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mariage projeté ne peut, par lui-même, motiver une condamnation à des dommages et intérêts, puisque ce serait, sous une nouvelle forme, porter atteinte à la liberté du mariage (1). » Si donc il y a lieu de condamner à des dommages et intérêts celui qui a manqué à une promesse de mariage, on ne peut pas fonder cette condamnation sur un engagement contractuel. La vraie raison de décider se trouve dans l'article 1382, aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. C'est donc en vertu d'un délit civil ou d'un quasi-dělit que des dommages et intérêts sont prononcés contre celui qui manque à une promesse de mariage: il y est tenu, non parce qu'il a fait une promesse, mais parce que, ensuite de cette promesse, l'autre partie a éprouvé un dommage soit matériel, soit moral (2). S'il y a dommage matériel, il n'y a aucun doute; la jurisprudence nous en offre de nombreux exemples. La cour de Metz a alloué des dommages et intérêts au fiancé, la future ayant refusé de tenir sa promesse cas assez rare, comme le dit l'arrêt, mais les principes ne laissaient aucun doute. En effet, l'arrêt constate que, par suite de la promesse de mariage, le jeune homme avait fait des dépenses, qu'il avait fait des acquisitions onéreuses pour lui, qui maintenant devenaient inutiles. Il y avait lieu évidemment d'appliquer l'article 1382 (3). La question est plus délicate quand il s'agit d'un dommage moral, ce que Pothier appelle un affront. Dans l'ancien droit, on l'admettait comme cause légitime de dommages et intérêts; mais n'est-ce pas parce que les promesses de mariage étaient considérées comme valables? Dans notre nouveau droit, elles sont nulles; s'il n'y a pas de dommage matériel causé, peut-il y avoir lieu à dommages et intérêts, fondés sur ce que la jeune fille qui éprouve un refus éclatant trouverà plus difficilement à s'établir? N'est-ce pas donner un effet à la promesse de

(1) Arrêt du 11 juin 1838 (Dalloz, au mot Mariage, no 90, 4o).

(2 Arrêt de la cour de cassation du 30 mai 1838 (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 82, 4o).

(3) Arrêt du 18 juin 1818 (Dalloz, au mot Mariage, no 88, 2o),

mariage considérée en elle-même? La jurisprudence prononce des dommages et intérêts pour le dommage moral aussi bien que pour le dommage matériel. Considérant, dit la cour de Colmar, que l'intimé a refusé d'épouser M. B..., lorsque déjà leurs conventions matrimoniales étaient conclues, et retenues dans un contrat authentique et solennel; que ce refus n'est fondé sur aucun motif déterminant; que l'éclat et la publicité dont il a été accompagné sont de nature à porter une grave atteinte à la réputation de l'appelante dans l'opinion publique, et qu'ils peuvent mettre obstacle à ce qu'elle puisse contracter d'autres liens (1). Cette jurisprudence est fondée sur les principes généraux du droit. L'atteinte portée à la réputation et à l'honneur des personnes donne lieu à une action. en dommages et intérêts, fondée sur l'article 1382 du code. Il y a délit civil, s'il y a dol ou dessein de nujre; il y a quasi-délit, s'il n'y a que légèreté ou caprice; dans tous les cas, les dommages et intérêts dérivent non pas d'une promesse de mariage considérée comme valable, mais d'un fait dommageable (2).

D'après le droit commun, les dommages et intérêts comprennent, outre la perte que le créancier a faite, le gain dont il a été privé (art. 1149). M. Demolombe demande și l'on devrait écouter le futur délaissé qui viendrait dire : « J'allais faire un brillant mariage, le contrat m'assurait une donation de 100,000 francs; c'est par la déloyauté de ma future que je perds cet avantage; donc elle doit m'en indemniser. Non, jamais un langage pareil n'a été tenu devant un tribunal, et c'est rendre un mauvais service à la science du droit que de discuter ces questions oiseuses, car elles font dégénérer la jurisprudence en scolastique. Un mot suffirait pour repousser de pareilles prétentions, si l'on avait l'impudence de les produire en justice, c'est le mot du premier consul: Le mariage n'est pas une affaire, c'est l'union des âmes !

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309. Puisque c'est par suite d'un délit ou d'un quasi

(1) Arrêt du 23 janvier 1833 (Dalloz, au mot Mariage, no 88, 4o). Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 47 et suiv., no 30.

délit que les dommages et intérêts sont prononcés, il faut qu'il y ait dol ou au moins faute de la part de celui qui manque à sa promesse. S'il avait de justes raisons de ne pas la tenir, il n'y a plus ni délit ni quasi-délit; celui qui a le droit de faire ce qu'il fait n'est pas tenu de réparer le dommage qu'il cause, car il ne fait de tort à personne. On appliquait ce principe dans l'ancien droit, bien que les promesses de mariage fussent valables; à plus forte raison faut-il le décider ainsi dans notre droit civil moderne, qui ne tient aucun compte de la promesse, mais seulement du fait dommageable. Nous citerons quelques applications d'après Pothier et la jurisprudence.

