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et la mère, n'étant pas consultée, ne peut pas donner son conseil; donc il n'y a pas d'acte respectueux en ce qui la concerne c'est plus que nullité (1).

Il ne suffit pas que le conseil soit demandé, il faut aussi une preuve légale qu'il l'a été. Cela est de droit commun pour toute notification. Si donc il y a lieu de demander le conseil du père et de la mère, il faut, sous peine de nul-. lité, qu'une copie soit laissée à chacun d'eux (2). Quand les père et mère ne se présentent pas lors de la notification, il faut que le notaire laisse une copie pour chacun d'eux; une copie unique, portant qu'elle est laissée pour les père et mère, ne remplirait pas le vœu de la loi. La mère et le père ont un droit individuel à donner à leur enfant les conseils qu'il doit leur demander; peu importe qu'ils soient absents, il faut du moins qu'il soit constaté légalement que l'enfant les a mis à même de lui donner conseil (3). C'est ce que Merlin établit fort bien contre un arrêt de la cour de Bruxelles, qui était partie de ce faux principe qu'une seule copie suffit, lorsqu'un acte est signifié à plusieurs individus ayant le même domicile, pour une affaire qui leur est commune, quoique chacun y ait un intérêt distinct et personnel. Il y a plus qu'un intérêt, il y a un droit, et quand le droit est méconnu, il faut dire que l'acte est plus que nul; en réalité, il n'existe pas, car un acte solennel n'existe que lorsqu'il a été constaté légalement (4).

337. L'acte respectueux est en essence un acte par lequel l'enfant demande le conseil de ses ascendants. C'est donc lui qui est partie principale, c'est lui qui doit parler, c'est lui qui doit prier ses ascendants de lui donner conseil pour le mariage qu'il se propose de contracter, et auquel ceux-ci refusent de consentir. Si la loi ne lui fait pas une obligation de requérir ce conseil en personne, c'est qu'elle craint des scènes fâcheuses entre un père irrité et un enfant dominé par la passion. Mais du moins faut-il

que le

(1) Arrêt de Douai du 25 janvier 1815 (Dalloz, au mot Mariage, no 171, 3o). (2) Arrêt de Paris du 10 mars 1825 (Dalloz, au mot Muriage, no 177). (3) Arrêt d'Amiens du 18 janvier 1840 (Dalloz, au mot Mariage, no 180). (4) Merlin, Questions de droit, au mot Acte respectueux, § 3, 3e question.

notaire parle en son nom, et place dans la bouche de l'enfant la réquisition faite au père. Sans demande directe de conseil, l'acte est nul. Si donc l'enfant a donné pouvoir au notaire de demander le conseil de ses ascendants, et que le notaire se borne à lire ce mandat, il n'y a réellement pas d'acte respectueux. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes sur ce point (1).

La demande de conseil doit être renouvelée deux fois, dit l'article 152, tant que l'enfant n'a pas atteint l'âge de vingt-cinq ou de trente ans. Qu'entend-on par ce renouvellement? Le mot même le dit : c'est une nouvelle demande de conseil. Il ne suffit donc pas, comme l'a décidé une cour, de donner copie du premier. La doctrine et la jurisprudence se montrent plus exigeantes; pour mieux dire, le texte et l'esprit de la loi veulent que le notaire fasse chaque fois un acte nouveau. Il est dans l'esprit de la loi que ces nouveaux actes ne soient pas la simple répétition du premier; les convenances exigent que le fils fasse connaître les raisons pour lesquelles il persiste dans son projet, malgré le refus de l'ascendant. Si donc le notaire se borne à signifier copie du premier acte, il y a nullité (2).

Les tribunaux sont disposés, en cette matière, à dépasser les exigences de la loi; on les voit presque toujours prendre parti pour les ascendants contre les enfants. C'est un sentiment louable, mais le juge n'a pas le droit d'écouter son cœur, il doit être impassible comme la loi; si on lui permettait de s'en écarter, il pourrait parfois céder à de mauvaises inspirations. Il a été jugé que les actes respectueux faits en vertu d'une procuration générale de les renouveler sont nuls comme irrévérenciels; donner d'avance le pouvoir de renouveler les actes, n'est-ce pas déclarer la volonté de rester sourd à toutes les représentations que l'ascendant pourra faire? Il y a plusieurs arrêts en ce sens; mais il y en a aussi pour l'opinion contraire, qui est celle de Merlin. Si réellement il résultait de

(1) Merlin, Questions de droit, au mot Acte respectueux, § 3, 1re quzation. Voyez les arrêts dans Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 160.

(2) Arrêt de Rennes du 9 octobre 1818 (Dalloz, au mot Mariage, no 168),

la procuration générale donnée par l'enfant qu'il y a irrévérence de sa part, l'acte serait nul, car il ne serait plus respectueux. Mais le fait seul d'un pouvoir général n'implique pas un manque de respect. Il faut se placer dans la réalité des choses. Quand l'enfant fait des actes respectueux, c'est après un long conflit avec ses parents les ascendants sont décidés à ne pas céder, et l'enfant est décidé à persister. L'enfant sait tout ce que ses parents lui diront; quoi de plus naturel dès lors que de charger un notaire de faire tous les actes respectueux? Cela n'empêchera pas le notaire de lui communiquer les réponses de l'ascendant; done, à la rigueur, l'enfant pourra revenir à de meilleurs sentiments, et révoquer le pouvoir qu'il a donné (1).

