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n'est certes pas nécessaire pour découvrir l'erreur sur l'identité physique, elle se découvre immédiatement. Si donc la loi accorde un délai de six mois à l'époux trompé, c'est qu'elle suppose que l'erreur ne se peut pas découvrir de suite, donc une erreur sur la personne civile, laquelle ne peut être constatée qu'après des informations et des recherches. Il y a ici un malentendu l'article 180 fixe un délai de six mois, non pas pour permettre à l'époux trompé de reconnaître l'erreur, mais pour déterminer le délai après lequel la nullité ne peut plus être demandée; en d'autres termes, il définit la confirmation tacite. L'erreur peut être découverte le jour même du mariage; l'époux aura néanmoins six mois pour agir; mais il devra agir dans ce délai, sinon il sera censé avoir confirmé le mariage, s'il y a eu cohabitation pendant ce délai. Donc l'article 180 n'a rien de commun avec la nature de l'er

reur.

Enfin l'on se fonde sur les travaux préparatoires. La cour de cassation avait proposé de substituer les mots erreur sur l'individu aux mots erreur dans la personne; ce qui limitait la nullité au cas où il y aurait erreur sur l'homme considéré dans l'ordre purement physique. Les auteurs du code n'adoptèrent pas ce changement, ils maintinrent l'expression de personne, c'est-à-dire qu'ils considèrent l'homme au point de vue des qualités qui le personnalisent dans l'ordre civil. Cet argument a été invoqué dans un arrêt de la cour de Paris; il serait, en effet, décisif si nous connaissions les raisons pour lesquelles le mot individu n'a pas été employé. On ne trouve aucune trace de ces raisons dans les procès-verbaux; dès lors ne peut-on pas dire que le code civil a maintenu l'expression consacrée par la tradition? Pothier l'emploie et il entend par là l'erreur sur la personne physique.

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La discussion a été très-confuse. Dupin la caractérise parfaitement. Ce sont, dit-il, des opinions échangées entre des législateurs qui mettent en avant ou en réplique les idées qui leur viennent instantanément. Dans ces conversations dialoguées, on les voit tour à tour émettre brusquement une idée que bientôt après ils abandonnent,

ramenés qu'ils sont par les objections d'autrui : c'est un va-et-vient perpétuel en sens souvent très-divers. » Que faire au milieu de ces opinions contradictoires? « Il faut, dit Dupin, s'attacher aux résultats, et non pas à tel ou tel fragment qui nous a plu davantage. Il s'agit de démêler l'opinion qui a définitivement prévalu et qui se traduit en un texte de loi, auquel, en fin de cause, tout le monde doit déférer (1).

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Il est très-difficile de préciser l'opinion qui prévalut au conseil d'Etat sur l'erreur dans la personne. On peut seulement dire que la plupart des membres admettaient l'erreur sur la personne civile. Regnier voulait maintenir la doctrine de Pothier; il disait qu'il n'y a réellement erreur sur la personne que lorsqu'on a épousé un individu pour un autre. » Maleville répondit que l'erreur dans la personne était en effet la seule qui viciât le mariage, mais qu'on ne pouvait pas restreindre l'application de cette règle à la personne physique, que la règle avait surtout pour objet la personne sociale. Le premier consul exigeait la complicité de l'époux pour que l'erreur sur la personne civile viciât le mariage. Il revint à plusieurs reprises sur cette idée, mais il ne trouva pas d'accueil au conseil : qu'importe, disait Maleville, et avec raison, que l'époux ait été complice de la tromperie? Si réellement l'autre époux a été trompé, il y a erreur, et l'erreur vicie le consentement (2).

La jurisprudence s'est prononcée pour l'interprétation qui admet l'erreur sur la personne civile. Un arrêt de la cour de Paris dit que le mot personne entraîne la pensée d'une individualité civile. Toutefois la cour ajoute une restriction qui nous paraît essentielle : « Il faut que l'erreur porte sur une personnalité complète et soulève une question d'identité (3). » Ainsi limitée, l'erreur sur la personne civile est réellement une erreur dans la personne, comme le dit l'article 180. Précisons l'hypothèse. J'ai l'intention

(1) Dupin, Réquisitoire, dans Dalloz, Recueil périodique, 1862, 1, 155. (2) Séance du conseil d'Etat du 24 frimaire an x, no 12 (Locré, t. II, p. 363).

(3) Árrêt du 4 février 1860 (Dalioz, Recueil périodique, 1860, 2, 88).

d'épouser Marie que je n'ai jamais vue, parce qu'elle est fille de l'ami de mon père et que les deux familles tiennent à une alliance qui perpétue l'affection qui les unit. Une autre Marie se présente devant l'officier de l'état civil, comme étant la fille de Paul avec laquelle j'ai l'intention de m'unir. Il y a erreur sur la personne civile et non sur la personne physique, mais l'erreur sur la personne civile entraîne une erreur sur l'identité. Dès lors, il y a erreur dans la personne, comme le veut l'article 180 (1).

