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sur l'historique de la rédaction. Le projet déclarait incapable de contracter mariage : l'interdit pour démence ou fureur, les sourds-muets qui ne peuvent manifester leur volonté, et les morts civilement. Après quelques discussions, l'article fut rejeté, sur cette remarque de Cambacérès que les dispositions proposées n'étaient que la conséquence naturelle de la règle générale qui exige le consentement. C'était, dit Marcadé, s'en référer à l'article 146 qui déclare que lorsqu'il n'y a pas de consentement il n'y a pas de mariage, et par conséquent, dans la pensée du conseil d'Etat, le mariage contracté par l'interdit était inexistant, pour nous servir d'un terme énergique qui marque bien l'effet résultant de l'incapacité absolue de consentir. Quand le projet arrêté par le conseil d'Etat fut communiqué au Tribunat, celui-ci proposa de déclarer formellement que « l'interdit pour cause de démence était, en fait de mariage, hors d'état de donner son consentement, lors même qu'il aurait des intervalles lucides. >> En conséquence, le Tribunat demanda que l'on ajoutât à l'article 146 un alinéa portant: « L'interdit pour cause de démence ne peut contracter mariage. » Cette proposition ne fut pas accueillie, parce qu'elle ne faisait que reproduire une disposition déjà rejetée comme inutile (1).

Le système de Marcadé doit aussi être écarté, à notre avis. D'abord il est en opposition avec les principes qui régissent l'interdiction. Il suppose que l'interdit est frappé d'une incapacité absolue de consentir, absolue en ce sens que les actes qu'il ferait seraient inexistants. Telle n'est pas la théorie du code; il se borne à déclarer les actes passés par l'interdit nuls de droit, donc simplement annulables. Pour admettre que le mariage de l'interdit est inexistant, il faudrait que la loi l'eût déclaré incapable de contracter mariage, en attachant à cette incapacité cet effet que si l'inter dit se mariait, il n'y aurait pas de mariage. Ne faudrait-il pas pour cela un texte formel? L'affirmative nous paraît évidente. La capacité de se marier, comme la capacité de contracter, est la règle; l'incapacité est l'exception.

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 456, no 2.

Y a-t-il dans le code civil un texte qui déclare l'interdit incapable de consentir au mariage? Ce n'est pas l'article 502: en supposant même qu'il s'applique au mariage, il en résulterait seulement que le mariage est nul, il n'en résulterait pas qu'il est inexistant. Ce n'est pas l'article 146: cette disposition suppose l'absence de consentement ou l'incapacité absolue de consentir. Or, l'interdit n'est pas frappé de cette incapacité absolue; il peut consentir s'il a des intervalles lucides. Marcadé invoque la discussion: elle ne dit qu'une chose, c'est que l'on a voulu s'en rapporter à la règle générale qui exige le consentement. Cela veut dire que si celui qui, étant interdit, se marie, est capable de consentir, il y aura mariage; que s'il est incapable de consentir, il n'y aura pas de mariage. Est-il capable ou ne l'est-il pas? C'est une question de fait et non une question de droit, car il n'y a pas de texte qui établit l'incapacité. En supposant même que la discussion dise ce que Marcadé lui fait dire, cela suffirait-il pour frapper l'interdit d'une incapacité absolue? Les incapacités s'établissent par des textes et non par des discussions. Mais la discussion est loin de décider la question. Pour qu'elle fût décisive, il faudrait d'abord que le conseil d'Etat eût admis qu'un mariage est inexistant quand il y a incapacité de consentir. Or, nous l'avons vu, de tous les membres du conseil, un seul, le premier consul, admettait la distinction des actes inexistants et des actes nuls. Tous les autres confondaient la non-existence avec la nullité. C'est dans cet esprit qu'était conçue la disposition du projet que Marcadé invoque, et l'on ne voit pas que le Tribunat ait eu une autre intention. en demandant que l'interdit fût déclaré incapable de se marier. En définitive, la discussion nous laisse en présence des textes et des principes. De textes applicables à l'interdit, il n'y en a que deux : l'article 502, qui ne peut pas être invoqué, et l'article 146, qui laisse la question entière au point de vue du droit. Cela nous conduit à un troisième système.

288. L'interdit n'étant pas déclaré incapable de se marier est par cela même capable. Il n'est pas déclaré incapable, puisque l'article 502 ne reçoit pas d'application au

mariage; et tout ce qui résulte de l'article 146, c'est que s'il y a impossibilité absolue de consentir, il n'y a pas de mariage. D'impossibilité naturelle, il n'y en a pas pour l'interdit, lorsqu'il a des intervalles lucides; d'impossibilité légale, il n'y en a pas davantage, puisqu'il n'y a pas de texte qui déclare l'interdit incapable de consentir. On aboutit donc forcément à la conclusion que le mariage de l'interdit est valable s'il l'a contracté dans un intervalle lucide, tandis qu'il est inexistant s'il était en état de démence au moment où il a déclaré consentir. Le mariage de l'interdit peut donc être attaqué comme inexistant, et à ce titre toutes les parties intéressées peuvent l'attaquer. Au point de vue des principes, ce système est très-juridique. L'interdiction ne doit influer que sur le patrimoine de l'interdit. Du reste, la personne interdite est, après le jugement, ce qu'elle était avant : capable de consentir dans les intervalles lucides.