338. Il est encore de l'essence de l'acte respectueux qu'il soit rédigé dans des termes qui témoignent le respect que l'enfant doit conserver pour ses ascendants, alors même que ceux-ci s'opposent à ses désirs. Voilà pourquoi la loi évite de se servir du mot de sommation; l'enfant prie, il ne somme pas. L'acte est-il révérencieux? ne l'est-il pas ? C'est une question de fait que les tribunaux jugent souverainement. Ici encore ils doivent se tenir en garde contre une rigueur excessive. Il ne suffit pas que l'enfant manifeste la ferme volonté de persister dans son projet de mariage, en disant que cette union fera seule son bonheur, pour qu'on puisse le taxer d'irrévérence, Comme on l'a dit, l'acte respectueux n'est autre chose que l'expression de la volonté de l'enfant décidé à passer outre. Tout ce que l'on peut exiger, c'est qu'il exprime sa volonté dans des termes respectueux, Si le langage est irrespectueux, l'acte est nul; le mot même d'acte respectueux le dit. On a soutenu que si le notaire se sert du mot sommation, il y a nullité, à cause d'irrévérence. La cour de cassation, sur les conclusions de Merlin, a repoussé ces exigences. Dans l'ancien droit, on se servait du mot sommation, c'est donc un de ces mots techniques qui par eux-mêmes n'impliquent aucune

(1) Merlin, Questions de droit, au mot Acte respectueux, § 3, 19" question. Dalloz, au mot Mariage, nos 156 et 157

irrévérence. Bien entendu que le langage que tient l'enfant ne doit pas être celui du créancier qui somme son débiteur de remplir ses obligations. Dans l'espèce soumise à la cour, l'enfant, tout en employant l'expression malsonnante de sommation, ajoutait qu'il priait et suppliait bumblement ses père et mère, avec tout le respect possible, de vouloir bien consentir à son mariage. Ce langage corrigeait ce que le mot de sommation a d'inconvenant (1).

339. Les parents se plaignent souvent que l'acte respectueux n'est pas l'expression de la libre volonté de leur enfant. On a annulé des actes respectueux, comme faits sans liberté, par la seule raison que la fille qui les adressait à ses père et mère s'était retirée chez celui qu'elle se proposait d'épouser. Cette fille, dit la cour de Montpellier, a choqué les bonnes mœurs, et elle a renoncé à toute liberté par l'ascendant qu'elle a laissé prendre sur sa volonté. Cela suffit, dit la cour d'Aix, pour laisser des doutes sur sa vraie volonté, puisqu'elle s'est placée sous la dépendance d'un homme qui avait déjà prouvé son ascendant sur elle, en obtenant par deux fois qu'elle abandonnât pour lui le domicile paternel; il faut donc croire que c'est plutôt la manifestation de la volonté de cet homme que la sienne qui est exprimée dans les actes respectueux (2). Il y a un côté vrai dans ces décisions. L'acte respectueux doit certainement être l'expression de la libre volonté de l'enfant; le défaut de liberté le vicie donc et l'annule. Mais la violence morale doit être prouvée; or, les cours de Montpellier et d'Aix, au lieu de demander la preuve des faits de violence, ont décidé par voie de présomption qu'il n'y avait pas de liberté. Cela est contraire aux principes les plus élémentaires sur les preuves. L'enfant majeur est libre de quitter le domicile de son père; peut-on dire qu'il n'est pas liore quand il fait ce qu'il a le droit de faire? Nous préférons une décision de la cour de Gand. La mère, à laquelle des actes respectueux avaient été notifiés, soutenait que sa fille ne jouissait pas de la

(1) Merlin, Répertoire, au mot Sommation respectueuse, no 3. Compares les arrêts rapportés dans Dalioz, au mot Mariage, no 164.

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 165, 1°.

liberté d'esprit et d'action essentiellement nécessaire quand il s'agit de mariage; elle citait des faits qui parurent à la cour pertinents et concluants. Si, dit l'arrêt, il était établi que la fille n'était pas libre, l'acte respectueux devrait être considéré comme non avenu. En conséquence, la cour admit la preuve des faits articulés (1). En ce sens, il est . très vrai de dire que l'acte respectueux est nul, si l'enfant au nom duquel le notaire le fait, n'est pas libre.

340. Quelle est la conséquence de l'annulation des actes respectueux? Les actes annulés ne produisant aucun effet, le mariage ne pourra pas être célébré. Il va sans dire que l'enfant dont les actes respectueux ont été annulés peut en faire de nouveaux, et s'ils sont réguliers, il sera procédé à la célébration du mariage. Si l'officier de l'état civil célébrait le mariage, malgré l'annulation des actes respectueux, le mariage ne pourrait pas être attaqué, comme nous le dirons plus loin, mais l'officier serait passible des peines établies par le code pénal. Nous allons voir en quoi consiste cette sanction.

§ III. Des enfants naturels.

341. L'ancien droit était très-dur pour les enfants naturels; il ne leur accordait aucune protection, alors même que, mineurs, ils voulaient contracter mariage; ils pouvaient se marier sans consentement aucun; la loi, dit Portalis, les abandonnait à leur libre arbitre, dans un âge où il est si difficile de se défendre contre les autres et contre soi-même. Cet abandon où on laissait les enfants naturels tenait à l'idée de puissance paternelle qui régnait dans la jurisprudence; le consentement au mariage était considéré comme un effet du domaine que le droit romain reconnaissait au père sur ses enfants; or, cette singulière propriété ne résultait que du mariage; les enfants naturels étaient hors de la puissance de leurs père et mère, par suite ils n'avaient pas besoin de leur consentement pour se marier.

(1) Arrêt du 27 décembre 1850 Pasicrisie, 1851, 2, 39).

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T. II.

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