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351. L'alliance donne lieu à une difficulté qui intéressé également les bonnes mœurs. Dans l'ancien droit, on admettait une alliance naturelle. Quand deux personnes, dit Pothier, ont commis ensemble une fornication, il naît de ce concubinage une espèce d'affinité entre l'une de ces personnes et les parents de l'autre. Cette affinité naturelle est fondée sur une raison d'analogie. Que le commerce soit licite ou illicite, qu'importe? Le concubinage aussi bien que le mariage unit l'homme et la femme pour n'en faire qu'une seule chair. Le concile de Trente consacre cette alliance naturelle et l'empêchement qui en résulte (1). Subsiste-t-elle dans le code Napoléon ?

Il est certain qu'il y a une alliance naturelle, comme il y a une alliance légitime. Ainsi, si mon père naturel se marie, sa femme sera mon alliée naturelle, et il y aura empêchement au mariage. Pourquoi? A raison du lien que crée le mariage. Sur ce point, tout le monde est d'accord; mais le concubinage produit-il le même lien? Telle est la question. Il nous semble que le silence du code la décide. L'affinité naturelle produite par le concubinage était une institution du droit canonique. Le droit canonique est abrogé avec toute l'ancienne jurisprudence. Dès lors, nous ne pouvons plus admettre une affinité établie par les conciles. Vainement dit-on que, le code ne définissant pas l'alliance naturelle, il faut l'entendre telle qu'on l'entendait dans l'ancien droit (2). Pour que cet argument historique eût quelque valeur, il faudrait que le législateur eût manifesté l'intention de maintenir ce principe traditionnel; or, il n'y a pas un mot dans les travaux préparatoires qui puisse faire soupçonner que les auteurs du code aient songé à l'affinité naturelle, telle que le concile de Trente l'admet. Il y a plus, ce n'est pas à raison d'une véritable affinité que l'on prohibait le mariage, c'était plutôt par un motif d'honnêteté publique. En effet, il ne suffisait pas du concubinage, on exigeait qu'il fût notoire ; c'est la notoriété qui produisait le scandale, et par suite

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, nos 162 et suiv. (2) C'est l'opinion de Zachariæ, t. III, § 461, p. 251, note 12, Marcadé, t. Ier, p. 409, et Demante, t. Ier, p. 316 et suiv.

suivie par

un empêchement au mariage. Cela était en harmonie avec les principes de l'ancien droit, d'après lequel il y avait des empêchements fondés sur l'honnêteté publique. Le code ne reproduit pas cette théorie; il eût donc fallu une disposition formelle pour la maintenir dans un seul cas, celui de l'affinité canonique. Du moins il faudrait une manifestation quelconque de volonté; or, le silence des auteurs du code est aussi complet que celui du texte de la loi. Dès lors, il faut conclure avec Merlin que nous ne connaissons plus l'affinité canonique. L'alliance, dans tous nos textes, est l'alliance, telle que les jurisconsultes romains la définissent (1). Ajoutons que c'est là la vraie doctrine. Il n'est pas exact de dire, comme le font les canonistes, que le commerce illégitime unit l'homme et la femme, comme s'ils ne formaient plus qu'une seule chair; cela n'est vrai que du mariage, lequel, s'il n'est pas indissoluble, est du moins contracté dans un esprit de perpétuité; cela n'est certes pas vrai de ces unions fortuites ou passagères que les hommes nouent et dénouent au gré de leurs passions du moment.

La cour de Nîmes a rendu sur cette question un arrêt qui peut être invoqué contre l'opinion que nous défendons. Un père, pour justifier son opposition au mariage que sa fille majeure se disposait à contracter, offrait de prouyer que sa femme, mère de cette fille, avait entretenu des liaisons illicites avec l'homme qu'elle voulait donner pour mari à sa fille. La cour décida que l'article 161, qui prohibe le mariage entre les ascendants légitimes et naturels et les alliés dans la même ligne, doit être entendu tant à l'égard des ascendants et descendants alliés, naturels qu'à l'égard des légitimes; mais il faut, ajoute l'arrêt, que l'affinité soit constante et légalement établie à l'époque où l'empêchement est opposé; or, cette preuve n'existait pas dans l'espèce (2). On peut conclure de là que la cour de Nîmes aurait admis l'opposition du père s'il avait prouvé le

(1) Merlin, Répertoire, au mot Empêchements de mariage, § 4, article 3, n 3. (2) Arrêt du 3 décembre 1811 (Dalloz, au mot Mariage, no 229).

concubinage de la mère par un jugement qui l'aurait condamnée pour adultère ainsi que son complice. L'arrêt eût été très-moral, dit Merlin, mais aurait-il été d'accord avec la loi? La critique est juste, elle va à l'adresse des auteurs et des magistrats qui veulent être plus moraux que le législateur.