La jurisprudence paraît se prononcer en ce sens. Il a été jugé par la cour de Caen que le mariage contracté par un individu interdit pour cause d'imbécillité et d'idiotisme, avec le consentement de son tuteur et du conseil de famille, est valable. La cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre cet arrêt, et elle a décidé implicitement que l'interdit n'est pas absolument incapable de contracter mariage dans les intervalles lucides (1). Telle est aussi l'opinion de Zachariæ; seulement il exige, pour la validité du mariage, que l'interdit ait le consentement des personnes sous l'autorité desquelles il se trouve placé quant au mariage, c'est-à-dire le consentement de ses ascendants, s'il en a, et celui du conseil de famille, lorsqu'il n'a plus d'ascendants (2). Cela est douteux. On se fonde sur l'article 509, qui porte: «L'interdit est assimilé au mineur pour sa personne et pour ses biens : les lois sur la tutelle des mineurs s'appliquent à la tutelle des interdits. » Cette disposition peut-elle s'appliquer au mariage? Nous croyons, avec M. Demolombe, que c'est au titre du Mariage qu'il

(1) Arrêt du 12 novembre 1844 (Dalloz, Recueil périodique, 1845, 1, 100). 2) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, § 454, p. 283.

faut chercher les principes qui le régissent, et que l'article 509 est étranger à notre question aussi bien que l'article 502 (1).

On dira que, dans notre opinion, il n'y a aucune disposition applicable à l'interdit. Cela est vrai, mais aussi il n'en fallait aucune, puisque l'interdit reste sous l'empire du droit commun : s'il se marie dans un intervalle lucide, son mariage sera pleinement valable: s'il est en état de démence, le mariage sera inexistant, en vertu de l'article 146. Nous appliquons donc les principes généraux à l'interdit, comme on l'a voulu au conseil d'Etat. Toutefois, nous avouons qu'il reste quelque doute. Le système auquel nous aboutissons forcément n'est pas de notre goût. M. Demolombe invoque des considérations physiologiques à l'appui de son opinion; ne pourrait-on pas dire, par contre, qu'il faut défendre tout mariage en cas de folie, parce que la folie est une maladie héréditaire? permettre le mariage à l'interdit, n'est-ce pas répandre ce terrible mal, qu'il faudrait arrêter plutôt à sa source? Il ne nous est pas prouvé que telle n'ait pas été l'intention des auteurs du code Napoléon. C'était certainement l'avis de ceux qui formulèrent le projet de code, c'était l'avis du Tribunat; et au sein du conseil d'Etat, pas une voix ne s'éleva en faveur du mariage de l'interdit. Il y a une disposition dans le code qui augmente notre incertitude: aux termes de l'article 174, les collatéraux peuvent former opposition au mariage, en la fondant sur l'état de démence du futur époux; dans ce cas, ils doivent immédiatement provoquer l'interdiction. On s'est prévalu de cette disposition pour décider que l'interdit est incapable de contracter mariage. C'est aller trop loin. L'article 174 ne dit pas cela; mais il implique au moins la pensée que l'interdiction forme un empêchement au mariage. C'est ce que l'orateur du gouvernement qui a exposé les motifs du titre de l'Interdiction, a dit en toutes lettres (2). Cela prouve que le Tribunat

(1) Demolombe, Cours de ccde Napoléon, t. III, p. 189, no 128. Comparez no 127, p. 175 et suiv.

(2) Emmery, Exposé des motifs du titre de l'Interdiction (Locré, t. III, p. 472, no 7).

avait raison de vouloir que la question fût décidée en termes formels. Mais en l'absence d'un texte, il nous paraît impossible d'admettre une incapacité. Nous maintenons donc notre opinion, tout en regrettant que le code n'ait pas décidé la question en sens contraire.

§ II. Des vices du consentement.

No 1. QUELS SONT LES VICES DU CONSENTEMENT EN MATIÈRE DE MARIAGE?

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289. L'article 1109 dit « qu'il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. » L'article 1118 ajoute que la lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats, ce sont le partage et la vente, ou à l'égard de certaines personnes, ce sont les mineurs (art. 1305). Doit-on appliquer le droit commun au contrat de mariage? Nous avons dit que les principes généraux reçoivent des modifications en matière de mariage, en ce qui regarde les conditions requises pour l'existence du mariage: tels sont les principes qui régissent les formes des actes solennels (1). Nous venons de dire que, pour le mariage de l'interdit, l'incapacité de consentir établie par l'article 502 n'est pas applicable. N'en serait-il pas de même des règles qui concernent les vices du consentement? Il y a une différence radicale entre le mariage et les contrats ordinaires; ceux-ci ont pour objet les choses du monde physique; ils concernent les intérêts pécuniaires des parties contractantes, tandis que le mariage est avant tout l'union des âmes. Le mariage est un contrat, il est vrai, en ce sens qu'il exige un concours de consentement; en réalité, il diffère des contrats de droit commun : quand des âmes s'unissent, peut-on dire qu'elles contractent?

Le mariage et les contrats ordinaires différant dans leur essence, il est impossible qu'ils soient régis par les mêmes principes. Il ne peut être question de lésion, alors même que des mineurs contractent mariage; le mot même

(1) Voyez plus haut, no 273, p. 345.

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