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de lésion marque un intérêt pécuniaire; dès lors la lésion est étrangère au mariage. La loi a soumis à des conditions spéciales le mineur qui veut se marier; il lui faut le consentement de ses ascendants ou du conseil de famille, et le fils a besoin du consentement de ses ascendants, alors même qu'il est majeur, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans nouvelle dérogation au droit commun. Si le mineur a obtenu le consentement requis par la loi, son mariage est valable; s'il ne l'a pas, le mariage est nul.

Il y a un autre vice qui annule toujours les contrats et qui n'annule pas le mariage. « Le dol, dit l'article 1116, est une cause de nullité de la convention, lorsque les mancuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Au titre du Mariage, la loi ne mentionne pas le dol parmi les vices qui entraînent la nullité du mariage. Voilà une différence capitale. Quelle en est la raison? Ne peut-il pas y avoir des manœuvres frauduleuses employées par l'une des parties pour porter l'autre à contracter mariage? et s'il est évident, comme le dit l'article 1116, que, sans ces manoeuvres, la partie trompée n'aurait pas consenti au mariage, pourquoi la loi ne permet-elle pas d'en demander la nullité? C'est que le législateur a voulu mettre le mariage à l'abri des contestations que feraient naître les espérances déçues, les illusions trompées. En mariage, trompe qui peut, " dit un vieil adage (1). Le dol aurait servi de prétexte à ces déceptions et l'institution du mariage en eût été ébranlée (2). Cela peut paraître rigoureux, injuste même dans certains cas; mais l'intérêt général domine ici sur l'intérêt particulier. Voilà la différence capitale qui sépare le mariage des contrats ordinaires; dans ceux-ci, ce sont des intérêts privés qui s'agitent, intérêts d'argent qui créent des droits positifs, droits que le législateur doit respecter et sanctionner. Tandis que le mariage est, ou doit du moins être étranger à toute considération intéressée. Ce sont deux

(1) Loysel, Institutes coutumières, t. Ier, p. 145, édition de Dupin. (2) Valette sur Proudhon, Traité sur l'étai des personnes, t. ler, p. 391, note. Demolumbe, Cours de code Napoléon, t. 11I, p. 411, no 255.

âmes qui s'unissent. Leur union, en principe, est indissoluble, et ce n'est que pour des considérations très-graves que la loi peut permettre de l'annuler. Il faut qu'il y ait des causes palpables, en quelque sorte matérielles, sur lesquelles le juge ne puisse pas être trompé, et qui écartent par cela même tout arbitraire. Voilà pourquoi le code civil rejette le dol et n'admet que l'erreur et la violence comme vices du consentement.

No 2. L'ERREUR.

290. Il y a des controverses interminables sur l'erreur. Ne viennent-elles pas de ce que les interprètes, préoccupés des principes généraux, veulent les appliquer au mariage, qui n'admet pas ces principes? L'article 1110 dit que « l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet. » En droit, nous entendons par substance les qualités substantielles des choses. Qu'est-ce que les qualités substantielles? Pothier répond que ce sont les qualités que les contractants ont eu principalement en vue (1). La qualité substantielle ou la substance dépend donc de la volonté des parties, en ce sens que si elles ont principalement en vue une qualité, fût-elle secondaire, elle deviendra substantielle, et si l'erreur tombe sur cette qualité, le contrat est nul. Peut-on appliquer ces principes au mariage? Non, certes; Pothier, lui-même va nous le dire; il rejette toute erreur sur les qualités, quelque substantielles qu'on les suppose, et avec raison. Le mariage n'est pas un contrat d'intérêt privé; ce n'est donc pas la volonté des parties qui peut faire que telle qualité devienne substantielle, et par suite une condition requise pour la validité du mariage. C'est le législateur qui décide la question. Il faut donc laisser là les principes généraux sur l'erreur, et voir ce que dit la loi au titre du Mariage.

291. L'article 180 porte que le mariage peut être attaqué lorsqu'il y a erreur dans la personne. A s'en tenir aux

(1) Pothier, Traité des obligations, no 18.

termes de la loi, on croirait que l'erreur n'est un vice de consentement que si elle tombe sur l'individu. Il y a une autre interprétation que nous commençons par écarter. On prétend que l'erreur sur l'individu est plus qu'un vice du consentement, qu'elle empêche le consentement de se former; que, par suite, il n'y a pas de consentement, donc pas de mariage. C'est l'article 146, dit-on, qui doit être appliqué à l'erreur sur l'individu, et il en résulte que le mariage est inexistant. L'article 180 ne prévoit que l'erreur qui vicie le consentement et qui rend le mariage simplement nul, c'est-à-dire annulable. Quelle est donc l'erreur dont parle l'article 180? L'erreur sur les qualités.

