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Rec, Sept. 10, 1900.

TITRE II.

DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.

CHAPITRE PREMIER.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES.

SECTION I. Des officiers de l'état civil.

SI. Des officiers de l'état civil en France.

1. On lit dans le rapport que Siméon fit au Tribunat sur le titre II: « La Révolution trouva les registres de l'état civil dans les mains des curés. Il était assez naturel que les mêmes hommes dont on allait demander les bénédictions et les prières aux époques de la naissance, du mariage et du décès, en constatassent les dates, en rédigeassent les procès-verbaux... Il faut avouer que les registres étaient bien et fidèlement tenus par des hommes dont le ministère exigeait de l'instruction et une probité scrupuleuse... Ils n'ont pas toujours été heureusement remplacés dans cette fonction importante: on a fréquemment remarqué dans plusieurs communes des inexactitudes, des omissions, quelquefois même des infidélités, parce que dans les unes ce n'était plus l'homme le plus capable, et dans

II.

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d'autres le plus moral qui était chargé des registres (1). S'il en est ainsi, faut-il regretter que les lois révolutionnaires aient enlevé la rédaction des actes de l'état civil aux ministres du culte catholique pour la confier à des officiers publics? La question a encore une autre face, et c'est de beaucoup la plus importante. Notre constitution. porte, article 109: « La rédaction des actes de l'état civil et la tenue des registres sont exclusivement dans les attributions des autorités communales. » Pourquoi une loi constitutionnelle s'occupe-t-elle des actes de naissance, de mariage et de décès? pourquoi exclut-elle l'intervention du clergé dans la rédaction de ces actes? pourquoi charget-elle des autorités laïques de ce soin? C'est parce qu'il y a en cause un principe fondamental des sociétés modernes, la sécularisation de tout ce qui tient à l'ordre civil. Il importe de mettre le principe dans tout son jour.

2. Nous ne remonterons pas à l'antiquité, pas même au moyen âge pour rechercher comment les Romains et les Barbares constataient l'état civil. L'histoire, quelque intéressante qu'elle soit, ne put trouver place dans nos Principes que pour autant qu'elle sert à éclaircir un point de droit. Il suffit à notre but de dire quel était l'état de la législation française avant 89, et pourquoi la Révolution y apporta un changement radical. Quand le clergé commença à rédiger des actes de naissance, de mariage et de décès, ce n'était pas dans le but de constater l'état civil des hommes; il n'avait en vue que les intérêts de la religion, et rien de plus légitime. C'est le législateur laïque qui mit les pratiques religieuses à profit pour faire servir les registres tenus dans chaque paroisse à la preuve de l'état des citoyens. L'ignorance était si universelle que l'on ne pouvait guère songer à charger les officiers municipaux de la rédaction de ces actes. D'ailleurs, les rapports intimes qui existaient, dans l'ancienne monarchie, entre l'Eglise et l'Etat faisaient considérer comme une chose toute naturelle que les ministres du culte catholique fussent investis d'une fonction civile; il n'était pas encore

(1) Locré, Législation civile, t. II, p. 94, no 2.

question de séculariser l'état des hommes. Voilà pourquoi l'ordonnance de Blois de mai 1579 ordonna de se servir des registres de baptêmes, mariages et sépultures tenus' par les curés ou leurs vicaires pour prouver en justice les faits de naissance, de mariage et de décès. L'ordonnance de 1667, connue sous le nom de code civil, régularisa cet ordre de choses.

3. Ainsi le législateur chargea les ministres d'un seul culte de la rédaction d'actes qui intéressent tous les hommes, à quelque religion qu'ils appartiennent. La confusion de l'Etat et de l'Eglise explique cette anomalie. Tant que les protestants jouirent de la liberté religieuse, les ordonnances avaient peu d'inconvénients; l'édit même qui leur assurait la liberté du culte statuait que les actes de l'état civil qui les concernaient seraient reçus par les ministres réformés. Mais quand Louis XIV révoqua l'édit de Nantes, il n'y eut plus de ministres, plus de consistoires. Comment les malheureux réformés constataient-ils alors l'état de leurs femmes et de leurs enfants? L'édit de 1685, article 8, veut que les enfants qui naîtront de parents de la religion prétendue réformée soient dorénavant baptisés par les curés des paroisses, et enjoint aux pères et mères de les envoyer aux églises à cet effet, à peine de 500 livres d'amende, et de plus grande peine s'il y échet. Ainsi les parents étaient obligés d'apostasier, sous peine d'amende et de plus grande peine! L'Eglise comprenait si peu la tolérance, même purement civile, que l'on entendit les assemblées générales du clergé se plaindre amèrement, vers le milieu du xvIII° siècle, que cet horrible édit n'était plus exécuté (1). Les réformés préféraient faire baptiser leurs enfants par leurs ministres, au risque de compromettre leur état; car il va sans dire que les actes de baptême dressés par des prédicants n'avaient aucune valeur légale.

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On ne pouvait pas empêcher les protestants de mourir ; mais les lois de l'Eglise et de l'Etat défendaient de les enterrer dans les cimetières exclusivement réservés aux

(1) Voyez mes Études sur l'histoire de l'humanité, t. XIV, p. 289 et suiv.

catholiques. En 1736, le législateur voulut bien accorder une sépulture aux réformés, et par suite une preuve de leur décès, sans l'intervention des curés. C'était un premier pas vers la sécularisation. Restait toutefois l'édit sur les relaps. Etaient considérés comme tels tous ceux qui, convertis en apparence, retournaient à leur foi et repous-ai saient les secours spirituels des ministres du culte catholique; leurs cadavres étaient traînés sur la claie et jetés à la voirie!

Quant aux mariages, il n'y avait qu'un moyen pour les réformés de contracter une union légitime, c'était de la faire célébrer par l'Eglise, et par conséquent d'apostasier. Ceux dont la conscience se prêtait à cette hypocrisie commençaient par suivre avec assiduité les offices divins, ils allaient à confesse et à communion. A peine mariés, les époux ne mettaient plus le pied à l'église la comédie sacrilége était jouée! On lit dans un rapport adressé en 1726 par le grand prévôt de la cathédrale de Nîmes au cardinal Fleury: « Après avoir profané le sacrement qui les unit, ils sont également enracinés dans leurs premières erreurs, ce qui est si infaillible qu'à peine depuis quarante ans en a-t-on vu qui aient été fidèles aux promesses solennelles qu'on avait exigées d'eux avant leur mariage. Il est surprenant que l'on ne soit pas sensible à un si grand abus et à des profanations si manifestes. Il semble qu'il ne saurait y avoir d'extrémités qui ne soient préférables (1). La plupart des réformés reculaient devant ces farces abominables et faisaient célébrer leur union par les prédicants qui, au péril de leur vie, pénétraient en France. Ecoutons un discours tenu, le 15 décembre 1778, dans l'assemblée des chambres du parlement de Paris : « Depuis 1740, plus de 400,000 mariages ont été célébrés au désert: source féconde de procès scandaleux! Des hommes avides contestent à leurs proches leur état pour envahir leur fortune. Des hommes parjures implorent le secours de la justice pour rompre des noeuds formés sous la bonne

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(1) L'Accord parfait de la nature et de la raison, par un gentilhomme de Normandie, t. II, p. 103.

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