352. L'alliance, et l'empêchement qui en résulte, subsiste-t-elle quand l'époux qui la produisait est mort sans enfant? Il y a un vieil adage qui dit Morte ma fille, mort mon gendre (1). L'article 206 du code civil semble consacrer ce principe; il porte que l'obligation alimentaire cesse entre alliés lorsque celui des époux qui produisait l'affinité et les enfants issus de son union avec l'autre époux sont décédés. Si l'obligation alimentaire entre alliés cesse dans ce cas, n'est-ce pas parce que l'alliance elle-même cesse? On l'a dit, mais nous croyons, avec M. Demolombe, que c'est une erreur. En principe, on ne voit pas pourquoi l'alliance cesserait par la mort de l'époux et des enfants; le mariage a produit entre les deux familles des liens que la mort ne rompt pas. On conçoit que certains effets produits par l'alliance cessent, tels que l'obligation alimentaire; mais de ce qu'un effet cesse, il serait très-peu logique de conclure que tous doivent cesser. S'il y a une raison pour que l'obligation alimentaire cesse, il y a, par contre, des raisons pour que l'empêchement au mariage subsiste. L'alliance produit bien d'autres effets, et la jurisprudence décide invariablement qu'ils subsistent après la mort de l'époux sans enfants. Ainsi l'article 206 est une exception, et c'est le cas de dire que l'exception confirme la règle (2).

353. On demande encore si l'empêchement au mariage subsiste dans le cas où le mariage qui produisait l'alliance est annulé. Il est certain que dans ce cas l'alliance cesse; en effet, l'alliance résulte du mariage; or, le mariage annulé est considéré comme n'ayant jamais existé. Peut-il être question d'alliance là où il n'y a point de mariage?

(1) Loysel, Institutes coutumières, t. Ier, p. 166 (édition de Dupin).' (2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 158, no 117.

Et si l'alliance est détruite, comment ses effets continueraient-ils? L'on oppose les bonnes mœurs ne seraientelles pas offensées si un homme, après avoir épousé la mère et vécu publiquement avec elle, pouvait ensuite épouser la fille (1)? Sans doute, mais nous dirons avec Merlin que l'interprète ne doit pas avoir la prétention d'être plus moral que le législateur. Pour faire produire un effet au mariage annulé, la loi a dû organiser le mariage putatif. Il aurait fallu également une disposition pour maintenir l'alliance, alors que le mariage est rompu. Zachariæ donne une autre forme à l'objection. L'annulation du mariage ne détruit pas le fait de la cohabitation ; or, le commerce des deux époux, notoire, avoué, suffit pour créer une affinité naturelle, et par suite un empêchement au mariage (2). Cela suppose que l'affinité canonique subsiste en droit français. Comme nous n'admettons pas cette doctrine, nous devons repousser l'application que Zachariæ en fait à l'annulation du mariage.

No 2. EMPÊCHEMENTS PRODUITS PAR LA PARENTÉ ET L'ALLIANCE.

354. En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants légitimes ou naturels, et les alliés dans la même ligne (art. 161).» «La loi naturelle, dit Pothier, a formé cet empêchement, et tous les peuples se sont accordés à regarder comme incestueuse et abominable l'union charnelle entre des parents de cette ligne. » «Dans tous les temps, dit Portalis, le mariage a été prohibé entre les enfants et les auteurs de leurs jours; il bouleverserait entre eux tous les droits et tous les devoirs, il ferait horreur. »

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La prohibition s'étend à la parenté naturelle, à tous les degrés. Ici il y a quelque chose de spécial au mariage. En principe, les enfants naturels ne sont pas dans la famille de leurs père et mère; ils ne sont ni héritiers des parents de cette famille, ni même liés entre eux par aucun

(1) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 119, no 159. (2) Zachariæ Cours de droit civil français, t. III, § 461, note 9, p. 251.

droit, par aucune obligation. Ce sont les termes d'un arrêt de la cour de cassation. D'après ce principe, l'empêchement au mariage ne devrait exister qu'entre l'enfant naturel et ses père et mère. Pourquoi le code l'étend-il à tous les degrés? C'est uniquement, comme le dit le même arrêt, par des motifs de morale et d'honnêteté publiques (1). En fait d'empêchements au mariage, la loi considère les liens du sang, et non les liens que crée le mariage; dès lors, il n'y avait pas lieu à faire une différence entre la parenté légitime et la parenté naturelle. C'est encore par des motifs de morale et d'honnêteté publiques que l'on a étendu la prohibition à l'alliance.

355. « En ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels et les alliés au même degré (art. 162). » Portalis nous expliquera le motif de cette prohibition. » L'horreur de l'inceste du frère et de la sœur, et des alliés au même degré, dérive du principe de l'honnêteté publique. La famille est le sanctuaire des mœurs; c'est là que l'on doit éviter avec tant de soin tout ce qui peut les corrompre. Le mariage n'est sans doute pas une corruption; mais l'espérance du mariage entre des êtres qui vivent sous le même toit, et qui sont déjà invités par tant de motifs à se rapprocher et à s'unir, pourrait allumer des désirs criminels et entraîner des désordres qui souilleraient la maison paternelle, en banniraient l'innocence, et poursuivraient ainsi la vertu jusque dans son dernier asile. » Ces mêmes motifs ont fait étendre la prohibition à la parenté naturelle.

La loi de 1792 permettait le mariage entre beau-frère et belle-sœur. Cette législation trouva des partisans au conseil d'Etat. On invoquait l'intérêt des enfants, qui retrouvent une seconde mère dans leur tante. Cambacérès répondit que cela n'était vrai que dans des cas très-rares. Des motifs beaucoup moins respectables, dit-il, déterminaient ordinairement ces sortes d'unions. Dans un pays où le divorce est permis, on doit craindre que la possibilité de rompre le mariage existant, jointe à la faculté de

(1) Arrêt du 7 juillet 1817 (Dalloz, au mot Mariage, no 626),

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