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l'aïeul; donc quand l'aïeul se tait, l'aïeule ne doit pas avoir le droit de parler. Locré nous apprend que cela fut ainsi entendu au conseil d'Etat. C'est aussi en ce sens que les auteurs expliquent le texte (1). S'il n'y avait dans une ligne qu'une aïeule et dans l'autre un aïeul, alors l'aïeule aurait naturellement le droit de former opposition comme représentant de sa ligne.

Mais que faut-il décider si une ligne consent? l'autre aura-t-elle néanmoins le droit de former opposition Les auteurs l'admettent. Il y a cependant quelque douto. En effet, pour les ascendants du premier degré, la lɔi ne permet pas à la mère de former opposition quand le père consent, pas même quand la mère n'a pas été consultée. Ne faut-il pas appliquer le même principe aux ascen lants du second degré, c'est-à-dire aux deux lignes? N'y a-t-il pas contradiction à refuser le droit d'opposition à la nère, et à l'accorder aux aïeuls maternels, à une aïeule au besoin? On dit que cette aïeule représente sa ligne, et qu'à ce titre elle doit avoir le droit de former opposition. Elle la représente, il est vrai, pour consentir, mais son refus de consentir n'empêche pas le mariage, si la ligne paternelle consent. Il n'y a qu'une seule raison en fave ir de l'opinion générale, c'est le texte, qui appelle concurremment les aïeuls et les aïeules. Mais ne doit-on pas interpréter le texte, en ce qui concerne les aïeuls, par les principes qui régissent le droit d'opposition des père et mère? On le fait dans chaque ligne, on ne permet pas à l'aïeule de former opposition quand l'aïeul garde le silence, et cela, malgré la généralité des termes de l'article 173. Pourquoi ne pas admettre le même système d'interprétation pour les deux lignes (2)?

N° 3. DES COLLATÉRAUX.

380. S'il n'y a aucun ascendant, la loi accorde le droit d'opposition au frère ou à la sœur, à l'oncle ou à la tante, au cousin ou à la cousine germains. Ces collatéraux ont

(1) Demolombe. Cours de code Napoléon, t. III, p. 224 et suiv., no 140. (2) Voyez, en sens contraire, Demolombe, t. III, p. 225, no 140.

le droit individuel de former opposition, à raison de leur degré de parenté et de l'affection que la loi leur suppose. Ils ont tous un droit égal, et ils peuvent l'exercer concurremment. La loi ne dit pas la soeur à défaut du frère, l'oncle à défaut de frère et sœur, etc.; elle appelle tous les collatéraux au même titre, de sorte que le cousin germain peut former opposition, alors même que le frère ou l'oncle garde le silence. Quelle est la raison de cette différence que la loi met entre les ascendants et les collatéraux? Quand il s'agit des ascendants, la loi prend en considération le droit qui leur appartient de consentir au mariage, et elle règle le droit d'opposition sur le droit de consentir, Les collatéraux, comme tels, ne sont jamais appelés à donner leur consentement au mariage; il n'y avait donc aucun motif légal de faire une différence entre eux. Il n'y a d'ailleurs aucun danger à leur donner le droit d'opposition sans considérer la proximité de degré, parce que leur opposition est limitée à certaines causes qui forment un empêchement légal au mariage.

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381. Les collatéraux ne peuvent former opposition qu'à défaut d'aucun ascendant. » Il faut donc que tous les ascendants soient morts ou dans l'impossibilité de manifester leur volonté. S'il y a un ascendant et s'il garde le silence, les collatéraux sont sans droit. La loi suppose qu'il n'y a pas dans ce cas de cause légale d'empêchement. N'est-ce pas pousser trop loin la confiance que le législateur témoigne aux ascendants? Quel serait l'inconvénient de permettre aux collatéraux de former opposition pour des causes légales d'empêchement, alors même qu'il y aurait des ascendants? L'ancienne jurisprudence était trop facile; la législation nouvelle restreint l'opposition dans des limites trop étroites.

La loi exige encore que les collatéraux soient majeurs. Ce n'est qu'à la majorité qu'elle permet l'exercice des droits civils, et il n'y avait par lieu de faire exception à ce principe quand il s'agi a'un droit qui entrave le mariage et qui peut le faire manquer. D'un autre côté, il était impossible de l'ac order au tuteur du collatéral mineur, parce que ce dr it est essentiellement personnel. C'est pour cette

raison que la loi ne l'accorde qu'aux collatéraux les plus proches, à ceux qui, à raison de leur degré de parenté, sont censés agir par affection et non pár intérêt.

Enfin la loi limite les causes pour lesquelles les collatéraux sont admis à former opposition. Ils ne le peuvent, 'dit l'article 174, que dans deux cas : lorsque le consentement du conseil de famille n'a pas été obténu, et lorsque le futur époux est én état de démence. Pourquoi la loi nè permet-elle pas aux collatéraux de former opposition quand il y a une autre cause légale qui porte obstacle à la célébration du mariage, en cas de bigamie, par exemple? De raison, il n'y en a pas, sinon la crainte des abus; mais il n'y avait pas d'abus à craindre dès que le droit d'opposition était limité aux empêchements dirimants. Ce sont les excès de l'ancienne jurisprudence qui ont fait tomber le législateur dans un excès contraire.

