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formalité substantielle? M. Arntz le dit (1), et au point de vue des principes généraux de droit, il a raison. On ne conçoit pas d'acte sans signature; c'est la signature de l'officier public qui atteste sa présence à l'acte et qui lui imprime l'authenticité. Quand l'acte n'est pas signé, l'officier de l'état civil n'est pas présent, dans la rigueur du droit, et peut-il y avoir un acte authentique sans que l'officier compétent y intervienne? Cependant il a été jugé que le défaut de signature de l'officier de l'état civil n'était pas une cause de nullité. La cour de Bruxelles a décidé que le procureur du roi peut demander d'office la rectification les actes non signés (2). Cela suppose que les actes, quoique dépourvus de signature, existent aux yeux de la loi, et qu'il s'agit seulement de les rectifier. La cour ne motive pas sa décision en ce point, ce qui semble dire que la question n'est pas même douteuse. Il y a cependant plus que doute, il y a dérogation à un principe de droit commun. On peut la justifier en soutenant que les auteurs du code ont voulu abandonner la question des nullités à la prudence du juge. Mais n'est-ce pas aller trop loin que d'appliquer cette maxime à un défaut substantiel? Le cas s'est présenté en France, et l'on a eu recours au pouvoir législatif. Un décret du 19 floréal an II autorisa le plus ancien des officiers municipaux à apposer sa signature à plusieurs actes qui n'avaient point été signés par l'agent national. Un décret du 18 pluviôse an III ordonna aux officiers civils de Nantes de signer les actes que leurs prédécesseurs avaient laissés sans signature.

Si les parties intéressées n'avaient pas signé, l'acte ne serait pas nul. La différence est grande entre les comparants et l'officier; si les parties doivent signer, c'est une garantie que la loi établit en leur faveur; il ne faut pas qu'elle tourne contre elles. La présence de l'officier et sa signature suffisent pour imprimer l'authenticité à l'acte. Donc l'acte existe quoique les parties ne le signent point. S'il en est autrement pour les actes notariés, c'est que les

(1) Arntz, Cours de droit civil français, t. Ier, p. 73, no 155. (2) Arrêt de la cour de Bruxelles du 18 février 1852 (Pasicrisie, 1852, 2, 250). Comparez Coin-Delisle, Commentaire analytique, p. 20, no 2.

parties qui y figurent contractent des obligations; tandis que les actes de l'état civil constatent simplement des faits, et à la rigueur l'attestation de l'officier public suffirait pour cela. En tout cas, on rentre dans la règle que les auteurs du code suivent en cette matière : pas de nullité de droit.

26. La présence des témoins exigés par la loi est-elle une formalité substantielle? C'est l'avis de M. Arntz, et il nous paraît aussi fondé sur les vrais principes. Dans les actes solennels, les témoins représentent la société; leur présence est donc aussi nécessaire que celle de l'officier public pour imprimer l'authenticité à l'acte qu'il reçoit. Tel est, sans aucun doute, le droit commun. Mais le code Napoléon n'y a-t-il pas dérogé en ce qui concerne les actes de l'état civil? Nous le croyons. Certes la célébration du mariage est l'acte où la présence des témoins est le plus nécessaire. Néanmoins le mariage ne serait pas nul par cela seul qu'il n'y aurait pas eu le nombre de témoins prescrit par la loi. A plus forte raison ne peut-on pas considérer leur présence à l'écrit rédigé par l'officier public comme une formalité substantielle. Nous rentrons plutôt dans la règle générale qui domine cette matière. Pas de nullité de droit, sauf au juge à décider d'après les circonstances (1).

27. Par la même raison, l'inobservation d'une formalité prescrite par la loi pour la rédaction des actes n'en entraîne pas la nullité. La plus grave des irrégularités est certainement de recevoir un acte après le délai fatal établi par le code. Nous avons dit qu'un avis du conseil d'Etat exige en ce cas un jugement. Si l'officier de l'état civil inscrit l'acte sans y être autorisé par le juge, y aura-t-il nullité? Il a été décidé que l'acte n'était pas nul. En effet, l'inscription tardive n'est pas frappée de nullité. Nous restons donc sous l'empire du principe général (2).

(1) Coin-Delisle, Commentaire analytique du titre II, art. 39, no 2, p. 21. (2) Arrêt de la cour d'Angers du 20 août 1821 (Dalloz, Répertoire, au mot Actes de l'état civil, no 410). Merlin dit que l'acte inscrit tardivement ne ferait pas foi (Répertoire, au mot Naissance, § 4). M. Demolombe s'en rapDorte à l'appréciation du juge (t. Ier, p. 474, no 292 .

La cour d'Angers a décidé, dans la même espèce, qua l'acte de naissance n'est pas nul, parce que l'enfant, déjà inhumé, n'a pas été présenté à l'officier de l'état civil (1). Si l'acte n'est pas nul en ce cas, toujours est-il qu'il ne fera pas foi jusqu'à inscription de faux de la naissance et de la vie, puisque l'officier public ne peut pas constater ce qu'il n'a pas vu; il se borne à recevoir les déclarations des comparants. Il a encore été jugé que l'acte de naissance n'est pas nul, encore qu'il ne mentionne ni l'âge du père et de la mère, ni même le lieu de naissance (2). Toujours par application du principe général qu'en cette matière il n'y a pas de nullité de droit.

N° 2. SANCTION.

