la question du mariage : les personnes placées sous conseil sont capables de se marier, par cela seul que la loi ne les déclare pas . incapables. C'est ce que l'orateur du gouvernement a reconnu dans l'exposé des motifs; la doctrine et la jurisprudence sont unanimes (1).

Il y a des incapables qui sont frappés d'une incapacité absolue, au moins pour les actes qui concernent leur patrimoine; tels sont les interdits. Mais les actes qu'ils font

(1) Voyez les témoignages dans Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, n° 212.

après le jugement d'interdiction ne sont pas inexistants, ils sont simplement nuls, c'est-à-dire annulables. Que faut-il dire du mariage? Les interdits peuvent-ils se marier dans un intervalle lucide, ou leur mariage est-il nul? S'il est nul, est-il régi par les principes généraux que la loi établit sur les effets de l'interdiction? Ou faut-il dire que le mariage est inexistant? La question est très-controversée et elle est très-douteuse.

286. Aux termes de l'article 502, tous actes passés par l'interdit postérieurement au jugement qui porte interdiction sont nuls de droit. Il résulte du jugement une présomption légale d'incapacité, présomption contre laquelle la preuve contraire n'est pas admise (art. 1352). En ce sens, les actes de l'interdit sont nuls de droit; dès que la nullité en est demandée, le juge la doit prononcer, sans que l'on soit reçu à prouver que ces actes ont été faits dans un intervalle lucide. Ces principes reçoivent-ils leur application au mariage? Nous ne le croyons pas.

L'interdiction est prononcée quand une personne se trouve dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur. Par elle-même, l'aliénation mentale n'est pas une incapacité absolue de consentir. L'article 489 suppose que l'aliéné a des intervalles lucides; si dans ces intervalles il jouit de la plénitude de son intelligence, rien ne l'empêche de consentir et par suite de contracter. Il peut par conséquent se marier, et son mariage sera parfaitement valable. Pothier le décide ainsi, et il ajoute que cela n'est pas douteux (1). La question est donc de savoir si l'interdiction a pour effet d'enlever à l'aliéné le droit qu'il avait de se marier pendant un intervalle lucide.

Au premier abord, on croirait que la question ne peut pas même être soulevée, puisqu'elle paraît tranchée par le texte de l'article 502 : Tous actes sont nuls de droit. » Peut-il y avoir un doute raisonnable, dit Duranton, en présence d'une loi aussi formelle? Lui-même a cependant des doutes, car il ajoute qu'en fait de mariage, les tribunaux prennent en très-grande considération les circon

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 92.

stances de la cause; il serait donc possible, dit-il, s'il existait des enfants du mariage attaqué, que la demande en nullité fût rejetée (1). Nous ne comprenons pas ces transactions avec les principes. Si l'article 502 est absolu, comme il paraît l'être, le tribunal doit prononcer la nullité du mariage; en effet le mariage, comme tout acte de l'interdit, sera nul de droit, ce qui implique que le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation, qu'il ne peut tenir compte d'aucune circonstance. Il faut donc prendre son parti, ou appliquer l'article 502 dans tous les cas possibles, ou l'écarter, comme ne recevant pas d'application au mariage. Nous croyons que c'est en ce dernier sens que la question doit être décidée.

Le texte de l'article 502 est absolu : tous actes. En effet, la loi est générale et, en un certain sens, absolue. Mais il faut voir quels sont ces actes qui sont déclarés nuls de droit. C'est demander quel est le but de l'interdiction. L'interdiction n'a qu'un seul objet, c'est d'empêcher que l'aliéné ne dissipe en actes de folie son patrimoine et celui de sa famille; c'est pour sauvegarder la fortune de l'aliéné, pour la conserver à lui et à ses héritiers que les parents sont admis à provoquer l'interdiction. Supposez que l'aliéné ne possède rien, l'interdiction n'a plus de raison d'être. L'aliénation est une maladie; l'aliéné doit être confié aux soins d'un médecin; qu'est-ce que l'interdiction a de commun avec le traitement d'un malade? Il suffit de le placer dans un hospice ou dans un établissement privé; il est inutile de l'interdire. Aussi, de fait, y a-t-il très-peu d'interdictions, bien que le nombre des aliénés soit considérable. Régulièrement donc l'aliéné ne sera pas interdit, et, en ce cas, il pourra se marier. Pourquoi ne le pourrait-il pas s'il est interdit? De ce qu'il a des biens pour la conservation desquels on prend des mesures, faut-il conclure qu'il est privé d'un droit qu'il tient de la nature, droit dont il jouirait s'il n'avait pas de biens? Cela serait très-illogique. Qu'importe après cela que la loi dise que tous actes sont nuls de droit? Oui, tous actes qui peuvent

(1) Duranton, Cours de droit français, t. II, nos 27, 29.

compromettre la fortune de l'interdit; non le mariage, qui n'est pas un contrat pécuniaire, qui est l'union des âmes.

