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deux personnes soient de sexes différents. Si donc un individu qui s'est marié sous le nom de Pierre n'est pas un homme, si un individu qui s'est marié sous le nom de Jeanne n'est pas une femme, il y aura erreur sur la personne. Nous dirions aujourd'hui que le mariage est inexistant. Eh bien, continue Merlin, si un individu, soit par l'effet d'un accident, soit par un égarement de la nature, est privé de l'organe sans lequel on ne peut pas être homme, n'y aura-t-il pas également, de la part de la femme qu'il aura épousée, erreur dans sa personne, c'està-dire mariage inexistant? Vainement dirait-on qu'il y a seulement erreur sur la qualité; Merlin répond que c'est une qualité qui métamorphose le prétendu mari en un être tout différent. C'est dire énergiquement qu'il n'y a pas d'homme, donc il n'y a pas de mariage (1).

Nous croyons que l'impuissance n'est pas une cause d'inexistence du mariage. Le code civil ne détermine pas les conditions requises pour que le mariage existe; la question doit donc se décider d'après les principes généraux de droit. Nous avons admis, avec Zachariæ, qu'il faut un homme et une femme pour qu'il y ait mariage. Ce point est un de ceux que l'on ne discute point. Peut-on dire que l'homme n'est pas un homme, que la femme n'est pas une femme, quand ils sont impuissants? Non, Merlin l'avoue; l'impuissance est l'absence d'une qualité. Qu'on la dise aussi essentielle que l'on voudra, toujours est-il que l'erreur porte sur une qualité; dès lors il y aura, si l'on veut, erreur dans la personne, comme le dit l'article 180, mais cette erreur est seulement une cause de nullité. La doctrine de Pothier nous conduit au même résultat. Il dit que l'union des corps n'est pas précisément et absolument de l'essence du mariage. Cela décide la question. Nous disons aujourd'hui avec le premier consul que le mariage est l'union des âmes; cette union-là peut exister malgré l'impuissance, comme elle peut exister malgré la stérilité, comme elle peut exister malgré le grand âge des futurs époux.

(1) Merlin Répertoire, au mot Impuissance, no 2,

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Il faut donc écarter la doctrine de Zachariæ et dire, avec Pothier et Merlin, que l'impuissance est une cause de nullité. Au point de vue théorique, cela peut très-bien se soutenir, et les noms que nous venons de citer suffisent pour que l'on prenne leur opinion au sérieux. Mais la question n'est pas une difficulté de théorie, c'est une difficulté de texte. En fait de mariage, il n'y a pas de nullité sans loi. Y a-t-il une loi que l'on puisse appliquer à l'impuissance? Merlin invoque l'article 180; c'est dire que Î'erreur du conjoint qui a épousé un impuissant est une erreur dans la personne. Mais l'erreur n'est évidemment pas une erreur sur l'identité, ni physique ni morale; c'est une erreur sur la qualité. Quelque grave qu'elle soit, en droit elle n'a pas plus d'importance que toute autre erreur qui n'influe pas sur l'identité du conjoint, Cela décide la question. Après la longue discussion à laquelle nous venons de nous livrer, il est inutile d'insister. L'erreur sur les qualités, quelque substantielles qu'on les suppose, ne vicie jamais le consentement. L'impuissance n'est donc pas une cause de nullité du mariage, pas plus qu'une cause d'inexistence.

Puisque la question doit être décidée par le texte du code, il nous faut dire un mot d'une objection qui invoque l'article 312. La loi permet au mari de désavouer l'enfant né de sa femme, s'il prouve qu'il était dans l'impossibilité physique de cohabiter avec elle, par l'effet de quelque accident, à l'époque de la conception. L'article 313 ajoute que le mari ne peut pas désavouer l'enfant en alléguant son impuissance naturelle, De là on conclut que l'impuissance, au moins quand elle est accidentelle, doit être admise comme cause de nullité du mariage. Si la loi permet au mari de désavouer l'enfant de sa femme, en prouvant l'impossibilité physique où il était de cohabiter avec elle, comment supposer qu'elle veuille maintenir le mariage, malgré l'impossibilité physique de la cohabitation de la part de cet époux? Ne serait-ce pas dire que la loi entend faire subsister un mariage, en donnant au mari le droit de désavouer tous les enfants qui naîtront de sa femme? Ne serait-ce pas forcer l'un des époux à chercher

ailleurs des jouissances qu'il ne trouve pas chez lui? Peut-on supposer au législateur des pensées aussi immorales (1)?

