Page images
PDF
EPUB

les neveux prétextent un intérêt moral, alors qu'en réalité ils agissent par intérêt pécuniaire? Le respect filial le leur défend. Il y a encore une autre différence entre l'interdiction et l'opposition au mariage. L'interdiction est prónoncée, alors même qu'il y a des intervalles lucides, tandis que l'aliéné peut se marier s'il a un intervalle lucide. L'opposition fondée sur la démence n'est donc jamais péremptoire. Convient-il que des enfants s'opposent au mariage de leur père, si celui-ci a des intervalles lucides? Encore une fois, le respect le leur défend (1).

Ce que nous venons de dire ne répond pas encore à la difficulté que présente la combinaison des articles 174 et 490. L'enfant ne peut pas former opposition au mariage de son père. Soit, il ne le fera pas, mais il peut provoquer l'interdiction de son père, et il le fait. Après que l'instance est engagée, le père fait des publications de mariage; l'enfant ne peut pas s'y opposer et personne ne forme opposition. Le mariage devra-t-il avoir lieu, malgré le procès en interdiction, malgré la preuve acquise que le père est réellement aliéné? M. Demolombe prétend que l'enfant pourra en ce cas former opposition, à titre de mesure conservatoire (2). Cela paraît rationnel, car à quoi servira l'interdiction, si le père se marie en faisant de folles libéralités dans son contrat de mariage? Cependant cela nous paraît inadmissible. L'opposition n'appartient qu'à ceux auxquels la loi accorde ce droit. Voilà un principe absolu; les enfants ne peuvent pas obtenir indirectement un droit que la loi leur refuse, en provoquant l'interdiction: ce serait leur donner un moyen d'éluder la loi. Tout ce que les enfants peuvent faire, c'est de dénoncer le procès en interdiction à l'officier de l'état civil, et, au besoin, au ministère public. L'officier de l'état civil ne peut pas célébrer le mariage d'une personne qui est incapable de consentir; si tel est l'état du père, l'officier public doit refusér son ministère. Dans l'opinion qui permet au procureur impérial de former opposition, la dénonciation qui lui sera faite permettra d'arrêter le mariage.

(1) C'est l'opinion générale (Dalloz, au mot Mariage, no 275). (2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 239 et suiv., no 145.

Autre difficulté. Les enfants commencent par former opposition, puis prévoyant qu'elle ne sera pas reçue, ils Jemandent l'interdiction. Cette demande devra-t-elle être réçue par le tribunal? La cour de Bruxelles a décidé que la demande n'est pas recevable: ce serait, dit l'arrêt, permettre d'éluder l'article 174, en permettant non-seulement aux enfants, mais à tous les collatéraux de faire indirectement ce que la loi leur défend de faire directement. Merlin approuve cette décision, il voit dans l'article 174 une fin de non-recevoir insurmontable (1). Mais en interprétant ainsi l'article 174, on annule l'article 490. Il faut concilier les deux dispositions, et la conciliation se fait d'elle-même, si l'on admet, comme nous venons de le dire, que la demande en interdiction intentée par les enfants, et à plus forte raison par les collatéraux, ne leur donne pas le droit de former opposition. La cour de Bruxelles et Merlin supposent que la demande en interdiction vaut opposition. Cela n'est point; elle ne fait qu'éveiller l'attention de l'officier de l'état civil et du ministère public. Et rien de plus légitime.

No 4. DU TUTEUR ET DU CURATEUR.

385. L'article 175 porte : « Dans les deux cas prévus par le précédent article, le tuteur ou curateur ne pourra, pendant la durée de la tutelle ou curatelle, former opposition qu'autant qu'il y aura été autorisé par un conseil de famille qu'il pourra convoquer. » Au mariage de qui s'applique cette disposition? C'est le tuteur ou le curateur qui peuvent former opposition. D'après le code Napoléon, les mineurs sont sous curatelle ou sous tutelle, suivant qu'ils sont ou non émancipés. Sont encore sous tutelle les majeurs ou mineurs interdits. Que l'article 175 doive recevoir son application aux mineurs, émancipés ou non, cela est sans difficulté pour le premier des deux cas prévus par l'article 174, c'est-à-dire lorsque le mineur veut se marier sans avoir obtenu le consentement du conseil de famille.

(1) Merlin, Répertoire, au mot Opposition, no 4.

Il y a alors un obstacle légal au mariage, et il est naturel que le tuteur ou le curateur du mineur l'empêchent de contracter un mariage frappé de nullité. Il est encore très-logique que la loi fasse intervenir le conseil de famille, car c'est lui et non le tuteur qui est appelé à consentir au mariage, et c'est encore lui et non le tuteur qui a le droit d'en demander la nullité. Ce que nous disons du tuteur s'applique à plus forte raison au curateur du mineur émancipé.

Reste le second cas prévu par l'article 174, la démence. D'après le texte de l'article 175, le tuteur et le curateur peuvent aussi former opposition, si le mineur est en état de démence. Ceci est difficile à comprendre. Il s'agit d'un mineur qui ne peut se marier qu'avec le consentement du conseil de famille. Si ce mineur est en état de démence, il est évident que le conseil de famille ne consentira pas à son mariage, et s'il n'y a pas consenti, le tuteur pourra former opposition de ce chef: à quoi bon, en ce cas, se fonder sur la démence, ce qui nécessiterait une demande en interdiction, alors que le tuteur ou le curateur peuvent invoquer le défaut de consentement, ce qui est un moyen péremptoire et bien plus simple? Que si peut-être le conseil de famille avait consenti au mariage, quoique le mineur fût en état de démence, ce qui arrivera certes rarement, dans ce cas, il peut révoquer son consentement, et il sera encore inutile de former opposition pour cause de démence. En définitive, si le futur époux est mineur, l'application des articles 174 et 175 au cas de démence ne se conçoit pas.