Il y a une autre considération qui nous paraît décisive pour écarter l'article 502. Si on l'applique au mariage, il faut décider que le mariage contracté par l'interdit est nul de droit, comme le sont tous les actes passés par l'interdit. Il y aura donc lieu à une action en nullité. Qui l'intentera? dans quel délai? Nous avons un chapitre spécial sur les demandes en nullité de mariage. On y distingue les nullités en absolues et relatives; celles-ci ne peuvent être demandées que par certaines personnes, les autres peuvent être invoquées par toutes personnes intéressées. La nullité du mariage contracté par l'interdit est-elle absolue ou relative? D'après la théorie du code sur les nullités de mariage, il faudrait dire qu'elle est relative, puisqu'elle tient à une incapacité de consentir. Donc il n'y aurait que l'interdit qui pût demander la nullité de son mariage. Mais l'interdit est incapable d'agir, il faut donc que quelqu'un agisse pour lui. Qui agira? En matière de mariage, il est de principe que l'action en nullité n'appartient qu'à ceux auxquels la loi l'accorde. Or, la loi est muette. Il y a donc une action en nullité et on ne sait par qui elle sera intentée! Est-ce par le tuteur? On l'admet, sauf à exiger l'autorisation du conseil de famille (1). Qui ne voit que cela est tout à fait arbitraire? Ce n'est pas interpréter la loi, c'est la faire.

Faut-il appliquer l'article 502 au mariage contracté par l'interdit? Si l'on invoque les principes de l'interdiction pour annuler le mariage de l'interdit, il faut aussi appliquer ces mêmes principes à l'action en nullité. Or, les actes faits par l'interdit étant nuls de droit, ses héritiers peuvent agir. Donc des collatéraux pourront demander la nullité du mariage! La conséquence est logique, mais elle prouve contre le principe d'où elle découle. En effet, le code pose des limites à l'action des collatéraux; il ne leur permet de demander la nullité du mariage que dans les cas où la nullité est absolue, et il indique quels sont ces

(1) Les auteurs ne sont pas d'accord (Dalloz, au mot Mariage, no 209)

cas; or, l'interdiction n'est pas mentionnée dans le chapitre des nullités. Cela décide la question contre les collatéraux. La cour de cassation l'a jugé ainsi (1), et la question n'est pas douteuse.

Nous voilà dans un singulier embarras! On dit que le mariage de l'interdit est nul en vertu des principes de l'interdiction, et il se trouve qu'il est impossible d'appliquer ces principes à l'action en nullité. Nous aurions donc une action en nullité sans savoir par qui elle peut être intentée. La cour de cassation, tout en rejetant l'action des collatéraux, a décidé que la nullité ne peut être proposée que par les époux, conformément aux articles 180 et 181 (2). Cela est également inadmissible. L'article 180 ne parle pas de l'interdit, il ne parle pas de l'incapacité de consentir; il ne parle que des vices du consentement, de la violence et de l'erreur. On ne peut pas étendre les dispositions de la loi en matière de nullité de mariage. L'arrêt de la cour suprême le dit : « Le mariage tient trop essentiellement à l'ordre social pour avoir été imprudemment livré à toutes les attaques des mauvaises passions; la nullité ne peut être prononcée que sur un texte formel, et seulement à la requête de ceux que la loi autorise spécialement à invoquer ce texte. » Où est le texte qui nous apprend par qui peut être demandée la nullité du mariage d'un interdit? Ce n'est certes pas l'article 180.

A vrai dire, il n'y a pas de texte, ni pour établir la nullité, ni pour déterminer les personnes qui peuvent la demander. Comme le dit encore la cour de cassation dans son arrêt de 1844, un chapitre entier est consacré aux demandes en nullité de mariage, et tous les droits y sont prévus. C'est donc dans ce chapitre qu'il faut chercher la solution de la question du mariage de l'interdit.

287. Si l'on écarte l'article 502, il reste à choisir entre deux opinions extrêmes : ou le mariage est valable s'il a été contracté dans un intervalle lucide, ou il est inexistant. Ce dernier système est celui de Marcadé; il le fonde

(1) Arrêt du 9 janvier 1821 (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 210). (2) Arrêt du 12 novembre 1844 (Dalloz, Recueil périodique, 1845. 1, 100).

« PreviousContinue »