Cette habile argumentation prévalut devant la cour de Trèves, mais la jurisprudence s'est prononcée en sens contraire (2). L'article 312 statue sur une hypothèse toute différente de la nôtre. Quand une femme donne le jour à un enfant, alors que son mari était dans l'impossibilité physique de cohabiter avec elle lors de la conception, elle est coupable d'adultère; le mari doit avoir le droit de désavouer un enfant adultérin qui viendrait usurper son nom. Au contraire, quand l'un des époux demande la nullité du mariage, il y a à examiner s'il y avait erreur dans la personne ou seulement erreur sur une qualité; il n'y a pas de crime en cause, il y a seulement l'intérêt d'un époux trompé dans son attente. Le législateur n'admet pas ces déceptions comme cause de nullité, parce qu'il y a un intérêt qui domine celui du conjoint, l'intérêt de la société. Quand c'est l'impuissance qui est invoquée comme vice du consentement, il y a un motif particulier qui à lui seul justifie le silence du législateur, c'est le scandale auquel donnent lieu ces procédures. Il faut éviter ces débats honteux, parce qu'ils blessent la moralité. Cela est si vrai qu'il est à peine possible de traiter ces matières, même dans un ouvrage scientifique. On lit dans l'article que le Répertoire de Merlin consacre à l'impuissance, que le jurisconsulte doit être chaste et pur comme la loi; l'auteur y met toute la réserve possible, et cependant les détails dans lesquels il entre soulèvent le cœur. Que serait-ce des débats judiciaires? M. Demolombe, conséquent à sa théorie des qualités substantielles, admet l'impuissance comme cause de nullité du mariage. Mais il faut la prouver. Comment fera-t-on cette preuve? Par un congrès, comme au bon vieux temps où régnait le droit canonique? Non, on visitera le conjoint impuissant. Et s'il refuse de

(1) Merlin, Répertoire, au mot Impuissance, no 1.

(2) Voyez les arrêts des cours de Gênes et de Riom, dans Dalloz, Réper toire, au mot Mariage, no 76, 77. Il faut ajouter un arrêt de la cour Je Toulouse du 10 mars 1858 (Dalloz, Recueil périodique, 1859, 2, 40).

se laisser visiter? On emploiera la force. Est-ce que la justice ne dispose pas des gendarmes? Les gendarmes faisant violence à une femme pour la forcer à se laisser visiter par les hommes de l'art! Nous croyions que la torture était abolie (1).

No 3. LA VIOLENCE.

299. L'article 180 porte que le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des époux peut être attaqué par celui dont le consentement n'a pas été libre. C'est le vice de violence. La violence, comme Pothier l'explique très-bien, n'empêche pas qu'il n'y ait consentement. Celui qui fait quelque chose par contrainte consent, quelque grande que soit la violence qu'on emploie pour l'y contraindre; car il s'y détermine par un acte réfléchi de sa volonté. Il préfère de faire ce qu'on le contraint de faire, plutôt que de s'exposer au mal dont on le menace; il veut donc le faire; de deux maux, il choisit le moindre. Pothier applique ce principe au mariage. Celui qui contracte un mariage par contrainte donne une espèce de consentement, mais ce consentement est vicié; en effet, le vrai consentement suppose la liberté. Le consentement que l'on donne sous l'empire de la violence est donc un consentement imparfait, et par suite le mariage est nul (2).

Il suit de là que la violence est seulement une cause de nullité du mariage; elle n'entraîne pas l'inexistence du mariage. Le premier consul a soutenu, au conseil d'Etat, que la violence pouvait rendre le mariage nul ou inexistant, selon les circonstances. Quand la violence, dit-il, a amené la personne violentée devant l'officier de l'état civil, et qu'elle déclare consentir, il y a une apparence de mariage que la cassation doit détruire. Dans tous les autres cas de violence, il n'y a pas même de mariage. Le premier consul suppose que la violence continue jusque devant l'officier de l'état civil, que c'est par la force que

1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 410, n° 254. (2) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 315.

l'on amène l'époux violenté devant l'officier public, et que c'est par la force qu'on lui arrache son consentement, Il faut encore supposer, ajouta Tronchet, que l'officier public lui-même est violenté; alors n'y ayant pas de consentement, il n'y a pas de mariage (1). En d'autres termes, la violence physique, au moment où le consentement est donné, fait qu'il n'y a pas de consentement. Dans les contrats ordinaires, cela peut se soutenir. Si l'on force ma main à tracer les caractères qui constituent ma signature, il est évident que je ne consens pas, et qu'en réalité le contrat sera inexistant. Mais ces principes reçoivent-ils une application au mariage? Nous en doutons. Les futurs époux doivent faire une déclaration verbale, prononcer un oui ou un non. Dès lors celui qui prononce un oui fait acte de volonté; il choisit entre deux maux le moindre, partant il consent et il y a mariage, mariage nul, cela va sans dire, mais mariage. On appliquera donc lcs principes qui régissent l'action en nullité, et non les principes sur le mariage inexistant.

300. Dans l'ancien droit, le rapt était régi par des règles particulières. Justinien décida que celui qui avait ravi une femme ne pourrait jamais se marier avec elle. Innocent III corrigea cette rigueur excessive, en permettant à la personne ravie de contracter mariage avec le ravisseur, si elle s'y déterminait librement. Pour assurer sa liberté, le concile de Trente exigea que la personne ravie fût mise hors de la puissance du ravisseur. La déclaration de 1639 est conçue dans le même sens (2). Dans le projet de code, il y avait une disposition analogue : « Il n'y a pas de consentement s'il y a eu rapt, à moins que le consentement n'ait été donné par la personne après qu'elle a recouvré sa pleine liberté. Cet article fut retranché comme inutile, les principes posés par le code suffisant pour décider la question. Si la personne ravie a recouvré sa liberté au moment où elle consent, son mariage sera pleinement valable. Que si elle est encore sous l'empire

(1) Séance du conseil d'Etat du 4 vendémiairė an x, no 38 (Locré, t. II, p. 330). (2) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 227 et suiv.

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