28. Le législateur n'a pas voulu de nullité, parce que l'annulation des actes de l'état civil aurait compromis l'état des personnes. Cependant, à raison même de leur importance, les lois qui régissent cette matière devaient avoir une sanction quelconque. Les auteurs du code Napoléon l'ont placée dans la responsabilité pénale et civile des officiers publics chargés de la rédaction des actes. Après avoir énuméré les formalités qu'ils doivent observer, le code ajoute (art. 50) que toute contravention sera punie d'une amende qui ne peut excéder cent francs. Il faut y ajouter les peines établies par le code pénal pour le faux, et pour l'inscription des actes sur une feuille volante (code pénal, art. 363 et s.). C'est le procureur impérial qui est chargé de vérifier les registres lors du dépôt qui en est fait au greffe; il constate en même temps les contraventions et dirige les poursuites contre les coupables (art. 53). L'amende établie par l'article 50 est prononcée par le tribunal de première instance; cette dérogation au droit commun a été admise dans l'intérêt des officiers publics, dont la plupart ne sont coupables que d'ignorance.

Il y a de plus une responsabilité civile. D'abord les offi

(1) Ariét du 25 mai 1822 (Dalloz, loc. cit.).

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Actes de l'état civil.

ciers publics sont responsables du dommage qu'eux-mêmes causent soit par leurs délits (art. 52), soit par leurs quasidélits (art. 1382 et s.). Dans notre titre, le code ne parle pas du dommage qui peut résulter de l'imprudence ou de la négligence des officiers de l'état civil. Mais il n'est pas douteux que le principe des articles 1382 et suivants ne leur soit applicable. Ce principe est général et s'applique à tous les fonctionnaires qui, dans l'exercice de leurs fonctions, lèsent les intérêts des citoyens obligés de s'adresser à eux. De plus les dépositaires des registres, greffiers et collége des bourgmestre et échevins, sont civilement responsables des altérations qui y seraient faites, sauf leur recours contre les coupables (art. 51).

§ III. De la rectification des actes de l'état civil.

29. Le projet du titre II admettait deux espèces de rectification; la première se faisait par voie administrative et d'office; la seconde, par jugement et sur la demande des parties intéressées. Quand le procureur impérial, en vérifiant les registres, constatait des irrégularités, il requérait les parties et les témoins de comparaître devant le même officier de l'état civil pour rédiger un nouvel acte; cela était ordonné par le président du tribunal et exécuté dans les dix jours par l'officier public (1). Il n'y avait ni jugement ni débat contradictoire. Ce mode de rectification fut rejeté par le conseil d'Etat. Thibaudeau dit que les registres de l'état civil étaient un dépôt sacré, que nulle autorité n'avait le droit de rectifier d'office les actes qui y étaient inscrits, parce que les erreurs et les omissions qui s'y rencontraient ouvraient des droits à des tiers. La rectification officieuse serait donc le plus souvent inutile, parce qu'on ne pourrait l'opposer aux tiers qui n'y étaient point appelés, puisqu'elle se faisait sans contradiction des parties intéressées. Cambacérès ajouta que l'état des hommes étant une propriété, il ne pouvait

(1) Locré, Legislation civile, t. II, p. 32, art. 13.

être changé que par la décision des magistrats, gardiens de toute espèce de propriétés (1). Il va sans dire que cela n'empêche pas de corriger les erreurs dont on s'aperçoit au moment même où les actes sont rédigés : ces corrections se font par des renvois qui font partie de l'acte. Mais quand l'acte est rédigé et signé, l'officier public ne peut plus y apporter de modification. S'il y a lieu de le rectifier, cela se fait par jugement. Le jugement est inscrit sur les registres, et mention en est faite en marge de l'acte rectifié (art. 101).

30. Qui peut demander la rectification? Le principe est que les parties intéressées peuvent seules poursuivre la rectification des actes de l'état civil. C'est par exception seulement que le ministère public le peut. Pour agir, il faut un intérêt né et actuel. C'est le droit commun. Il a été jugé que celui qui manifeste l'intention de se charger de la tutelle officieuse d'un enfant n'a pas un intérêt né et actuel qui l'autorise à demander la rectification de l'acte de naissance de cet enfant (2). Est-ce à dire qu'il faille un intérêt pécuniaire? Non. Si dans l'espèce la tutelle officieuse avait déjà commencé, il est certain que le tuteur aurait eu qualité pour demander la rectification, quoiqu'il n'y eût eu aucun intérêt pécuniaire. A plus forte raison l'honneur de la famille, intéressée à ce que des étrangers n'usurpent pas un nom qui ne leur appartient pas, suffit-il. Si un enfant est porté sur un acte de naissance comme né d'un père désigné, celui-ci aura, du jour même de cette inscription, le droit de le faire rectifier, quoiqu'il n'y ait encore aucun intérêt pécuniaire (3).

31. Le code Napoléon ne donne pas au ministère public le droit de poursuivre d'office la rectification des actes de l'état civil; il veut seulement qu'il soit entendu (art. 99). Cependant la doctrine et la jurisprudence lui reconnaissent

(1) Séance du conseil d'Etat du 12 brumaire an x (Locré, t. II p. 57, n° 1 et 2).

(2) Arrêt de la cour de Lyon du 11 mars 1842 (Dalloz, Répertoire, au mot Actes de l'état civil, no 434).

(3) Arrêt de la cour de Paris du 19 avril 1834 (Dalloz, au mot Actes de l'état civil, no 426). Comparez Coin-Delisle, Commentaire analytique du titre II, p. 85, nos 7-9.

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