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Portalis a raison de qualifier d'inouï ce prétendu droit de propriété que le père avait sur ses enfants. Notre législation moderne procède d'un tout autre principe: la puissance paternelle est moins un droit qu'un devoir, devoir d'élever l'enfant, devoir de le protéger. C'est l'enfant qui a droit à être guidé, conseillé, surtout quand il s'agit de l'acte le plus important de sa vie. Au point de vue du consentement requis pour le mariage, il n'y a donc aucune raison de faire une différence entre les enfants naturels et les enfants légitimes (1). C'est en ce sens que l'article 158 porte Les dispositions contenues aux articles 148 et 149, et les dispositions des articles 151, 152, 153, 154 et 155, relatives à l'acte respectueux qui doit être fait aux père et mère dans le cas prévu par ces articles, sont applicables aux enfants naturels légalement reconnus. »

Il y a cependant une différence entre les enfants naturels et les enfants légitimes. On voit par le texte que nous venons de transcrire que la loi leur déclare applicables les dispositions qui concernent le consentement des père et mère, et les actes respectueux qui doivent leur être faits. A cet égard, il y a parité complète entre les enfants naturels et les enfants légitimes. Mais la loi ne mentionne pas l'article 150, qui exige le consentement des aïeuls et aïeules. C'est que les enfants naturels n'ont pas d'ascendants autres que les père et mère qui les reconnaissent, comme nous le verrons en traitant de la filiation. Il résulte de là que les enfants naturels dont les père et mère sont morts ou dans l'impossibilité de manifester leur volonté, peuvent se marier sans consentement à l'âge de vingt et un ans, alors même qu'il y aurait des aïeuls et des aïeules; ils ne devraient pas davantage faire des actes respectueux, par la raison que ces aïeuls et aïeules leur sont étrangers.

342. La loi ne parle que des enfants naturels légalement reconnus. S'ils ne sont pas reconnus, ils n'ont pas de filiation, et, par suite, ils sont dans l'impossibilité de demander le consentement ou le conseil de leurs parents. A défaut de la protection paternelle qui leur fait défaut,

(1) Portalis, Exposé des motifs (Locré, t. II, p. 383, no 15).

la loi leur assure une protection spéciale; aux termes de l'article 159, l'enfant naturel qui n'a point été reconnu, et celui qui, après l'avoir été, a perdu ses père et mère. ou dont les père et mère ne peuvent manifester leur vo lonté, ne pourra, avant l'âge de vingt et un ans révolus. se marier qu'après avoir obtenu le consentement d'ur tuteur ad hoc qui lui sera nommé. » La loi n'appelle pas le conseil de famille à consentir au mariage de l'enfant na turel, parce que l'enfant naturel non reconnu n'a point de famille. Voilà pourquoi, dit Portalis, on leur nomme ur tuteur spécial, chargé d'acquitter à leur égard la dette de la nature et de la patrie.

Ni le code, ni Portalis ne disent par qui ce tuteur sera nommé. Presque tous les auteurs enseignent qu'il est nommé par le conseil de famille, et que ce conseil se compose de personnes ayant eu des relations d'amitié avec le père ou la mère; ou, si l'enfant n'a pas été reconnu, de personnes connues pour l'intérêt qu'elles portent à cet enfant (1). Cela est tout à fait arbitraire. Il est vrai que quand il s'agit du conseil de famille d'enfants légitimes, la loi permet d'y appeler des citoyens connus pour avoir eu des relations habituelles d'amitié avec le père ou la mère du mineur, dans le cas où il n'y a pas de parents en nombre suffisant. Ce n'est donc que pour compléter le conseil que le juge de paix est autorisé à faire appel aux amis des père et mère. Mais l'enfant naturel n'a pas de parents, dans l'espèce; ce serait donc un conseil de famille composé sans aucun membre d'une famille qui légalement n'existe pas. Cela nous paraît inadmissible. Il y a une autorité plus compétente que ce prétendu conseil de famille, c'est le tribunal. Pourquoi les magistrats ne serviraient-ils pas de protecteurs à l'enfant qui n'en a pas (2)? Il y a lacune dans la loi, et dans le silence de la loi, les tribunaux sont appelés à statuer.

(1) Marcade, Cours élémentaire, t. Ier, p. 407.

(2) C'est l'opinion de Ducaurroi, Bonnier et Roustain, Commentaire théorique et pratique du code civil, t. Ier, p. 155

§ IV. Consentement du conseil de famille.

343. L'article 160 porte: «S'il n'y a ni père ni mere, ni aïeuls ni aïeules, ou s'ils se trouvent tous dans l'impossibilité de manifester leur volonté, les fils ou filles mineurs de vingt et un ans ne peuvent contracter mariage sans le consentement du conseil de famille. » Pour les filles, l'article 160 maintient le droit commun: dès qu'elles sont âgées de vingt et un ans, elles peuvent se marier sans le consentement de leurs ascendants, sauf à demander leur conseil, ce qui devient impossiblequand les ascendants sont morts, absents ou en état de démence. Quant aux fils, l'article 160 revient au droit commun, dont la loi s'écarte quand il y a des ascendants. La majorité de vingt-cinq ans est réduite à la majorité ordinaire, lorsque, à défaut d'ascendants, l'enfant a besoin du consentement de la famille. On conçoit la raison de la différence : l'enfant ne doit pas aux collatéraux le respect qu'il doit à ses ascendants, et les collatéraux n'ont pas cet intérêt moral que les ascendants ont au mariage de leur descendant.

