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que l'on a forcée d'épouser l'homme qu'elle n'aime point. Et le troisième lui est-il applicable? C'est précisément un ascendant, c'est le père qui a contraint sa volonté. Conçoit-on une violence exercée sur le père pour contraindre la fille à se marier? Il faudrait imaginer un roman pour trouver des circonstances dans lesquelles l'article 1113 pourrait recevoir son application.

Reste l'article 1114: « La seule crainte révérencielle envers le père, la mère ou autre ascendant, sans qu'il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. » Voilà la seule disposition qui soit de nature à pouvoir être appliquée au mariage. Le juge le pourra faire, par analogie, parce qu'il y a même raison de décider. Mais l'article 1114 n'existerait pas, que les magistrats doués d'un peu de bon sens auraient néanmoins décidé qu'il n'y a pas de vice de violence là où il n'y a pas eu de violence exercée. » C'est presque une niaiserie de le dire.

§ III. Des promesses de mariage.

304. Les promesses de mariage étaient très-usitées dans l'ancien droit, sous le nom de fiançailles. Pothier dit que le mariage a coutume d'être précédé de fiançailles, bien que cela ne soit pas de nécessité. Il définit les fiançailles une convention par laquelle un homme et une femme se promettent réciproquement qu'ils contracteront mariage ensemble. » Quel était l'effet de cette promesse? était-elle obligatoire en ce sens que les fiancés pouvaient être forcés de consentir au mariage? Les termes mêmes de la question impliquent qu'elle doit être décidée négativement; le consentement, en fait de mariage, ne se donnant que lors de la célébration, et ce consentement devant être libre, une convention antérieure qui détruirait cette liberté serait essentiellement nulle. Aussi les fiançailles n'étaientelles pas obligatoires en ce sens; elles ne produisaient qu'un engagement moral. C'était le juge d'église, l'official qui connaissait des fiançailles. Si elles avaient été valablement contractées, l'official exhortait la partie à accomplir son engagement, mais il ne pouvait la condamner à l'exé

cution ni l'y contraindre par censures ecclésiastiques. Si la partie persistait dans son refus, l'official prononçait la dissolution des fiançailles en lui imposant une pénitence pour son manque de foi, c'est-à-dire quelques prières. ou une légère aumône. Sans doute, dit Pothier, celui qui refuse de tenir sa promesse manque à la foi donnée et reçue; mais on doit tolérer ce manque de foi comme un moindre mal, pour éviter de plus grands maux que pourrait occasionner un mariage qui serait contracté par contrainte (1).

L'on admettait encore, dans l'ancien droit, que les fiançailles, en cas de non-exécution, donnaient lieu à des dommages-intérêts. Comme la promesse de mariage était valable, on appliquait le principe formulé par l'article 1142 du code Napoléon, que toute obligation de faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur. Mais il y avait un danger dans cette doctrine. Dans les contrats ordinaires, tout étant une question d'argent, on conçoit que le débiteur soit condamné à des dommages-intérêts; c'est un moyen légitime de le forcer à tenir son engagement. Mais les fiançailles, bien qu'étant valables, ne devaient pas contraindre la volonté des fiancés. Il fallait donc veiller à ce que la condamnation aux dommages-intérêts ne devînt pas une contrainte indirecte.

Il était d'usage que les fiancés se donnassent réciproquement des arrhes. Celle des parties qui, sans aucun juste sujet, refusait d'accomplir son engagement, devait rendre à l'autre les arrhes qu'elle avait reçues et perdre celles qu'elle avait données. Mais Pothier ajoute cette restriction pourvu qu'elles ne soient pas trop considérables, eu égard à la qualité et aux facultés des parties. Quelle est la raison de cette réserve? Lorsque les arrhes excédaient de beaucoup la somme à laquelle s'élevaient les dommages-intérêts résultant de l'inexécution des promesses, on permettait à la partie qui se dédisait, fût-ce sans juste motif, de répéter les arrhes qu'elle avait données, sous la déduction seulement de la somme que le juge fixait pour

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 23 et 51.

dommages-intérêts réels résultant de l'inexécution de la promesse de mariage. La raison en est, dit Pothier, qu'il est d'une extrême importance pour le bien de la société civile que les mariages soient parfaitement libres; une partie ne doit donc pas être mise dans la nécessité de contracter un mariage contre son gré, par la crainte de souffrir une trop grosse perte, si elle refusait d'accomplir la promesse de mariage pour l'exécution de laquelle elle avait donné des arrhes trop considérables. On appliquait le même principe aux clauses pénales que les fiancés stipulaient, afin d'assurer l'exécution de leurs promesses. Les tribunaux n'y avaient aucun égard, dit Pothier, lorsque la somme ou la chose promise excédait ce qui pouvait être dú pour les dommages et intérêts (1). Dans notre ancien droit belgique, on allait plus loin; la clause pénale était nulle, bien que la promesse de mariage fût licite (2). Cela n'est pas contradictoire; le code civil admet aussi que la clause pénale peut être nulle, quoique l'obligation principale soit valable (art. 1227). Dans l'espèce, la peine était nulle parce qu'elle compromettait la liberté du mariage, qui est d'ordre public, tandis que la simple promesse laissait aux fiancés toute leur liberté.