386. Tout le monde est d'accord sur ce point (1). On s'est ingénié à chercher des hypothèses extraordinaires dans lesquelles l'article 175 pourrait être appliqué au cas de démence. Nous avouons que ces tours de force ne sont pas de notre goût; ils font dégénérer la science du droit en scolastique. Tenons-nous à la réalité des choses, à laquelle seule le législateur a songé, et convenons que si

(1) Valette sur Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ior, p. 422, note a. Duranton, t. II, no 199, p. 147.

le futur époux est mineur, nos textes restent sans application en ce qui regarde la démence. Voyons s'ils peuvent s'appliquer au majeur interdit. Les textes, à la rigueur, reçoivent cette interprétation. Supposons un majeur interdit pour cause de démence. Les collatéraux ne pourront-ils pas former opposition à son mariage en vertu de l'article 174? Non, a-t-on dit; car cet article suppose évidemment que le futur époux n'est pas interdit, puisqu'il oblige les opposants à provoquer l'interdiction. L'argument n'est pas sans réplique. Sur quoi se fonde l'opposition dans le second cas prévu par l'article 174? Sur la démence. Quant à la demande en interdiction que la loi prescrit, ce n'est qu'un moyen de s'assurer que l'opposition est sérieuse et que la folie est réelle. Or, si l'interdiction est déjà prononcée, il y a une preuve légale de la démence, un jugement. Refusera-t-on aux collatéraux le droit d'opposition pour cause de démence quand la démence est judiciairement constatée, alors qu'on leur accorde ce droit quand ils n'ont aucune preuve légale et qu'ils doivent l'administrer? Cela serait absurde. Donc il faut dire que les collatéraux peuvent former opposition si le futur époux est interdit, et partant le tuteur le pourra aussi, en vertu de l'article 175. Telle est l'opinion de Marcadé et de M. Demolombe (1).

On a fait contre cette interprétation de l'article 175 une objection qui d'abord paraît décisive. Lorsque le titre du mariage fut discuté, il n'y avait pas encore de tutelle pour cause de démence, les aliénés étaient sous curatelle; le projet de code maintenait ce principe. Donc, dit-on, les auteurs du code en parlant du tuteur ne pouvaient pas songer aux majeurs (2). Ne peut-on pas répondre que l'article 175 nomme aussi le curateur et que, dans la pensée du législateur, la curatelle comprenait les aliénés? Il y a une autre objection contre l'opinion de M. Demolombe. On ne voit pas pourquoi, s'il s'agit d'un majeur interdit, le code fait intervenir le conseil de famille. De deux choses

(1) Demolombe, t. III, p. 244, n° 148. Marcadé, t. Ier, p. 441. n° 2. (2) Mourlon, Répétitions, t. ler, p. 319, note.

l'une, ou l'interdit est capable de se marier ou il est incapable s'il est capable, il peut se marier sans aucun consentement s'il est incapable, certes le consentement du conseil de famille ne lui donnera pas la capacité qui lui manque. Donc dans aucune hypothèse le conseil de famille ne peut intervenir dans le mariage d'un interdit; dès lors on ne voit pas à quel titre il y formerait opposition.

Faut-il conclure de là que le tuteur de l'interdit pourra former opposition à son mariage sans l'autorisation du conseil de famille? C'est l'opinion de Duranton (1), mais il est difficile de l'admettre. Il n'y a pas de droit d'opposition sans texte, et où est le texte qui permet au tuteur d'un interdit de former opposition à son mariage? Il y a plus. Dans l'opinion que nous avons soutenue, l'interdit peut se marier s'il se trouve dans un intervalle lucide. Dès lors il n'y a pas lieu de former opposition à son mariage par la seule raison qu'il est interdit; l'opposition doit se fonder sur ce que le futur époux est en état de démence et que sa maladie ne laisse pas d'intervalle lucide. Qui peut former cette opposition? Telle est la seule difficulté. D'après les explications dans lesquelles nous venons d'entrer, nous croyons que l'article 175 ne concerne pas le majeur interdit. Ce qui nous confirme dans cette opinion, c'est que le Tribunat, sur la proposition duquel l'article 175 fut ajouté au projet, ne parle que de la démence et non de l'interdiction. Il n'y a donc d'autre texte que l'article 174. Notre conclusion forcée est que les collatéraux d'un majeur interdit peuvent seuls former opposition à son mariage en se fondant sur la démence; mais il ne suffira pas qu'ils allèguent le jugement d'interdiction; il faudra qu'ils prouvent que l'état de démence du futur époux ne lui laisse aucun intervalle lucide.

N° 5. DU MINISTÈRE PUBLIC.

387. Le ministère public a-t-il le droit de former opposition au mariage lorsqu'il y a un empêchement soit pro

(1) Duranton, Cours de droit français, t. II, no 199, p. 147,

« PreviousContinue »