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Cette interprétation s'appuie sur l'autorité du premier consul. Il faut distinguer, dit-il, entre l'erreur sur l'individu physique et l'erreur sur les qualités civiles. « Il n'y a pas de mariage lorsqu'un autre individu est substitué à celui que l'on a consenti d'épouser. Au contraire, il y a mariage, mais mariage susceptible d'être cassé, lorsque l'individu étant d'ailleurs physiquement celui sur lequel le consentement a porté, n'appartient cependant pas à la famille dont il a pris le nom (1). » Marcadé s'est emparé de ces paroles et a soutenu que l'erreur sur l'individu rend le mariage inexistant, parce qu'il n'y a pas de consentement. Quand, dit-il, à la place de Marie que j'ai vue, que je connais, que je crois épouser, on a amené, devant l'officier de l'état civil, Jeanne, si bien cachée par son voile que je ne m'aperçois pas du changement, il est clair qu'il n'y a pas de consentement. Quand, dans ce cas, je dis que je consens de prendre pour épouse la femme ici présente, c'est à Marie que je pense, c'est de Marie que j'entends parler, c'est sur Marie que ma volonté tombe; et si Jeanne, elle, veut bien me prendre pour mari, moi je ne veux pas la prendre pour femme. Donc alors il n'y a pas concours des deux volontés vers le même but. Dès lors, pas de contrat, pas de mariage (2).

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Le premier consul et Marcadé ont raison, au point de

(1) Séance du 24 frimaire an x, no 10 (Locré, t. II, p. 362).

(2) Marcadé, t. Ier, p. 463. Cette opinion est suivie par Demolombe, t. III, p. 386, no 246.

vue des principes généraux de droit. S'il faut appliquer ces principes au mariage, il est certain que l'erreur sur l'individu physique rend le mariage inexistant. Je vous veux vendre le fonds A; vous entendez acheter le fonds B; il y a plus que vice de consentement, il y a absence de consentement. En effet, le fonds A que je veux vous vendre, vous n'entendez pas l'acheter; et le fonds B que vous voulez acheter, je n'entends pas vous le vendre. Nos volontés, loin de concourir, sont discordantes. Dès lors il n'y a pas de consentement, partant pas de vente. La vente est plus que nulle, elle est inexistante. Si l'on applique ces principes au mariage, il faut décider aussi que le mariage sera inexistant par défaut de consentement. Mais la question est précisément de savoir si l'on peut appliquer les principes généraux sur le consentement au mariage. La négative nous paraît évidente. Nous l'avons prouvé pour les qualités substantielles. Nous allons le prouver pour l'erreur sur l'identité de la personne.

L'erreur sur les qualités rentre-t-elle sous l'application de l'article 180? Il suffit de lire l'article pour répondre non; l'article 180 parle de l'erreur dans la personne, et Marcadé lui fait dire qu'il parle de l'erreur sur les qualités. Est-ce que l'erreur sur les qualités est une erreur dans la personne? Le bon sens dit non. Et le droit est d'accord avec le bon sens. Il s'agit de savoir, pour le moment, si l'erreur sur l'individu physique est prévue par l'article 180, c'est-à-dire si cette erreur rend le mariage nul ou si le mariage doit être réputé inexistant. Les auteurs du code, à l'exception du premier consul, étaient tous imbus de l'ancienne doctrine, telle que Pothier l'a formulée au XVIII° siècle. Or, Pothier ignorait la distinction des actes inexistants et des actes nuls. Il prévoit la même hypothèse que Marcadé a supposée. « Si, dit-il, me proposant d'épouser Marie, et croyant contracter avec Marie et épouser Marie, je promets la foi de mariage à Jeanne qui se fait passer pour Marie, il est évident qu'il n'y a pas de consentement, et que le mariage que j'ai contracté avec Jeanne est nul par défaut de consentement. » Pothier dit comme Marcadé: il n'y a pas de consentement;

mais il en tire une autre conséquence. Marcadé dit: il n'y a pas de mariage; Pothier dit le mariage est nul, et par là il entend un mariage annulable, un mariage qui peut être confirmé, comme il l'explique lui-même (1). Eh bien, cette doctrine de Pothier a passé littéralement dans l'article 180 les termes sont ceux de Pothier, les principes sont les siens. Donc l'erreur sur la personne n'empêche pas le mariage d'exister, mais elle le rend nul.

Dira-t-on que la distinction que Pothier ignorait a été introduite dans le code, qu'elle est formulée dans l'article 146, et qu'il est impossible que le législateur ait dit dans l'article 180 le contraire de ce qu'il venait de dire dans l'article 146? L'objection aurait quelque valeur si les auteurs du code avaient consacré clairement, et en connaissance de cause, la distinction entre les actes nuls et les actes inexistants. Mais c'est à peine si l'on peut dire que l'article 146 a le sens que la doctrine moderne lui prête. Et en supposant même, comme nous le croyons, que l'article 146 reçoive cette interprétation, il faudrait encore voir si, en matière de mariage, le législateur n'a pas eu raison de déroger à la rigueur du droit. C'est notre avis. La question se réduit à ces termes : il y a erreur sur la personne physique; cette erreur rend-elle le mariage nul ou inexistant? D'après les principes généraux, le mariage devrait être inexistant; nous croyons que le législateur a bien fait de le déclarer seulement nul. Il y a, à cet égard, une grande différence entre le mariage et les contrats ordinaires. Quand je vous vends le fonds A et que vous croyez acheter le fonds B, il est évident qu'il n'y a pas de vente; il ne saurait y avoir l'ombre d'un doute sur notre intention, aucun de nous ne veut contracter. Au contraire, quand j'épouse Jeanne alors que je crois épouser Marie, l'une des parties veut contracter; et qui peut savoir si l'autre ne le veut pas? Celui-là seul qui est dans l'erreur. Dès lors, il faut qu'il fasse connaître sa vraie volonté, il faut qu'il déclare s'il s'est trompé ou s'il ne s'est pas trompé. Et il faut qu'il le déclare dans un bref délai.

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, nos 308, 309.

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