Que la clause pénale fût considérée comme nulle ou comme valable, cela importait peu, après tout. Il y avait toujours lieu à dommages et intérêts. Pothier nous dit quelles étaient les règles d'après lesquelles le juge en évaluait le montant. Les dépenses que les recherches de mariage ont occasionnées, dit-il, la perte de temps qu'elles ont causée à celui qui se plaint de l'inexécution des fiançailles, sont les objets les plus ordinaires de ces dommages et intérêts. L'affront que souffre la partie à qui on a manqué de foi y peut aussi quelquefois entrer, ajoute Pothier, s'il y a lieu à craindre qu'il ne nuise à son établissement avec un autre (3).

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 43 et 44.

(2) De Ghewiet cite un arrêt du conseil de Flandre et un jugement des échevins de Tournai qui l'ont décidé ainsi (Institutions au droit belgique, 1re partie, titre II, § 16, article 14).

(3) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 53

305. Les détails dans lesquels nous sommes entré sur l'ancien droit décident d'avance la question, vivement controversée, de savoir si, sous l'empire du code Napoléon, les promesses de mariage sont valables, si les clauses pénales le sont, et s'il y a lieu à des dommages et intérêts. On sait que les fiançailles ne sont plus usitées, ce qui n'empêche pas les promesses de mariage d'être très-fréquentes, comme on le voit par le nombre considérable d'arrêts rendus sur cette matière. Toullier enseigne que les promesses de mariage sont valables (1). Il défend trèsbien sa thèse, quoique, d'après nous, elle soit insoutenable. Le code né dit rien des promesses de mariage ni de l'effet des clauses pénales qui y seraient ajoutées. Il en résulte, dit Toullier, que ces questions doivent être décidées suivant les principes généraux qu'il a établis. Ces principes sont élémentaires Toute obligation de faire, dit l'article 1142, se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution. Telle est la règle générale. Les promesses de mariage sont une obligation de faire, donc elles sont régiés par la disposition que nous venons de citer; car la loi est générale, elle emploie les expressions les plus étendues que l'on puisse employer: toute obligation de faire. Est-il nécessaire d'ajouter que le mot faire, dans le langage juridique, comprend toute espèce d'action? Les jurisconsultes romains le disent, et cela ne fait aucun doute. Dès lors la question est décidée. Pour que les promesses de mariage ne fussent pas régies par le principe général de l'article 1142, il faudrait une exception positive; or, elle né se trouve pas dans le code, et les juges ne peuvent la suppléer sous aucun prétexte, car c'est un axiome que les exceptions qui ne sont pas dans la loi ne doivent pas être suppléées.

L'argument paraît irrésistible, et il a fait impression sur un esprit très-logique. Merlin se prononce, sans hésiter, pour l'opinion de Toullier. La cour de cassation l'avait cependant réprouvée, au moment où Toullier écrivait; mais Merlin ne doute pas que les raisons données par

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(1) Toullier, Le droit civil français,t. VI, no 293-303, p. 305 et suiv,

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Toullier ne finissent par triompher. Il défie presque ses adversaires d'y répondre. "Oserait-on bien, s'écrie-t-il, mettre en thèse que les promesses de mariage sont réprouvées par le code civil? Oserait-on bien tirer du silence du code civil sur ces promesses, une autre conséquence, si ce n'est qu'il ne les assujettit pas à des règles spéciales et qu'il les laisse sous l'empire commun des contrats (1)? Voilà un exemple frappant de la confusion que nous ne cessons de signaler, confusion qui tend à appliquer au mariage les principes du droit commun. Au défi de Merlin nous n'hésitons pas à répondre : Oui, nous osons soutenir que le silence du code sur les promesses de mariage suffit pour décider que le code ne les admet pas. Autres sont les principes généraux qui régissent les contrats d'intérêt pécuniaire, autres sont les règles qui concernent le mariage. L'obligation de faire suppose qu'il y a un débiteur et un créancier; l'article 1142 dit que le débiteur est condamné à des dommages et intérêts, s'il n'exécute pas l'obligation, qu'il a contractée, de faire. Est-ce que, dans les promesses de mariage et dans le mariage, il y a un créancier et un débiteur? Chose remarquable! Toullier, en transcrivant l'article 1142, omet les mots : de la part du débiteur. Sa plume s'est refusée à transcrire des mots qui jurent avec la doctrine qu'il soutient. Non, une promesse de mariage n'est pas une promesse faite par un débiteur à son créancier. Le mariage est le lien de deux âmes; ce mot n'est pas d'un poëte ni d'un philosophe; il a été prononcé, au sein du conseil d'Etat, par un esprit éminemment positif, par le premier consul. Qu'est-ce qui forme l'essence de cette union, au point de vue juridique? La liberté la plus absolue au moment où elle se célèbre. Dès lors, la promesse de mariage ne peut pas engendrer un lien de droit; c'est dire qu'elle n'est pas obligatoire, donc elle est nulle. Pour l'admettre, il faudrait une disposition expresse dans le code; il suffit qu'il garde le silence pour que la promesse ne soit pas valable.

306. Toullier et Merlin invoquent l'ancien droit. A vrai

(1) Merlin, Répertoire, au mot Peine contractuelle, § 1 (t. XXIII, p. 102)

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