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de la violence, il y a lieu d'appliquer l'article 180; le mariage est nul. Le projet semblait dire que le mariage était plus que nul, qu'il n'y avait pas de consentement, donc pas de mariage. Mais il ne faut pas prendre au pied de la lettre les expressions dont les rédacteurs du code se sont servis en cette matière, car ils ignoraient la distinction des actes inexistants et des actes civils. Il faut donc décider la question d'après les principes. Or, les principes ne laissent pas de doute. Le code ne parle pas du rapt; dès lors la violence par rapt reste dans le droit commun, c'est-à-dire qu'il est une cause de nullité comme toute autre violence.

301. Dans l'ancien droit, on admettait un rapt de séduction. On entendait par là les mauvaises voies et les coupables artifices par lesquels on engageait une jeune personne à consentir à un mariage. Bien qu'il n'y ait aucune violence dans la séduction, on la regardait comme une espèce de rapt, et on l'appelait rapt de séduction. La séduction se présumait de droit lorsqu'un mineur se mariait sans le consentement de ses père et mère, tuteur ou curateur (1). On demande si le rapt de séduction existe encore dans notre droit civil. La question fut agitée un conseil d'Etat. Portalis remarqua que la disposition de l'ancien droit était inutile. Elle avait pour but de garantir les familles contre les entreprises d'un aventurier. Eh bien, nous avons un remède énergique contre ce danger, c'est la nécessité du consentement des ascendants et, s'il y a lieu, de la famille. Le refus de consentir suffit pour annuler le mariage. Que si la future est majeure, elle est régie par le droit commun; si elle cède à des séductions, à de mauvais artifices, comme dit Pothier, le consentement qu'elle donne n'en est pas moins valable. En effet, qu'est-ce que ces artifices, sinon les manoeuvres que nous appelons dol? Or, le dol ne vicie pas le consentement en fait de mariage. Dès lors il ne peut plus être question d'un rapt de séduction. C'est l'opinion commune des auteurs (2).

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 228, 229. (2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 56.

302. Un seul auteur a reproduit la doctrine de l'ancien droit, sous une nouvelle forme et en lui donnant encore une plus grande extension. Marcadé, comparant l'article 180 avec l'article 1109, remarque qu'au titre du Mariage la loi ne se sert pas du mot de violence; elle permet d'annuler le mariage dès que le consentement n'a pas été libre, ce qui implique que le mariage peut être annulé, alors même qu'il n'y aurait pas violence proprement dite. Même différence de rédaction entre les articles 181 et 1304; celui-ci fait courir le délai à partir du jour où la violence a cessé, tandis que le premier le fait courir du jour où l'époux a acquis sa pleine liberté. Supposons, dit Marcadé, qu'un jeune homme de vingt et un ans, qui n'a plus d'ascendants, se laisse séduire par une courtisane habile qui exploite son aveugle passion pour exiger le mariage. Il y a consentement, mais ce consentement n'est pas donné avec pleine liberté. Si ce jeune homme, désabusé, veut sortir de l'abîme dans lequel l'a jeté son inexpérience, s'il demande la nullité de son mariage, le repoussera-t-on parce qu'il n'y a pas eu violence? Ce serait pousser le malheureux à contracter des liaisons adultérines ou le condamner à un célibat perpétuel (1).

Cette théorie de la violence n'a pas trouvé faveur, pas plus que celle du même auteur sur le dol (2). Si nous la mentionnons, c'est pour donner à nos jeunes lecteurs le dégoût du verbiage juridique et des nouveautés téméraires. Y a-t-il une différence entre le consentement qui n'est pas libre et le consentement extorqué par la violence? Depuis que l'on écrit sur le droit, on enseigne précisément que le consentement doit être libre, et qu'il n'est pas libre quand il a été donné sous l'empire de la contraite. Un consentement qui n'est pas libre est donc un consentement vicié par la violence. Nous demandera-t-on pourquoi le législateur ne s'est pas servi du mot de vio-. lence? Par une raison très-simple. C'est qu'il y a deux espèces de violence, la violence matérielle consistant en

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 460, no 1.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t, III, p. 395, n° 250.

mauvais traitements et la violence morale consistant en menaces; c'est cette dernière qui est la seule, pour ainsi dire, que l'on emploie en fait de mariage; pour la comprendre dans la disposition de la loi, les auteurs du code ont employé l'expression la plus générale. Cela était inutile, puisque le mot de violence a un sens consacré par une tradition séculaire, mais enfin telle est l'intention du législateur. Le projet de l'article 180 portait : dont le consentement a été forcé. On proposa de dire : dont le consentement n'a pas été libre. Quelle est la raison de ce changement? Le Tribunat nous le dit : « On pense que ce léger changement rendra mieux la pensée tout entière de la loi, vu que la disposition s'appliquera dès lors beaucoup plus clairement au défaut de liberté morale comme au défaut de liberté physique (1). » Il ne s'agissait donc pas d'un changement de système, d'une innovation; on voulait seulement rendre la loi plus claire, en marquant par la rédaction nouvelle qu'elle s'appliquait à la violence morale comme à la violence physique.