382. La première cause d'opposition est péremptoire, et elle ne donne lieu à aucune difficulté. Si un mineur n'ayant plus d'ascendants veut se marier, il a besoin du consentement de la famille, sous peine de nullité. C'est le cas de dire avec Portalis Mieux vaut prévenir le mal que d'avoir à le réparer. La seconde cause est plus délicate, c'est la démence du futur époux. N'est-il pas à craindre que des collatéraux avides n'invoquent la folie pour entraver un mariage qui va ruiner leurs espérances? Le législateur a prévu le danger et il y a porté remède. « Le tribunal, dit l'article 174, peut prononcer mainlevée pure et simple de cette opposition. » C'est le tribunal qui prononce la mainlevée. Cela suppose donc que le futur époux a demandé la mainlevée. Dans ce cas, c'est à l'opposant à justifier son opposition. Il ne suffit pas pour cela qu'il allègue vaguement l'état de folie. Un arrêt de la cour de Paris décide que l'opposant doit articuler par écrit les faits d'imbécillité, de démence ou de fureur. L'article 493 prescrit cette énonciation, quand il y a une demande en interdiction; or, d'après l'article 174, le collatéral qui fonde. son opposition sur l'état de folie du futur époux, est oblige de provoquer l'interdiction, et d'y faire statuer dans e délai qui sera fixé par le tribunal. Il faut donc un juge

ment; dès lors l'opposant doit faire connaître les faits qui permettent au juge de décider, soit en prononçant la mainlevée, si les faits articulés ne lui paraissent pas pertinents, soit en recevant l'opposition, à charge de provoquer l'interdiction. Il résulte de là que l'opposant n'est pas tenu de provoquer l'interdiction au moment même où il forme opposition; et il n'est pas tenu non plus d'articuler les faits de démence, d'imbécillité ou de fureur dans l'acte d'opposition, car cet acte s'adresse à l'officier de l'état civil: ce n'est pas devant lui, c'est devant le tribunal que le débat s'engage, ce n'est donc qu'à ce moment que l'opposant doit articuler les faits et provoquer l'interdiction (1).

383. La loi ne donne pas le droit d'opposition aux enfants ni aux neveux et nièces, bien qu'ils soient plus proches parents que les collatéraux qui peuvent former opposition. Il faut conclure du silence de la loi que ce droit ne leur appartient pas. Il est vrai que les termes de l'article 174 ne sont pas restrictifs : c'est une simple énumération. Il est vrai encore qu'il peut y avoir une juste cause d'opposition, la démence; or, quand il y a des enfants, les collatéraux n'agiront pas, puisqu'ils n'y ont aucun intérêt; ne conviendrait-il pas, en ce cas, que les enfants pussent former opposition? La question a été portée devant les tribunaux. C'était, comme dit Merlin, une lutte contre le texte de la loi; aussi ces prétentions n'ont-elles jamais été accueillies (2). La cour de Toulouse dit très-bien que le droit d'opposition au mariage est un droit exorbitant, une exception à la liberté que chacun a de contracter mariage; que par suite on ne peut reconnaître ce droit qu'à ceux auxquels la loi l'a spécialement et nominativement attribué. Il suit de là que le silence de la loi implique qu'elle refuse ce droit aux enfants et aux neveux. Il y a d'ailleurs une raison de ce refus. La déférence et le respect que les enfants doivent avoir pour les auteurs de leurs jours ne

(1) Dalloz. Répertoire, au mot Mariage, no 270. Merlin, Répertoire, au mot Opposition à un mariage, no 4, 5o.

(2) Voyez la jurisprudence dans Merlin, au mot Opposition, no 4, et dans Dalloz, au mot Mariage, no 285. Il faut ajouter un arrêt de Lyon du 11 décembre 1850 (Dalloz, Recueil périodique, 1851. 2, 243), et un arrêt de Bruxelles du 3 septembre 1831 (Pasicrisie, 1831, 252).

permettent pas qu'ils exercent le droit d'opposition. Quant aux neveux, si la loi ne leur donne pas un droit qu'elle accorde à des collatéraux plus éloignés, aux cousins, c'est que l'on a toujours considéré les oncles et tantes comme tenant lieu de père et de mère à leurs neveux et nièces. Cette image de la paternité suffit pour que l'on refuse aux neveux et nièces un droit que la loi n'a pas voulu accorder aux enfants. Il va sans dire qu'à plus forte raison, les collatéraux autres que ceux qui sont énumérés dans l'article 174 n'ont pas le droit de former opposition.

384. Cette opinion est admise par tout le monde. L'article 490 donne cependant lieu à une sérieuse objection. Il autorise tout parent à provoquer l'interdiction de son parent. On demande si cette disposition ne déroge pas à l'article 174. A première vue, la contradiction entre les deux dispositions paraît évidente. Les enfants, les neveux et nièces ne peuvent pas former opposition, pas même pour cause de démence, pas même en provoquant l'interdiction de leur père ou de leur oncle : le respect filial le leur défend. Et voilà l'article 490 qui, malgré ce respect filial, permet aux enfants de demander l'interdiction de leur père et donne le même droit aux neveux. S'ils peuvent poursuivre l'interdiction de leur père ou de leur oncle pour cause de démence, ne doit-on pas, par voie de conséquence, leur accorder le droit de former opposition au mariage, pour cause de démence, en provoquant l'interdiction?

Cela a été soutenu devant les tribunaux, mais cela est inadmissible. On ne peut pas admettre qu'un article du code abroge l'autre. Il faut donc dire que le droit de provoquer l'interdiction ne donne pas le droit de former opposition. Il y a, en effet, une raison de différence. L'interdietion a pour but de sauvegarder les intérêts pécuniaires de celui qui est en état de démence et de sa famille. Dès lors l'action doit appartenir à tout parent. Il n'en est pas de même de l'opposition au mariage; elle n'est pas fondée sur un intérêt pécuniaire, mais sur un intérêt moral; or, convient-il que les enfants viennent donner une leçon de morale à leur père ou les neveux à leur oncle? ou, pour parler le langage juridique, convient-il que les enfants et

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