Page images
PDF
EPUB

qu'il n'a aucune existence aux yeux de la loi, et que par suite il ne peut produire aucun effet. N'y a-t-il pas de ces formes dans la rédaction des actes de l'état civil? Avant de répondre à la question, il nous faut voir ce qui s'est passé lors de la discussion du titre II au conseil d'Etat. On demandait s'il y aurait des modèles d'actes que les officiers publics seraient tenus de suivre. Le projet de code civil soumis au Conseil des Cinq-Cents portait que les actes seraient rédigés conformément aux modèles. On réclama contre cette disposition, dit Cambacérès, parce qu'il en serait résulté que le remplacement d'un mot par un autre aurait entraîné la nullité de l'acte. Thibaudeau répondit que la section de législation ne s'était pas encore occupée des nullités, qu'elle se proposait même de soumettre au Conseil la question de savoir s'il fallait admettre des nullités. Tronchet dit que les tribunaux avaient demandé des lois sur les nullités, mais qu'il était impossible d'établir à ce sujet des règles générales : ce sera toujours par les circonstances qu'il faudra juger de la nullité des actes. Tronchet ajouta que l'on pourrait donner quelques règles pour les actes de mariage: en effet, le code Napoléon contient une théorie complète sur les nullités de mariage. Mais le chapitre sur les demandes en nullité ne concerne que le mariage considéré comme contrat. Que faut-il décider des actes, proprement dits, de mariage, de naissance et de décès? Les nullités que l'on établirait, dit Tronchet, ne détruiraient pas la certitude de la date, laquelle est un des faits les plus essentiels. Que s'il y avait une irrégularité dans la date, la méprise serait prouvée par les actes qui précèdent et qui suivent, de sorte qu'il y aurait lieu à rectification plutôt qu'à nullité (1).

La question des nullités ne fut pas soumise au conseil d'Etat, mais il y eut encore accidentellement des observations sur ce sujet, tout aussi vagues malheureusement que celles que nous venons de transcrire. Quand on discuta la rectification d'office proposée par le projet, Camba

(1) Séance du conseil d'Etat du 6 fructidor an Ix (Locré, t. II, p. 37, n° 20).

cérès demanda si l'on pourrait, en corrigeant d'office un acte de l'état civil, priver les parties intéressées de l'effet des nullités qui leur seraient acquises. Bigot-Préameneu répondit : « Tant qu'il n'y a pas de réclamation, il n'y a pas de droit acquis par les nullités. » Singulière théorie qui fait dépendre l'existence d'un droit de l'action en justice, alors que l'action n'est que l'exercice du droit! Boulay était plus dans le vrai quand il dit qu'en cas de véritable nullité, il n'y avait pas même lieu à rectification; en effet, peut-on rectifier ce qui est nul? Tronchet renouvela la remarque qu'il avait déjà faite : qu'il n'y avait de nullité qu'en matière de mariage, que quant aux actes de nais. sance et partant de décès, ils n'étaient nuls que lorsqu'ils seraient entachés de faux (1).

Maleville, qui assista à cette discussion, la résume en cette proposition: «Il est impossible d'établir des règles générales sur les nullités, sauf pour le mariage. Ce sera par les circonstances qu'il faudra décider de la nullité ou de la validité de l'acte (2). » Thibaudeau, chargé d'exposer les motifs du titre II, s'exprime dans le même sens : « On ne peut préciser quand un acte est nul; il vaut mieux laisser la question en litige et à l'arbitrage du juge (3). » Le tribun Siméon va plus loin; il dit qu'il n'y aura jamais nullité qu'en cas de faux. Il fonde cette opinion sur l'importance même des actes de l'état civil. « Tant de soins, dit-il, pris en faveur des citoyens pour leur état tourneraient contre eux et contrarieraient l'intention de la loi, si de leur omission il pouvait résulter des nullités. A moins donc que les actes ne soient reconnus faux, leurs imperfections ne les laisseraient pas sans force; ils donneront toujours aux citoyens un titre quelconque (4). » Ce qui veut dire qu'il y a lieu de rectifier les actes irréguliers et non de les annuler.

23. Voilà une discussion, des discours et des rapports qui, au lieu d'éclairer l'interprète, ne font qu'augmenter

(1) Séance du 14 fructidor an Ix (Locré, t. II, p. 50, no 39).

(2) Maleville, Analyse raisonnée, t. Ier, p. 73.

(3) Locré, Législation civile, t. II, p. 72, no 24.

(4) Siméon, rapport au Tribunat (Locré, t. II, p. 97, no 16).

son embarras. L'expérience faite depuis la publication du titre II semble donner raison à ceux qui soutiennent qu'il n'y a jamais de nullité en cette matière, le cas de faux toujours excepté. Nous ne connaissons pas d'arrêt qui ait annulé un acte de l'état civil pour vice de forme. Cependant cela ne décide pas la question au point de vue doctrinal. Reste, en effet, à examiner s'il n'y a point de formalités substantielles dont l'inobservation aurait pour conséquence que l'acte serait plus que nul, qu'il n'aurait pas d'existence aux yeux de la loi et ne produirait aucun effet. Nous croyons qu'il y a de ces formalités; mais la difficulté est de les préciser.