Voilà pour les textes. Quant aux principes, la théorie imaginée par Marcadé confond les notions les plus élémentaires de droit. La séduction n'est jamais une violence; si on l'appelait rapt dans l'ancien droit, c'est que les mineurs étaient en quelque sorte ravis à leurs parents par le séducteur. Mais quant à celui-là même qui est séduit, les artifices dont on a usé n'ont pas détruit sa liberté, ils ont aveuglé sa raison. S'il consent au mariage, c'est par de mauvais mobiles, mais ces mobiles, loin de détruire sa volonté, la déterminent. Il veut plus fortement, il veut avec une force telle, qu'il n'écoute plus la raison. C'est une espèce de folie, mais une folie qui n'est pas un vice du consentement. Dit-on de celui qui est fou qu'il n'est pas libre? On ne peut pas le dire davantage du jeune homme que sa passion aveugle.

Que dire de la singulière morale de Marcadé? Quoi! Votre jeune homme commence par assouvir sa passion, puis quand il est rassasié, il faut que la justice brise le

(1) Observations de la section de législation du Tribunat, n° 15 (Locré, t. II, p. 369).

lien qu'il avait formé pour la contenter, il faut qu'elle l'aide à satisfaire une passion nouvelle. Sinon, ce malheureux sera contraint de se livrer à des amours adultérins, à moins que par un sublime héroïsme il ne se condamne à un célibat perpétuel! La justice ne pourrait-elle pas lui répondre Vous avez une femme légitime, vous l'aimiez à ce point que pour la posséder vous avez bravé toutes les convenances. En l'épousant, vous saviez que c'était une courtisane; vous vous êtes engagé à l'élever à vous; vous avez charge d'âme, remplissez-la, mais ne demandez pas que nous vous dégagions des obligations que vous avez contractées. La morale que vous invoquez exige, avant tout, que l'on soit fidèle à son devoir! »

303. Le code ne dit pas quels doivent être les caractères de la violence pour qu'elle vicie le consentement. Lorsqu'elle est physique, c'est évidemment une question de fait. Quant à la violence morale, le code en parle au titre des Obligations et il trace quelques règles qui la caractérisent. On demande si les articles 1111-1114 sont applicables au mariage. La plupart des auteurs sont d'avis qu'on doit les appliquer, et que si un tribunal décidait qu'il n'y a pas lieu à en faire l'application au mariage, son jugement serait sujet à cassation. Nous avons dit plus d'une fois qu'il y a une profonde différence entre le contrat de mariage et les autres contrats; le premier consul l'a formulée en disant que le mariage est l'union des âmes, tandis que les contrats se font par des motifs d'intérêt pécuniaire. De là suit que les principes généraux ne peuvent s'appliquer au mariage qu'avec des modifications. C'est bien pour cela que le code civil a un chapitre spécial sur les causes de nullité. Il suffit de lire les articles 1111 et suivants pour se convaincre qu'ils n'ont aucun rapport avec le mariage.

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Aux termes de l'article 1111, la violence exercée contre celui qui a contracté l'obligation est une cause de nullité, encore qu'elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite (1). La loi suppose,

(1) Demolombe, t. III, p. 191 et suiv., no 248. Duranton, t. II, p. 36 et s., n° 44-46, 48, 49.

ce qui est élémentaire, un créancier et un débiteur. Peuton parler de créancier et de débiteur, en fait de mariage? Quel est celui des époux au profit duquel la convention est faite? Les termes mêmes du texte résistent à toute application au mariage. Est-ce à dire que la violence doive être exercée par le conjoint pour être une cause de nullité? Non certes, mais nous n'avons pas besoin de l'article 1111 pour le décider ainsi; le bon sens et le silence de l'article 180 suffisent. Peu importe, en effet, qui exerce la violence; il suffit qu'elle existe pour que le consentement soit vicié. Aussi l'article 180 ne distingue pas, ce qui décide la question.

L'article 1112 dit « qu'il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes. » Est-ce que cela n'est pas vrai aussi pour le mariage? dit-on. Quoi, on écouterait un vieillard de soixante et dix ans, venant demander la nullité de son mariage parce qu'il aurait été violenté! La disposition de l'article 1112 a cependant été faite pour ceux dont l'âge affaiblit la force de volonté. Ecouterait-on davantage celui qui viendrait dire qu'il a craint d'exposer sa fortune à un mal considérable, s'il ne se mariait pas? Cela ne se conçoit même pas en fait de mariage; et si cela se concevait, on renverrait le plaignant en lui disant que le mariage est l'union des âmes. Nous demandera-t-on quand il y aura violence, viciant le consentement des conjoints? Le texte de 180 répond à la question : quand le consentement n'a pas été libre. Question de fait, comme l'avouent ceux-là mêmes qui disent qu'il y a lieu d'appliquer l'article 1112.

L'article 1113 porte : « La violence est une cause de nullité du contrat, non-seulement lorsqu'elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu'elle l'a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. » Est-ce que le législateur a songé au mariage en écrivant cette disposition? Sur trois cas qu'elle prévoit, il y en a deux qui ne regardent pas la jeune fille

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