344. La délibération du conseil de famille qui refuse le consentement doit-elle être motivée, et y a-t-il lieu à appel? Les deux questions se tiennent. Aux termes de l'article 883 du code de procédure, lorsque les délibérations du conseil de famille ne sont pas unanimes, l'avis de chacun de ses membres est mentionné au procès-verbal. La loi ajoute que le tuteur, subrogé tuteur ou curateur, et même les membres de l'assemblée, pourront se pourvoir contre la délibération. On demande si cette disposition s'applique à la délibération qui porte refus de consentir au mariage. Il faut décider qu'en aucun cas le refus du conseil ne doit être motivé, et qu'il n'y a jamais lieu à un recours contre ce refus. La raison en est très-simple. Le code civil n'exige pas que le conseil donne les motifs de son refus, et il n'autorise pas l'enfant à réclamer. Cela

(1) Merlin, Répertoire, au mot Empêchements de mariage, § 5, article 2, n° 14. Demolombe, t. III, p. 116, no 86.

décide la question. L'interprète ne peut pas prescrire des conditions que la loi n'établit pas, il ne peut pas ouvrir des recours que la loi n'autorise pas. Quant au code de procédure, il ne reçoit pas d'application au refus de consentement; il parle des avis de parents; or, le consentement n'est pas un avis, c'est un acte d'autorité ou, si l'on veut, de protection, pour lequel le conseil de famille remplace les ascendants; le refus des ascendants étant péremptoire, il en doit être de même de celui de la famille. Dès lors, il ne peut être question ni de le motiver, ni d'interjeter appel. C'est l'opinion assez généralement suivie.

On objecte qu'il en était autrement dans l'ancien droit. Cela est vrai, mais il faut ajouter qu'il y avait aussi un recours contre le refus de consentement des ascendants. Le recours était donc de droit commun, tandis que, dans le droit moderne, il n'y a plus d'appel contre la décision des ascendants; le recours contre le refus de la famille serait donc une exception; or, les exceptions n'existent qu'en vertu d'un texte formel. Toullier dit que le refus des collatéraux pourrait avoir pour motif un intérêt personnel aux opposants (1). Il est vrai que l'on ne peut pas avoir dans les collatéraux la même confiance que dans les ascendants; la loi elle-même fait une différence considérable entre eux, en matière d'opposition au mariage. Mais quand il s'agit du consentement, elle n'en fait d'autre que celle que nous avons constatée, c'est de revenir à la majorité ordinaire pour les fils. Le silence du code est donc décisif.

La cour de Liége avait d'abord jugé dans le sens de Toullier. Elle est revenue de cette opinion, et s'est prononcée pour la doctrine de Merlin, que nous venons d'exposer (2).

§ V. Sanction.

345. Les dispositions qui exigent le consentement des ascendants ou de la famille ont une double sanction. Si

(1) Toullier, Le Droit civil français, t. Ier, p. 460, no 547.

(2) Arrêt de la cour de Liége du 10 avril 1848 (Pasicrisie, 1848, 178).

le mariage a été célébré sans que le consentement ait été donné, il y a nullité. Il y a, de plus, une sanction pénale.

Si les actes respectueux n'ont pas été faits, l'officier de l'état civil ne peut pas procéder à la célébration du mariage. C'est un empêchement prohibitif, mais il n'est pas dirimant. Le mariage ne pourrait pas être attaqué. Dans ce cas, il n'y a qu'une sanction pénale.

Nous parlerons de la sanction civile au chapitre des nullités. Pour le moment, nous n'avons qu'un mot à dire des peines prononcées contre l'officier de l'état civil qui n'observe pas la loi. Les articles 156 et 157 du code civil ont été remplacés par les articles 264 et 265 du nouveau code pénal belge. Nous nous bornerons à les transcrire. Aux termes de l'article 264 :

« Sera puni d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs, l'officier de l'état civil qui a négligé d'énoncer dans l'acte de mariage les consentements ou d'y insérer les actes respectueux prescrits par la loi;

« Qui a procédé à la célébration d'un mariage sans s'être assuré de l'existence de ces consentements ou de ces actes respectueux. »

L'article 265 porte : « Sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs, l'officier de l'état civil qui a célébré un mariage contre le gré des personnes dont le consentement est requis.

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SECTION IV.

Des empêchements au mariage.

346. On divise les empêchements au mariage en prohibitifs et dirimants. Ces dénominations viennent du droit canonique. Le code ne les consacre point, parce qu'il évite ce qui est de pure doctrine, ce qui appartient à l'école plutôt qu'à la législation. Toutefois il y a aujourd'hui, comme jadis, des empêchements qui portent obstacle à ce que le mariage soit contracté, et qui donnent le droit de former opposition à ce qu'il soit célébré; mais si l'officier de l'état civil procédait à la célébration, le mariage ne pourrait pas être attaqué : ce sont les empêchements pro

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