Tout le monde est d'accord pour admettre une première condition, sans laquelle il ne peut pas y avoir d'acte de l'état civil; il faut un officier de l'état civil (1). Un conseiller communal reçoit un acte de l'état civil, sans que le bourgmestre ou l'échevin délégué soit empêché; il est sans qualité, donc l'acte qu'il recevrait n'aurait aucune valeur, aucune existence légale; on ne pourrait le valider en le rectifiant, car la rectification suppose un acte, ur, ici il n'y en a pas, pas plus que si un premier venu avait usurpé les fonctions d'officier public. La question serait tout autre si un officier de l'état civil recevait un acte hors des limites de la commune où il est bourgmestre. On ne pourrait plus dire que l'acte est dressé par un premier venu sans qualité aucune; il y a un officier public, seulement il instrumente hors de son ressort, il est incompétent. Il faut donc voir si l'incompétence est une cause de nullité. En matière de mariage, il y a nullité, mais seulement facultative, c'est-à-dire que le juge a un pouvoir discrétionnaire d'annuler le mariage considéré comme contrat. A plus forte raison faut-il le décider ainsi pour les actes rédigés par l'officier de l'état civil. L'acte pourrait être annulé, dit Hutteau d'Origny (2); cela même est douteux en présence de la discussion qui a eu lieu au conseil d'Etat.

Une question plus douteuse est de savoir si les actes

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 545, no 330. (2) Hutteau d'Origny, De l'état civil, p. 15, no 2. Comparez Dalloz, Réper toire, au mot Actes de l'état civil, no 37.

de l'état civil seraient valables alors que l'officier public qui les a reçus y figurerait comme partie. D'après le droit romain, les magistrats chargés de la juridiction volontaire pouvaient instrumenter, alors même que l'acte les concernait (1). Quoi qu'en dise Merlin, les fonctions de l'état civil rentrent dans la juridiction que l'on appelle volontaire ou gracieuse. On peut donc invoquer la loi romaine. Il n'y aurait même aucun doute, s'il s'agissait d'un acte de naissance ou de décès. Ce serait une irrégularité, mais la loi ne la prévoyant pas, il n'y aurait pas lieu à prononcer la nullité. Mais que faudrait-il décider si un officier public célébrait son propre mariage? On ne pourrait pas attaquer le mariage pour incompétence, car d'après la subtilité du droit, l'officier est compétent. Mais nous croyons avec Merlin que, dans ce cas, il n'y aurait pas d'officier public, partant pas de mariage. En effet, il est impossible qu'une seule et même personne figure tout ensemble comme futur époux et comme officier de l'étať civil (2). Et si le mariage n'a pas d'existence aux yeux de la loi, il va sans dire que l'acte de célébration ne saurait avoir aucun effet.

24. L'inscription de l'acte sur un registre est-elle une formalité substantielle? Coin-Delisle applique le principe général que les auteurs du code semblent suivre en cette matière : c'est, dit-il, une question abandonnée à la prudence du juge (3). Cela nous paraît très-douteux; il ne s'agit pas de savoir si l'acte est nul, il s'agit de savoir s'il y a un acte. Or, dans la théorie du code, l'acte de l'état civil doit nécessairement être inscrit sur un registre. « Nul, dit l'article 194, ne peut réclamer le titre d'époux, s'il ne représente un acte de célébration inscrit sur les registres de l'état civil. Aux termes de l'article 319, la filiation des enfants légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur le registre de l'état civil. La preuve résultant des actes de

66

(1) Merlin, Répertoire, au met Juridiction volontaire, no 7. (2) Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 5, no 8. Coin-Delisle applique le principe général de la nullité facultative (Commentaire analytique du titre II, p. 7, no 12). Comparez Demolombe, t. Ier, p. 457, n° 279.

(3) Coin-Delisle, Commentaire analytique sur l'art. 52, p. 37, n° 3.

l'état civil repose sur l'existence des registres. Ce sont les extraits des registres que l'on produit devant les tribunaux; ces extraits font foi s'ils sont délivrés conformes aux regisires (art. 45). Sans registres, il n'y a plus d'extraits possibles, donc plus d'actes, plus de publicité. N'en fautil pas conclure que l'acte inscrit sur une feuille volante n'est pas un acte de l'état civil? Il est certain que, dans tous les cas où la loi prescrit l'inscription d'un acte sur un registre, le registre est de l'essence de l'acte. La renonciation à une succession, l'acceptation sous bénéfice d'inventaire seraient-elles valables si elles se faisaient autrement que sur le registre à ce destiné? Non, certes. Y aurait-il enregistrement sans registre? La question seule est une absurdité. Y aurait-il transcription ou inscription hypothécaire si le conservateur des hypothèques transcrivait ou inscrivait sur une feuille volante? Eh bien, ce qui est vrai de tous les actes soumis à une inscription sur un registre ne le serait-il pas des actes de l'état civil? Nous cherchons vainement où serait la raison de différence. Dira-t-on qu'il y a lieu à rectification? Rectification de quoi? des registres? Il n'y en a pas. Il y a omission d'un acte qui aurait dû être inscrit sur les registres et qui ne l'a pas été. Cette omission doit être réparée, mais comment? On ne peut pas procéder par voie de rectification, car il n'y a rien à rectifier puisque rien n'existe. En réalité, l'état civil ne peut pas être prouvé par une feuille volante. Que fera donc celui dont la naissance, par exemple, ou le mariage aura été dressé sur un autre papier que sur le registre? Nous ne voyons qu'une seule voie à suivre. C'est d'intenter une action pénale contre l'officier public, et de transcrire le jugement sur le registre. L'article 198 le décide ainsi pour la célébration du mariage; on peut l'appliquer par analogie à l'inscription d'un acte quelconque de l'état civil sur une feuille volante. C'est un délit prévu par le code pénal (art. 463). Si l'instruction établit qu'il y a eu mariage, naissance ou décès, que toutes les formalites ont été remplies, sauf la rédaction de l'acte sur un registre, le jugement tiendra lieu d'acte.

23. La signature de l'officier de l'état civil est-elle une

« PreviousContinue »