295. Il y a un danger dans la théorie qui admet l'erreur sur la personne civile, c'est qu'on ne l'étende à des qualités civiles, sociales. C'est ce qu'ont fait Marcadé et Demolombe. Qu'est-ce, en léfinitive, disent-ils, que l'erreur sur la personne civile? Une erreur sur certaines qualités. Or, où est la raison pour borner l'erreur à telles ou telles qualités? Dans l'affaire de l'aventurier italien, jugée par la cour de Bourges, il n'y avait réellement erreur que sur l'état civil, un premier venu s'étant dit baron, né d'une famille qui n'existait même pas il y avait une fausse filiation. Si l'erreur sur la filiation suffit pour vicier le consentement, pourquoi pas toute autre erreur également substantielle? Nous répondons qu'aucune erreur sur les qualités ne vicie le mariage, à moins qu'elle n'ait pour résultat une erreur sur l'identité. Et si l'on demande pourquoi, notre réponse est très-simple et péremptoire : le texte, mis en rapport avec la doctrine traditionnelle, et rien ne prouve que les auteurs du code aient entendu s'en écarter. Nous allons examiner quelques cas dans lesquels la jurisprudence a admis, à tort, suivant nous, qu'il y avait erreur dans la personne alors qu'il y avait seulement erreur sur les qualités.

296. En 1811, un mariage est contracté à Strasbourg par un organiste qui jadis avait été religieux profès. La cour de Colmar l'annula, par les plus étranges motifs. La femme ignorait que son futur fût lié par des vœux incompatibles avec l'état du mariage; elle n'aurait jamais donné

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, § 462, p. 261 et notes 9 et 10.

son consentement si elle en avait eu connaissance; l'aneien moine profès, en cachant sa condition, obtint donc le consentement de sa future par une espèce de vol et de surprise. Il en est résulté une erreur substantielle, puisque, aux termes de l'article 1110 du code Napoléon, l'erreur est une cause de nullité, lorsque la considération de la personne est la cause principale de la convention (1). La cour n'avait oublié qu'une chose, l'article 180. Y avait-il erreur dans la personne? Telle était la seule question, et l'arrêt n'en dit pas un mot. Cependant les auteurs approuvent cette étrange décision; il y en a même qui vont plus loin et disent que le mariage eût encore été nul, si la femme avait connu la position de l'homme avec lequel elle se mariait, en supposant que sa conscience se fût reveillée plus tard: ce sont les expressions de Dalloz, Ainsi des scrupules de conscience survenus après le mariage, alors qu'il n'y avait aucune erreur, vicieraient le consentement! Voilà les énormités auxquelles les interprètes aboutissent quand ils abandonnent le texte de la loi pour se livrer à leur imagination.

Merlin s'étonne qu'une cour`ait pu rendre un pareil arrêt. Cela est d'autant plus étonnant, dit-il, que le détenseur de l'époux avait pulvérisé d'avance le système admis par la cour. Y a-t-il erreur dans la personne? demandait l'avocat. Non, certes. En effet, sur quoi porte l'erreur? La femme ignorait que son mari eût été moine profès, c'està-dire frère servant, domestique d'une corporation supprimée par la Révolution. Cette erreur ne prouve qu'une chose, c'est que la femme attachait une importance extrême à telle croyance religieuse. Qu'est-ce que ces préjugés ont de commun avec la loi civile? La loi ignore les croyances religieuses et n'en tient aucun compte, puisque à ses yeux le mariage est un contrat purement civil. Qu'importe done que les époux soient imbus de tel ou tel préjugé religieux? Est-ce que des scrupules de conscience sont des causes de nullité du mariage (2)?

(1) Arrêt du 6 décembre 1811 (Dalloz, an mot Mariage, no 71).

(2) Merlin, Répertoire, au mot Empêchements de mariage, § 5, article 1, n' 5.

297. Il y a une cause plus célèbre qui a vivement agité les esprits et qui, après avoir divisé les cours, a fini par recevoir une solution conforme aux vrais principes. Une femme contracte mariage avec un forçat libéré; elle demande la nullité de son mariage en invoquant l'erreur où elle était sur la condition de son futur, au moment où elle avait donné son consentement. Y avait-il erreur sur la personne civile? Le tribunal de la Seine et la cour de Paris décidèrent qu'il y avait seulement erreur sur les qualités, erreur qui, dans l'espèce, n'entraînait pas d'erreur sur l'identité, partant pas d'erreur sur la personne (1). Sur le pourvoi en cassation, la cour suprême cassa l'arrêt. La doctrine de la cour, dans cette première décision, n'est pas très-claire. Elle admet, avec la cour de Paris, que l'erreur dans la personne doit s'entendre non-seulement de l'erreur dans la personne physique, mais encore de l'erreur dans la personne civile. Puis elle dit que la condamnation à une peine afflictive et infamante diminue la personne civile du condamné, en le privant d'une partie notable de ses droits civils et civiques. De là elle conclut brusquement qu'il est du devoir des tribunaux d'examiner si, d'après les faits et les circonstances de la cause, l'erreur à porté sur des conditions substantielles, constitutives de la personnalité civile; ce qui constitue une erreur sur la personne et par suite un vice du consentement. Enfin la cour annule l'arrêt de Paris, parce qu'il pose en principe que l'erreur doit porter sur une personnalité complète (2). L'arrêt est une série d'affirmations sans motif aucun. S'il a un sens, c'est que la question d'erreur est une question de circonstances; d'où suivrait que les tribunaux auraient en cette matière un pouvoir discrétionnaire pour décider quelles sont les conditions substantielles, constitutives de la personnalité. Nous avons repoussé ce système qui plie le droit devant les faits, système que l'on est étonné de voir consacré par une cour qui est la gardienne du droit.

(1) Arrêt de la cour de Paris du 4 février 1860 (Dalloz, Recueil périodique, 1860, I, 88).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 11 février 1861 (Dalloz, Recueil périodique, 1861, 1, 56).

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