Lorsque l'une des parties a manqué à la foi qu'elle avait donnée, l'autre est dégagée envers elle de son engagement. Si donc, dit Pothier, l'une des parties peut prouver que l'autre a commis fornication depuis les fiançailles, elle peut les rompre et il n'y aura pas lieu à dommages et intérêts. Un arrêt de la cour de Rouen a fait l'application de ce principe à un cas où la fiancée était devenue enceinte après la promesse de mariage. C'est, dit l'arrêt, un motif légitime pour le futur de se refuser à l'exécution des promesses contenues au contrat de mariage; ce qui suffit pour rejeter l'action en dommages et intérêts (1).

De même, dit Pothier, lorsque, postérieurement aux fiançailles, il survient un fait qui eût certainement empêché de les contracter, le contrat est résolu, en ce sens qu'il ne peut donner lieu à des dommages et intérêts. Il applique ce principe même à un changement de fortune ou de position, bien entendu s'il en résulte que les futurs ne seraient plus en état de supporter les charges du mariage. C'est un devoir alors de rompre des engagements devenus inexécutables. Dans notre droit moderne, il faut dire qu'il n'y a plus ni délit ni quasi-délit; par conséquent il ne saurait être question de dommages et intérêts (2).

310. Celui qui intente l'action en dommages et intérêts est-il admis à faire la preuve du fait dommageable

(1) Arrêt du 20 mars 1813 (Dalloz, au mot Mariage, no 86, 1o).

(2) Pothier, Traité du contrat de mariage, n° 59 et suiv. Demolombe, t. III, p. 44, no 29.

par temoins? Il y a une raison de douter. Les dommages et intérêts sont prononcés non en exécution de la promesse de mariage, mais en vertu de l'article 1382, c'est-à-dire en vertu d'un délit ou d'un quasi-délit. Or, aux termes de l'article 1348, n° 1, la preuve testimoniale est admissible quand l'obligation résulte d'un délit ou d'un quasi-délit. Če texte semble décider la question et il a entraîné M. Demolombe (1). Nous croyons que cette interprétation est en contradiction avec le principe même sur lequel repose la disposition que l'on invoque. L'article 1348 commence par dire que les règles sur la prohibition de la preuve testimoniale reçoivent exception lorsqu'il n'a pas été possible au créancier de se procurer une preuve littérale de l'obligation qui a été contractée envers lui. C'est donc à raison de l'impossibilité de se procurer une preuve littérale que le demandeur peut prouver le délit ou le quasi-délit par témoins; d'où suit que l'exception doit être restreinte dans les limites de cette impossibilité. Si donc, dans un délit ou dans un quasi-délit, il y a un fait dont on a pu se procurer une preuve par écrit, nous ne sommes plus dans le cas de l'exception, nous rentrons dans la règle qui est la prohibition de la preuve testimoniale. Cela est élémentaire et cela décide la question. Rien de plus possible que de se procurer une preuve littérale d'une promesse de mariage; donc il n'y a pas lieu à l'exception, la preuve testimoniale n'est pas admise. Quant aux faits qui ont occasionné le dommage, les dépenses, les pertes, il va sans dire qu'on peut les prouver par témoins. C'est l'application d'un principe général les faits matériels qui par eux-mêmes ne produisent ni droit ni obligation, peuvent toujours se prouver par la preuve testimoniale.

(1) Domoiombe, Cours de cole Napoléon, t. III, p. 57, oo 33.

SECTION III. Du consentement des ascendants et de la famille.

§ 1er. Consentement des ascendants.

N° I. DANS QUELS CAS LE CONSENTEMENT DES ASCENDANTS EST-IL NÉCESSAIRE POUR LA VAlidité du MARIAGE?

311. D'après le droit canonique, le consentement des père et mère n'était pas nécessaire pour la validité du mariage, alors même que les enfants étaient mineurs. Merlin dit que cette règle, consacrée par le concile de Trente, n'était pas observée en France: l'ordonnance de Blois défendait aux curés de passer outre à la célébration desdits mariages, s'il ne leur apparaissait du consentement des pères, mères, tuteurs ou curateurs, sur peiné d'être punis comme fauteurs du crime de rapt (1). » Quelle est la raison de cette différence entre le droit canonique et le droit civil? Nous n'hésitons pas à le dire : Le droit civil, en ce point, est bien plus moral que le droit canon. L'Eglise sacrifie tout au sacrement; l'enfant de douze ans est considéré comme capable de recevoir le sacrement de mariage; dès lors l'Eglise passe outre, en méconnaissant l'autorité paternelle, disons mieux, au préjudice des enfants qui se marient en foulant aux pieds le respect qu'ils doivent à leurs père et mère.

Il y a des raisons décisives, toutes puisées dans l'intérêt même des enfants, qui s'opposent à ce qu'ils contractent mariage sans le consentement de leurs ascendants. Tant qu'ils sont mineurs, la loi aurait pu et dû leur défendre de se marier; incapables des actes ordinaires de la vie, ne pouvant disposer de la moindre partie de leurs biens, comment seraient-ils capables de disposer de leur liberté, de leur avenir? Si la loi permet le mariage aux mineurs, ce ne peut être que dans un intérêt de moralité; mais la loi a beau déclarer que le mariage peut avoir lieu à l'âge

(1) Merlin, Répertoire, au mot Empêchements de mariage, § 5, article 2,

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